Chapitre 2
– On m’envoie au pays des châtaignes ! maugréa Pierre Cavalier après que sa femme Isabelle eut refermé doucement la porte de la chambre de leur fille Philippine.
Isabelle le regarda d’un air surpris.
– Tu pars en Ardèche ?
Il haussa les épaules.
– Non, la Corse !
Elle grimaça en prenant un air entendu où il crut lire un zeste de compassion.
La Corse ne représentait pas une destination de prédilection pour les fonctionnaires français. Les non-Corses s’entend. Du moins chez les plus sensés, l’immense majorité. Sinon, il existe toujours des avides de promotion express. Comme toujours et partout.
Par exemple, la Corrèze était beaucoup plus recherchée.
– T’as une couverture, au moins ? demanda Isabelle avec anxiété.
C’était une bonne question, pensa Pierre Cavalier. Un flic ou un gendarme en Corse, qui plus est un RG, un flicard « politique », ça partage la même angoisse existentielle qu’une palombe égarée dans le grand Sud-Ouest à l’époque de la migration qui est aussi celle de la chasse « traditionnelle », une autre spécificité hexagonale. Ça risque de se faire tirer à vue à tout moment, et ça le sait.
La seule différence étant qu’en Corse la chasse à l’emplumé y est ouverte toute l’année.
– La même que d’habitude pour passer incognito, répondit-il en haussant à nouveau les épaules. En gros, je dois me démerder.
– Mon pauvre chéri. Et…
– Non, la coupa-t-il. Personne pour y aller à ma place. Il paraît que je suis l’homme de la situation. Service de la République, mission vitale, vous êtes le meilleur.
– Et tu vas faire quoi ?
– Top secret. Tirer les marrons du feu pour je ne sais qui et je ne sais quoi. De toute façon, je dois partir mardi. Alors profitons de notre week-end.
– As-tu oublié que tu as invité ta mère à dîner demain soir ?
– Oh ! merde… je l’avais oublié ! fit-il.
Les relations entre Pierre Cavalier et sa mère, Nicole Puytrac, étaient des plus épisodiques bien qu’habitant tous deux le même quartier à un jet de station de métro. « À deux pas », disait sa mère.
Le couple Cavalier habitait rue du Commerce et Mme Puytrac rue Desaix. Mais un sourd et double contentieux pesait entre la mère et le fils. Le fantôme d’un cadavre ancien, celui de son oncle Pierre Tombre, assassiné le 23 juillet 1965, et celui, plus récent, de son géniteur, François Cavalier, ministre de la Justice et garde des Sceaux « suicidé » le jeudi 17 juillet de cette année*. « Par ta faute ! » lui avait lâché sa mère au téléphone encore récemment.
Pierre Cavalier et sa femme avaient rencontré par hasard Nicole Puytrac chez le fleuriste de La Motte-Picquet. Pierre avait alors invité sa mère à dîner sur les instances d’Isabelle qui tenait à ce que sa fille voie sa grand-mère de temps à autre, même si elle ne lui en aurait pas confié la garde une seule journée.
– De toute façon, dit Isabelle pour décrisper son mari, Phil sera là et il saura amadouer ta mère avec son côté vieille France. Et puis, ils ont le même âge, cinquante-sept ans.
Phil – Philippe-Henri Dumontar – professeur agrégé de lettres original, spécialiste reconnu de Racine et de Corneille, enseignant dans une institution religieuse prestigieuse, ex-serial killer – mais c’était son secret** – reconverti en grand-père présentement paisible, était l’homme que chérissait le plus Isabelle Cavalier, après son mari, bien sûr.
– On m’envoie au pays des châtaignes ! maugréa Pierre Cavalier après que sa femme Isabelle eut refermé doucement la porte de la chambre de leur fille Philippine.
Isabelle le regarda d’un air surpris.
– Tu pars en Ardèche ?
Il haussa les épaules.
– Non, la Corse !
Elle grimaça en prenant un air entendu où il crut lire un zeste de compassion.
La Corse ne représentait pas une destination de prédilection pour les fonctionnaires français. Les non-Corses s’entend. Du moins chez les plus sensés, l’immense majorité. Sinon, il existe toujours des avides de promotion express. Comme toujours et partout.
Par exemple, la Corrèze était beaucoup plus recherchée.
– T’as une couverture, au moins ? demanda Isabelle avec anxiété.
C’était une bonne question, pensa Pierre Cavalier. Un flic ou un gendarme en Corse, qui plus est un RG, un flicard « politique », ça partage la même angoisse existentielle qu’une palombe égarée dans le grand Sud-Ouest à l’époque de la migration qui est aussi celle de la chasse « traditionnelle », une autre spécificité hexagonale. Ça risque de se faire tirer à vue à tout moment, et ça le sait.
La seule différence étant qu’en Corse la chasse à l’emplumé y est ouverte toute l’année.
– La même que d’habitude pour passer incognito, répondit-il en haussant à nouveau les épaules. En gros, je dois me démerder.
– Mon pauvre chéri. Et…
– Non, la coupa-t-il. Personne pour y aller à ma place. Il paraît que je suis l’homme de la situation. Service de la République, mission vitale, vous êtes le meilleur.
– Et tu vas faire quoi ?
– Top secret. Tirer les marrons du feu pour je ne sais qui et je ne sais quoi. De toute façon, je dois partir mardi. Alors profitons de notre week-end.
– As-tu oublié que tu as invité ta mère à dîner demain soir ?
– Oh ! merde… je l’avais oublié ! fit-il.
Les relations entre Pierre Cavalier et sa mère, Nicole Puytrac, étaient des plus épisodiques bien qu’habitant tous deux le même quartier à un jet de station de métro. « À deux pas », disait sa mère.
Le couple Cavalier habitait rue du Commerce et Mme Puytrac rue Desaix. Mais un sourd et double contentieux pesait entre la mère et le fils. Le fantôme d’un cadavre ancien, celui de son oncle Pierre Tombre, assassiné le 23 juillet 1965, et celui, plus récent, de son géniteur, François Cavalier, ministre de la Justice et garde des Sceaux « suicidé » le jeudi 17 juillet de cette année*. « Par ta faute ! » lui avait lâché sa mère au téléphone encore récemment.
Pierre Cavalier et sa femme avaient rencontré par hasard Nicole Puytrac chez le fleuriste de La Motte-Picquet. Pierre avait alors invité sa mère à dîner sur les instances d’Isabelle qui tenait à ce que sa fille voie sa grand-mère de temps à autre, même si elle ne lui en aurait pas confié la garde une seule journée.
– De toute façon, dit Isabelle pour décrisper son mari, Phil sera là et il saura amadouer ta mère avec son côté vieille France. Et puis, ils ont le même âge, cinquante-sept ans.
Phil – Philippe-Henri Dumontar – professeur agrégé de lettres original, spécialiste reconnu de Racine et de Corneille, enseignant dans une institution religieuse prestigieuse, ex-serial killer – mais c’était son secret** – reconverti en grand-père présentement paisible, était l’homme que chérissait le plus Isabelle Cavalier, après son mari, bien sûr.
* Voir Un vague arrière-goût.
** Voir Sous le signe du rosaire.
© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.
© Alain Pecunia, 2009.
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