mardi 24 février 2009

Noir Express : "Corses toujours" (C. C. X) par Alain Pecunia, Chapitre 4 (suite et fin)

Chapitre 4 (suite et fin)





Cavalier se demanda un instant dans quel camp se situait réellement son interlocuteur. L’indicateur dut deviner son interrogation muette.
– Vous savez, moi je renseigne mon cousin Tomasini et je suis à la fois nationaliste, mais ça ne m’empêche pas d’être corse avant tout, dit-il à voix basse.
Ce qui ne rassura pas pour autant Cavalier. Surtout qu’il n’avait pas encore de piste.
– Qu’est-ce qu’il cherchait, mon prédécesseur ? finit-il par demander alors qu’ils atteignaient l’ascenseur.
– Ah ! ça…, fit le Corse en hochant la tête d’un air entendu et qui se tut jusqu’à ce qu’ils soient ressortis dans la grande cour d’honneur que dominait la statue de l’oncle de Napoléon.
Le commandant Cavalier ne supportait pas les indics qui jouaient les importants. Et encore moins celui-ci qui semblait le traiter en subalterne et sur lequel il n’avait aucun moyen de pression lui permettant de le bousculer un peu.
Il dépendait de lui pour cette mission. Il était même à sa merci si l’on considérait bien les choses.
La mine du Corse s’était faite de plus en plus sombre. Genre ténébreux contrarié qui rumine sa contrariété comme une polenta aux châtaignes.
– C’est pire que le coup du préfet Érignac, finit-il par lâcher rageusement alors qu’ils étaient à la hauteur de la statue du cardinal Fesch. Un coup machiavélique !
Cavalier se tourna vers lui en haussant les sourcils. Tous les coups tordus étaient machiavéliques, ou tentaient de l’être.
Les services dont c’était le boulot avaient tous une conception très particulière du machiavélisme, pensa Pierre. Plus leurs coups étaient tortueux, plus ils se sentaient proches de Machiavel. Alors que le véritable machiavélisme, c’était la simplicité et la limpidité même. Du pur cartésianisme appliqué à un domaine particulier.
– Ils veulent se faire le Chichi, avait enchaîné le Corse.
Le commandant Cavalier trouvait que c’était une drôle d’idée. Surtout, que ça sautait les échelons protocolaires de la République un peu brutalement. Qu’ils auraient d’abord pu se faire la main sur un échelon intermédiaire comme un ministre. Dont le ministère était le moins concerné possible par la Corse, même, afin que son titulaire bénéficie de la protection la plus faible.
Cavalier se ressaisit. Il trouva son raisonnement « osé » pour un fonctionnaire de police. Même si c’était son boulot d’imaginer les hypothèses les plus folles.
L’ambiance locale devait déteindre sur lui, pensa-t-il subrepticement.
En fait, comme bien souvent, il s’était mis à tourner autour du pot. Pour apprivoiser l’idée qu’il était sur la piste d’un « gros » coup, qui, contrairement à ce que croient les non-initiés, n’est pas fait pour faire bander un flic. La roche Tarpéienne est toujours proche du Capitole…
En langage clair, une mort accidentelle n’est jamais loin d’un aussi gros coup.
– Vous y croyez réellement ? demanda Cavalier en voulant croire pour sa part à une fausse piste qui lui permettrait de prendre le premier vol d’Air France en partance pour la civilisation.
Mais il ne se faisait pas d’illusion. Sinon, on ne l’aurait pas expédié ici.
– Le véritable sentiment national corse est victime de tous ces coups tordus concoctés entre Paris et certains nationalistes. C’est un immense mano a mano, comme disent les Espagnols. Entre complices de vieille date. Là, il s’agit de buter Chichi en faisant croire que c’est un exploit des nationalistes corses. Ce qui arrange à la fois les concepteurs de l’embrouille et certains nationalistes.
Le commandant Cavalier avait du mal à suivre.
– C’est des Corses ou pas des Corses qui vont le tuer ?
– Des Corses, oui, mais pas vraiment des Corses…
– C’est-à-dire ? demanda Cavalier.
– C’est les fachos qui vont faire le coup, mais des pros. La main-d’œuvre traditionnelle, quoi ! Je ne vais quand même pas vous faire un dessin…, s’énerva le « cousin ».
Cavalier se sentit vexé de cette rebuffade.
Il se doutait bien à qui on avait affaire, mais il lui fallait des précisions. Précises si possible ! se dit-il en crispant les mâchoires.
– Vous avez des noms ? demanda-t-il alors qu’ils atteignaient la rue Fesch.
– Mieux que ça ! On va vous les livrer…
Le Corse regarda Cavalier pour constater l’effet produit par sa révélation.
Le commandant lui rendit une mimique admirative.
– Fichtre ! dit-il. Mais moi je suis tout seul…
– Ne vous inquiétez pas, le coupa le Corse. Mes amis et moi, on s’occupe de tout.
Pierre Cavalier comprit que de « bons » nationalistes corses allaient livrer de « mauvais » nationalistes corses. Ce qui le mena à nouveau à s’interroger, en vain, sur la position réelle du « cousin » sur cet échiquier bancal.
Et en échange de quoi ? se demanda-t-il.
– On se quitte là, lui dit le Corse sans lui tendre la main et sans avoir répondu à sa question. Demain même heure, mais devant le musée A Bandera. Vous voyez où c’est ?
– Non, mais je trouverai.
– Je vous informerai à ce moment-là des modalités pour la livraison. D’ici là, ajouta-t-il en lui tendant une carte de visite professionnelle, s’il y a un problème, passez à mon agence de location de voitures
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© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.

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