dimanche 31 août 2008

Noir Express : "Cadavres dans le blockhaus" (C. C. IV) par Alain Pecunia, Chapitre 10

Chapitre 10





« C’est pas Christine. C’est pas Christine… », ne cessais-je de me répéter en tournant en rond dans le salon de la villa. Pour essayer de m’en convaincre.
Mais si ce n’était pas elle, où était-elle cette salope ? Où gisait-elle ?…
Je n’avais pas de réponse. J’étais revenu à la case départ. Et ce putain de téléphone qui sonnait maintenant à heure fixe. Raccrochant quand je le décrochais.
C’était quoi ? C’était qui ?
Je ne dormis pas de la nuit. En plus, j’avais attrapé la crève.
J’aurais dû me sentir soulagé. Mais je ne l’étais pas. J’étais secoué nerveusement. Angoissé. Peur du noir. Avec la vision de ce putain de mannequin qui se superposait au corps dénudé et sans vie de cette garce de Christine.
Et au matin, le samedi, ça re-sonna. Mais ne raccrocha pas.
– Allô ! Allô ! hurlai-je. C’est quoi ce cirque ?… Qu’est-ce que vous me voulez ?… Aie un peu de courage putain de corbeau !
Ça raccrocha.
J’étais en sueur. L’angoisse et la crève tout à la fois. Je pris alors une douche bien chaude.
À midi ça resonna.
– Ooouais ! hurlai-je en décrochant rageusement.
– Gueule pas comme ça ! C’est moi, Jean.
– Jean ?… fis-je en me laissant tomber sur le fauteuil près du téléphone.
– Ben oui, Jean ! Tu ne me reconnais pas ? T’as un problème ?…
Sa voix était pleine d’inquiétude.
– Non, non, j’étais en train de penser à autre chose… Ça va.
Et c’était vrai. Ça allait beaucoup mieux depuis que j’avais entendu la voix de Jean. Pour une fois que ce putain de téléphone ne raccrochait pas ! J’en étais soulagé. Je l’aurais embrassé s’il avait été devant moi. Enfin, façon de parler, car si Christine était parvenue à l’ensorceler, c’était pas par le cul. Jean il était homo. Moi pas. Ou pas encore. Les femmes, c’était fini pour moi. Onze ans de Christine m’avaient vacciné.
Jean resta silencieux à l’autre bout. Dès qu’il devenait silencieux, je savais qu’il y avait un problème. C’était sa façon d’annoncer les emmerdes. Et il accompagnait son silence d’un air boudeur. Que je pouvais deviner au téléphone.
– Il y a un problème ? demandai-je.
– Oui.
– Grave ?
– Non.
– Alors ?
– C’est le grossiste qui veut te voir, dit-il timidement.
– Le grossiste ? Je ne vois pas…
– Mais si, tu vois. Le gros-sis-te !
– Accouche ! lui dis-je. On va pas rester une plombe à jouer aux devinettes !
– Oh ! te fâche pas… Et puis j’aime pas quand t’emploies ces termes grossiers… C’est vraiment pas classe. « Accouche ! » T’es vulgaire, c’est pas possible…, minauda-t-il.
Il fallait que je le coupe, car question digressions il se posait là.
– Excuse-moi et précise-moi, s’il te plaît.
– Je préfère comme ça… Eh ben, c’est celui de Christine…
– Celui de…
– Tu fais exprès ou quoi aujourd’hui ? Son grossiste !
– Merde ! fis-je.
Celui-là, je l’avais zappé.
– Ben justement ! fit-il.
– Je ne vois pas le rapport ?
– Ben si, il veut te voir… pour parler affaires.
– Mais il sait que je suis en vacances et que j’y pense à nos affaires.
– Ben oui ! Mais il veut t’en parler de vive voix.
Ça me contrariait.
– Dis-lui que je ne peux pas revenir pour l’instant.
– Ben oui. Il le sait. C’est pourquoi il veut venir te voir dans ton bled.
Pour Jean, tout ce qui n’était pas la Tunisie ou le Maroc était nul et non avenu. Même la Côte d’Azur, excepté Saint-Trop.
– Mais pourquoi il ne veut pas voir plutôt Christine ? Ou nous deux ensemble ?
– Il a dit que pour Christine c’est pas la peine. C’est toi qu’il veut voir. Seul.
Je réfléchissais rapidement tout en écoutant Jean.
Il ne m’avait pas encore parlé de Christine ni demandé de ses nouvelles. Mais Jean était très tête en l’air et il n’était qu’un pion. Je n’y prêtai donc pas plus d’attention.
Le « grossiste », en revanche, aurait dû s’inquiéter de ne plus avoir de nouvelles de Christine et souhaiter la rencontrer. Elle était son intermédiaire. Pas moi. Et ça faisait déjà une quinzaine qu’il n’avait plus de contacts avec elle.
Et c’était moi qu’il souhaitait rencontrer, comme faisant une croix sur Christine. Cela signifiait qu’il devait enfin avoir pressenti l’embrouille, même s’il était dans l’ignorance de ses tenants et aboutissants. Les coups de fil anonymes, c’était peut-être lui. Cherchant à la joindre.
Logique. D’ailleurs, je m’étais attendu à ce type de problème dès le moment où j’avais envisagé d’éliminer Christine. Le grossiste devait se manifester à un moment ou à un autre dès qu’il n’aurait plus directement de ses nouvelles. C’était fait. Et je devais l’éliminer aussi. Ce qui restait à faire. Car il ne pourrait jamais accepter que je l’aie mené en bateau. De toute façon, il représentait un danger et était une partie de mes emmerdes. Et je n’envisageais pas de m’associer avec ce type de businessman. Mon restau et mon quartier suffisaient largement à mon bonheur. Surtout sans Christine. Ce redeviendrait mon petit paradis.
Jean était en train de me dire que le grossiste souhaitait que la rencontre soit discrète, et ça tombait bien. Son élimination devait l’être aussi.
– Il souhaite que vous vous rencontriez à La Baule lundi midi.
– C’est parfait pour moi, répondis-je à Jean. Propose-lui devant le Casino.
Mais le grossiste de Christine, je ne l’avais jamais rencontré.
– Comment vais-je le reconnaître ? demandai-je.
Jean eut un petit rire.
– T’inquiète pas. Il te connaît. Et toi aussi !
– Moi aussi ? fis-je étonné. Mais qui est-ce ?
– Je ne peux pas te le dire. Il veut que ce soit une surprise pour toi. Chanceux, va ! minauda Jean.
Je gambergeais sec en essayant de trouver qui pouvait bien être ce colporteur de mort parmi mes relations.
– Fais la bise à Christine, conclut Jean avant de raccrocher.
Tiens ! il pensait enfin à elle. C’était bien lui, ça.



© Alain Pecunia, 2008.
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