Chapitre 4
Le commandant Cavalier débarqua à l’aéroport d’Ajaccio à onze heures et quart le mardi 2 décembre.
Il avait pris à Orly le vol AF4500 de la compagnie Air France. Celui de neuf heures trente-cinq.
C’était la première fois qu’il venait en Corse et il était surpris par la différence de température avec la capitale du continent. Il faisait déjà 18° C.
Il monta dans un taxi qui parcourut trop rapidement à son goût les six kilomètres séparant l’aéroport de la ville, ne lui laissant guère le temps d’admirer la baie. Il eût aimé que ce trajet durât plus longtemps. Pierre Cavalier n’avait aucune hâte d’arriver.
Le taxi s’engagea dans le cours Napoléon, l’artère principale, et tourna à droite, après avoir dépassé l’église Saint-Roch pour le déposer devant son hôtel.
Il avait largement le temps de déjeuner avant de se rendre à son rendez-vous avec le « cousin » du sous-directeur Tomasini, mais se contenta d’un assortiment de charcuteries corses. Puis il remonta dans sa chambre pour consulter brièvement sur son portable quelques adresses.
En sélectionnant le site de la préfecture, il découvrit avec surprise qu’une visite virtuelle en était proposée. Comprenant même le bureau du préfet. Il se dit que l’État était bien masochiste ou que le palais Lantivy – c’était son nom – était mieux gardé que l’Élysée. Ce qui n’était guère rassurant. Ou alors que les plastiqueurs éprouvaient un profond respect pour le style néo-classique de cette bâtisse d’un étage qui évoquait pourtant, avec ses palmiers, l’édifice colonial type. À moins qu’ils ne fussent respectueux du mobilier national.
Son hôtel étant à deux pas du musée Fesch, Pierre Cavalier se retrouva à quinze heures précises en train de contempler L’Homme au gant du Titien dans la salle Raphaël du premier étage.
Il n’aimait guère les prises de contact dans ces lieux publics, surtout hors saison et qu’il est impossible de passer inaperçu. Mais Tomasini en avait décidé ainsi.
Deux minutes plus tard, un homme d’une cinquantaine d’années, de taille moyenne, genre sportif empâté, l’air jovial, s’approcha de lui et fit semblant de partager son intérêt pour le tableau.
– Le gant est sombre, dit l’inconnu tout en ne quittant pas le tableau des yeux.
– Mais le visage est lumineux, répondit Cavalier en se tournant vers le « cousin ».
Le contact était établi. Pour le meilleur et pour le pire, songea Pierre Cavalier.
Ils déambulèrent au premier étage de salle en salle tout en échangeant des phrases brèves. Faisant semblant d’admirer toutes ces splendeurs : Véronèse, Botticelli, le Triptyque de Rimini…
Le commandant Cavalier découvrit avec satisfaction que le « cousin » du sous-directeur était un indicateur de premier ordre. Parfaitement introduit dans la mouvance du nationalisme corse puisqu’il en était un des responsables. Mais il ne parvint pas à savoir à quel groupe ou groupuscule il appartenait. En tout cas, il avait un réel lien de parenté – qui eût semblé lointain pour un continental – avec le sous-directeur Tomasini.
– J’espère que vous aurez plus de chance que votre prédécesseur, lui dit le « cousin » sur le ton de la conversation la plus banale alors qu’ils changeaient de salle.
Pierre se tourna vers lui en arquant les sourcils. Que lui avait-on caché dès le départ ?
– Il a fait une mauvaise chute sur un sentier muletier fin septembre, compléta le Corse sur le même ton et en haussant les épaules.
Il remarqua l’air soudain contrarié de Cavalier.
– Ici, quand on est clandestin, vaut mieux être prudent, s’empressa-t-il de poursuivre.
Le commandant comprit sans besoin de traduction que le terme de « clandestin » ne désignait pas ici un militant nationaliste immergé dans la clandestinité, mais un flic métropolitain agissant en solo et incognito dans l’île de Beauté.
Il se trouvait brusquement plongé dans un monde aux valeurs inversées et avait parfaitement compris à quel sort pouvait s’attendre un « clandestin » comme lui.
– Mais rassurez-vous. Avec moi comme mentor, vous ne risquez rien. Votre collègue, ils l’avaient lâché tout seul dans la nature sans aucun contact. Quelle connerie…
Pierre Cavalier ne put s’empêcher de réprimer un léger frissonnement. Il se sentait en territoire « hostile ».
– J’espère, reprit l’indicateur en se tournant vers lui, que vous n’avez pas pris une couverture à la con, genre représentant de commerce ou délégué pharmaceutique. Parce qu’ici, vous savez, ça fait vraiment bidon…
Le commandant eut un sourire gêné. Il était présentement « délégué » d’un labo pharmaceutique qui était habitué à fournir les couvertures.
Le « cousin » haussa les épaules d’un air résigné.
– Qu’est-ce qu’ils peuvent être cons à Paris ! lâcha-t-il pour lui-même. Ils font vraiment pas le poids avec nous. C’en est presque une misère.
© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.
Le commandant Cavalier débarqua à l’aéroport d’Ajaccio à onze heures et quart le mardi 2 décembre.
Il avait pris à Orly le vol AF4500 de la compagnie Air France. Celui de neuf heures trente-cinq.
C’était la première fois qu’il venait en Corse et il était surpris par la différence de température avec la capitale du continent. Il faisait déjà 18° C.
Il monta dans un taxi qui parcourut trop rapidement à son goût les six kilomètres séparant l’aéroport de la ville, ne lui laissant guère le temps d’admirer la baie. Il eût aimé que ce trajet durât plus longtemps. Pierre Cavalier n’avait aucune hâte d’arriver.
Le taxi s’engagea dans le cours Napoléon, l’artère principale, et tourna à droite, après avoir dépassé l’église Saint-Roch pour le déposer devant son hôtel.
Il avait largement le temps de déjeuner avant de se rendre à son rendez-vous avec le « cousin » du sous-directeur Tomasini, mais se contenta d’un assortiment de charcuteries corses. Puis il remonta dans sa chambre pour consulter brièvement sur son portable quelques adresses.
En sélectionnant le site de la préfecture, il découvrit avec surprise qu’une visite virtuelle en était proposée. Comprenant même le bureau du préfet. Il se dit que l’État était bien masochiste ou que le palais Lantivy – c’était son nom – était mieux gardé que l’Élysée. Ce qui n’était guère rassurant. Ou alors que les plastiqueurs éprouvaient un profond respect pour le style néo-classique de cette bâtisse d’un étage qui évoquait pourtant, avec ses palmiers, l’édifice colonial type. À moins qu’ils ne fussent respectueux du mobilier national.
Son hôtel étant à deux pas du musée Fesch, Pierre Cavalier se retrouva à quinze heures précises en train de contempler L’Homme au gant du Titien dans la salle Raphaël du premier étage.
Il n’aimait guère les prises de contact dans ces lieux publics, surtout hors saison et qu’il est impossible de passer inaperçu. Mais Tomasini en avait décidé ainsi.
Deux minutes plus tard, un homme d’une cinquantaine d’années, de taille moyenne, genre sportif empâté, l’air jovial, s’approcha de lui et fit semblant de partager son intérêt pour le tableau.
– Le gant est sombre, dit l’inconnu tout en ne quittant pas le tableau des yeux.
– Mais le visage est lumineux, répondit Cavalier en se tournant vers le « cousin ».
Le contact était établi. Pour le meilleur et pour le pire, songea Pierre Cavalier.
Ils déambulèrent au premier étage de salle en salle tout en échangeant des phrases brèves. Faisant semblant d’admirer toutes ces splendeurs : Véronèse, Botticelli, le Triptyque de Rimini…
Le commandant Cavalier découvrit avec satisfaction que le « cousin » du sous-directeur était un indicateur de premier ordre. Parfaitement introduit dans la mouvance du nationalisme corse puisqu’il en était un des responsables. Mais il ne parvint pas à savoir à quel groupe ou groupuscule il appartenait. En tout cas, il avait un réel lien de parenté – qui eût semblé lointain pour un continental – avec le sous-directeur Tomasini.
– J’espère que vous aurez plus de chance que votre prédécesseur, lui dit le « cousin » sur le ton de la conversation la plus banale alors qu’ils changeaient de salle.
Pierre se tourna vers lui en arquant les sourcils. Que lui avait-on caché dès le départ ?
– Il a fait une mauvaise chute sur un sentier muletier fin septembre, compléta le Corse sur le même ton et en haussant les épaules.
Il remarqua l’air soudain contrarié de Cavalier.
– Ici, quand on est clandestin, vaut mieux être prudent, s’empressa-t-il de poursuivre.
Le commandant comprit sans besoin de traduction que le terme de « clandestin » ne désignait pas ici un militant nationaliste immergé dans la clandestinité, mais un flic métropolitain agissant en solo et incognito dans l’île de Beauté.
Il se trouvait brusquement plongé dans un monde aux valeurs inversées et avait parfaitement compris à quel sort pouvait s’attendre un « clandestin » comme lui.
– Mais rassurez-vous. Avec moi comme mentor, vous ne risquez rien. Votre collègue, ils l’avaient lâché tout seul dans la nature sans aucun contact. Quelle connerie…
Pierre Cavalier ne put s’empêcher de réprimer un léger frissonnement. Il se sentait en territoire « hostile ».
– J’espère, reprit l’indicateur en se tournant vers lui, que vous n’avez pas pris une couverture à la con, genre représentant de commerce ou délégué pharmaceutique. Parce qu’ici, vous savez, ça fait vraiment bidon…
Le commandant eut un sourire gêné. Il était présentement « délégué » d’un labo pharmaceutique qui était habitué à fournir les couvertures.
Le « cousin » haussa les épaules d’un air résigné.
– Qu’est-ce qu’ils peuvent être cons à Paris ! lâcha-t-il pour lui-même. Ils font vraiment pas le poids avec nous. C’en est presque une misère.
© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.
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