jeudi 26 février 2009

Noir Express : "Corses toujours" (C. C. X) par Alain Pecunia, Chapitre 6

Chapitre 6





Le lendemain matin, Pierre Cavalier se défila de l’hôtel de bonne heure pour échapper à son « visiteur médical » et prit son petit déjeuner dans l’arrière-salle d’un café du cours Napoléon le plus éloigné possible de son hôtel.
Il y attendait qu’il soit neuf heures tout en écoutant la radio du bar d’une oreille discrète. Il avait l’intention de se rendre à l’agence de location de voitures pour y rencontrer le « cousin » du sous-directeur et lui demander s’il connaissait un certain Jean Peligrini. Puisque ce dernier prétendait venir souvent dans la région, il était peut-être identifié d’une façon ou d’une autre. Dans le cas contraire, il était réellement ce qu’il prétendait être.
À huit heures trente, au flash info, une voix neutre annonça la mort d’un éminent responsable du mouvement nationaliste corse. Deux « inconnus » en moto l’avaient abattu de cinq balles alors qu’il sortait de chez lui et se dirigeait vers son véhicule garé dans la rue.
La même voix neutre fit la nécro de Jérôme Ferlatti.
Pierre Cavalier faillit en lâcher sa tasse.
Le défunt était son contact. L’indic.
Il se sentit soudainement vulnérable.
Sa première pensée fut de se remémorer les horaires des vols d’Air France vers le continent. Puis il songea subitement à sa grand-tante. Ce qui le surprit car, lorsqu’il avait un problème, penser à s’adresser à un membre de sa famille eût été sa dernière idée et ne lui serait même jamais venu à l’esprit en temps ordinaire.
Ses grands-parents maternels étaient décédés et sa mère, Nicole Puytrac, avait participé au meurtre de Pierre Tombre. Son « oncle ». Tout au moins le frère aîné de Jacques Tombre, l’homme qui l’avait élevé et avait laissé s’accomplir le meurtre.
Du côté paternel « biologique », c’était pire. Xavier Cavalier pour grand-père, éminence grise des services spéciaux pendant près d’un demi-siècle, quatre-vingt-seize ans, plus toute sa tête et pas mal de tuyaux que personne n’osait débrancher tant il avait été redoutable, et feu François Cavalier comme géniteur, digne fils et digne collaborateur puis successeur du père dans les basses œuvres de l’État. Jusqu’à son « suicide » en juillet dernier.
Bref, une famille à gerber, se disait-il pour l’énième fois lorsqu’il sonna à la porte de l’appartement de la grand-tante au premier étage d’un immeuble d’une rue proche de la place des Palmiers.
Il avait longtemps hésité et tourné en rond dans le quartier de la Citadelle avant de s’y rendre. Mais il savait qu’il ne pouvait rester à traîner ainsi dans les rues de la ville alors qu’il pouvait être identifié à tout moment par les services chargés de l’enquête comme étant une des dernières personnes ayant rencontré Jérôme Ferlatti vivant. Ou qu’il pouvait être recherché par ses assassins.
Il était onze heures trente quand il avait pénétré dans l’immeuble en se disant qu’en cas de malchance il aurait au moins un alibi. Même si personne n’y croirait.
Il fut surpris que la porte de l’appartement s’ouvrît aussi rapidement après son coup de sonnette et qu’une jeune femme d’une trentaine d’années vienne lui ouvrir.
Il crut s’être trompé d’appartement. Mais il était bien chez Mme Jeanne Collieri. Sa grand-tante. Dont la jeune femme était la petite-nièce. Élisa Matocelli. Donc une cousine dont il renonça à chercher le degré de parenté exact. – Ce n’était pas son fort.
Élisa conduisit Pierre Cavalier jusqu’à la cuisine où la grand-tante, mégot de cigarette roulée aux lèvres, épluchait des légumes au-dessus de l’évier.
– C’est qui ? demanda-t-elle d’une voix forte en tournant à peine la tête pour dévisager le nouveau-venu et en plissant les yeux à cause de la fumée dégagée par le mégot.


© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.

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