mercredi 6 août 2008

Noir Express : "National, toujours !" (C. C. II) par Alain Pecunia, Chapitre 17

Chapitre 17





Ce même jeudi matin, la filature de Jean Ferniti fut engagée dès sa sortie du hall de son bâtiment, le E.
Une équipe de sept inspecteurs chargés de fouiner dans la cité et ses alentours se mirent en activité peu de temps après.
Ce furent deux inspectrices qui eurent le plus de chance. Grâce à leur look « cité ».
Jean Ferniti était un homme sans histoire. Un peu bougon et arrogant. Plutôt isolé dans la cité puisqu’on ne lui connaissait qu’un seul ami, un certain Albert Papinski, machinot à la RATP. Un peu pilier de bistrot malgré tout. Parfois tanguant mais jamais agressif.
– Demandez au bar Chez P’tit Louis, c’est trois cents mètres après la cité en prenant le boulevard Zola.
P’tit Louis ne se fit pas prier pour bavarder un peu avec les deux inspectrices. Ça le changeait de la Simone qui était justement en train de bouder au fond du café depuis l’entrée des deux fliquettes. Faut dire qu’elles étaient plutôt mignonnes et plus proches du mythe Casque d’Or que la serveuse.
Elles apprirent qu’ils étaient du genre anciens combattants entre eux. Qu’ils venaient quasiment tous les soirs et parfois le midi le week-end. Ou l’un sans l’autre, selon les horaires du Papinski, le r-atépiste.
Ils carburaient au double pastis, avec juste deux glaçons. Des puristes en la matière. Deux tournées en général, parfois trois. Jamais plus. Du moins ici.
– Ils ne tiennent guère l’alcool, vous savez.
– Et ces derniers temps, rien de particulier ?
– Non, rien, fit le patron en haussant les épaules. À part que les habitués ont un peu chambré Ferniti à cause du triple assassinat qu’il y a eu dans sa taule.
– Sa réaction ? demanda l’inspectrice.
– Il les a envoyés balader. Il était contrarié. Ça se comprend. Surtout qu’il paraît que, question boulot, c’est un vrai consciencieux, à l’ancienne.
La Simone avait fini par se rapprocher par curiosité.
– Ils boivent moins, lâcha-t-elle dans le dos des deux inspectrices qui, surprises, firent volte-face brusquement.
– On t’a rien demandé à toi ! jeta le patron hargneux.
– Ils boivent moins que je dis, moi. Ça, c’est particulier !
Bien qu’entre femmes elle pouvait quand même pas leur dire que le Jeannot il ne lui tapotait plus la fesse quand elle le servait. Même plus un regard. Ça aussi, c’était particulier.
– Et depuis quand ? demanda une des inspectrices avec un sourire d’assistante maternelle.
– Depuis ce lundi tout juste, répondit-elle fièrement campée dans ses charentaises vu qu’elle voyait bien que ça les intéressait les petites dames.
En début d’après-midi, le commissaire principal Lesieur, en faisant le point de l’affaire avec son supérieur le divisionnaire Berthier, mit de côté cette information. Elle n’était pas significative en soi.
Comme le fait que Jean Ferniti fût jugé grognon par ses voisins.
Il trouva plus intéressante l’information communiquée par l’inspecteur qui avait filé Jean Ferniti jusqu’aux Établissements Legrand.
D’après le patron du bar-restau Aux Amis, un certain Marcel, le jour du triple crime, le Ferniti avait un drôle de regard en arrivant pour déjeuner.
– « Un regard de tueur », m’a-t-il dit. Il a même ajouté : « J’ai fait l’Indo et je sais de quoi je parle ! » C’est intéressant, non, patron ? avait conclu le jeune inspecteur avant de raccrocher le téléphone.
Sûr que c’était intéressant. Surtout que rien ne permettait de soupçonner Jean Ferniti dans cette affaire. Son alibi était imparable. Le crime passionnel était évident. Le meurtre parfait.
– Mais non ! Justement, l’évidence, c’est ce que vient foutre ce poignard commando dans un meurtre passionnel. Ce n’est ni Ahmed ni Yvonnick et encore moins la secrétaire qui pouvait détenir ce genre d’outil ! s’exclama à haute voix le commissaire. Ce poignard est de trop dans le scénario. Il est incongru… Il aurait fallu une paire de ciseaux ou un couteau de poche pour un crime passionnel ! Il y avait préméditation !
Le divisionnaire Berthier aimait bien voir son adjoint dans cet état-là. C’est dans de tels moments qu’il était le plus productif. Le dénouement suivait de près en général.
– C’est bien mon branleur de la cité, je te dis ! jubila Lesieur.
– En attendant, dit le divisionnaire, on continue la filature du Ferniti et on rajoute le Papinski. Ton dispositif sur la cité est excellent. Maintiens-le. Mais personne à l’intérieur du bar Chez P’tit Louis. Il n’y a que des habitués et un nouveau ferait désordre dans le décor. Surveillez seulement les abords. De toute façon, le patron est un indic des Stups. Ils nous le « prêtent » jusqu’à dimanche…
– Jusqu’à dimanche ? le coupa, surpris, Lesieur.
– Oui, dimanche. Donc, samedi soir au plus tard, tu me les arrêtes tous les deux.
– Je croyais avoir le feu vert pour les suivre un peu plus longtemps… Je voulais être sûr qu’il n’y ait personne au-dessus d’eux. Il y a un truc que je ne sens pas au niveau de la motivation… Curieux quand même que les RG n’aient rien sur l’un ou sur l’autre, conclut-il contrarié.
– Allez, ne complique pas les choses. Nous tenons sûrement nos deux assassins et je ne veux pas risquer un nouveau meurtre, malgré tout ton excellent dispositif. Ce sont les ordres. Surtout que la tension ne cesse de monter dans cette cité. Un autre crime et c’est l’explosion assurée.



© Alain Pecunia, 2008.
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