samedi 30 août 2008

Noir Express : "Cadavres dans le blockhaus" (C. C. IV) par Alain Pecunia, Chapitre 9 (suite et fin)

Chapitre 9 (suite et fin)





Je regagnai la plage à la fois soulagé et las. Faut dire que je venais de passer trois heures dans la baille et qu’elle était pas encore bien chaude. J’en avais les jambes bleues et le poil recroquevillé.
Horreur ! La vieille dingue tout en blanc au chat noir de l’avant-veille m’attendait en compagnie du beauf au labrador. Elle faisait de grands moulinets, son ombrelle à bout de bras, pour me signifier de me dépêcher de les rejoindre. Le labrador, tenu en laisse, se mettant à japper et à me filer des coups de museau quand je m’approchai et à s’agripper à mon boxer-short avec ses petites papattes de fauve qui me labouraient le bas-ventre.
– C’est une femelle ! me jeta son maître hilare en faisant semblant de la retenir.
J’avais l’impression que le cauchemar recommençait. Qu’est-ce qu’ils me voulaient, ces cons ?
– Vous n’êtes pas au courant ? me demanda la vieille folle virant hystéro.
Gloussant et toussant tout à la fois. Mais ce n’était qu’une crise de fou rire.
– De quoi ?
Soudainement sur mes gardes.
– Mais de ce qu’a trouvé cette brave chienne en allant chercher sa baballe juste après votre départ !
Je pâlis et me mis à frissonner intérieurement et extérieurement.
– C’est le froid, dis-je pour éviter qu’elle ne tente un bouche-à-bouche ou, pire, de me réchauffer.
Elle évoquait pour moi la Dame blanche des histoires de fantômes à la con. L’annonciatrice des catas. « Si tu la vois, c’est qu’il y aura une mort ! Peut-être même la tienne. » Putain !
– Ça ne vous intéresse peut-être pas ? poursuivit-elle l’air déçu devant mon peu d’enthousiasme manifeste. Pourtant, c’est juste là où vous étiez en train de pêcher…, ajouta-t-elle la mine gourmande comme la mamie pédophile attirant le petit garçon avec des confitures.
Sachant que la tentation sera irrésistible.
Mais moi, je connaissais. J’avais donné. Je me retrouvais au point de départ. Anéanti. Sans autre issue que de tendre les bras et de réclamer les menottes.
– Pourtant, c’est curieux, n’est-ce pas, monsieur ? dit-elle en se tournant vers le beauf toujours aussi hilare, à croire que c’était un ancien brûlé de la face au lifting loupé.
En les contemplant tous les quatre, la vioque en blanc, le beauf au bermuda à fleurs et à la chemise hawaïenne, la chienne au regard implorant et le greffier à la mine hargneuse, je me dis que Goya aurait pu en tirer quelque chose.
– Et alors ? demandai-je pour en finir.
– Eh bien… la chienne… elle a retrouvé… des morceaux…, fit-elle lentement pour ménager le suspens.
L’autre con, il hochait la tête.
– Et de quoi ?… Devinez…
Je haussai les épaules. J’en avais franchement marre de ce cirque. J’avais envie de lui casser ses effets en lui assenant un : « Je sais. C’est le corps de ma femme ! », et de les planter là.
Je parvins à me contrôler. Avec un gros effort.
– Je donne ma langue au chat, fis-je quasi aimable.
Elle était déçue que je n’entre pas dans son jeu. Elle, elle était prête à y passer une plombe.
Elle haussa les épaules, résignée.
– Puisque que vous avez donné votre langue au chat, vous avez droit à la réponse… La brave chienne, eh bien, elle a trouvé les morceaux d’un corps humain !
Je m’y attendais, bien sûr, mais je sentis mes jambes fléchir et le beauf me soutenir par un bras.
– Ça va ? demanda-t-il avec inquiétude.
– Qu’est-ce que vous êtes un monsieur sensible, minauda la petite vieille.
Puis tous deux éclatèrent de rire.
– Ne vous inquiétez pas, dit le beauf me soutenant toujours. Ce n’était pas un corps humain.
Ils se foutaient de ma gueule, voulaient jouer avec mes nerfs, ou quoi ? Moi, je savais bien que c’était Christine. Qu’avec cette trempette elle avait peut-être plus grand-chose d’humain, surtout après la découpe. Mais c’était ma femme, bon Dieu !
– C’est impossible ! lâchai-je presque en criant.
Tout mon être hurlait intérieurement, sur l’air des lampions : « C’est Christine… c’est Christine… c’est… »
– Mais si ! insista la folle. Mais si qu’on vous dit !
L’autre beauf hochant la tête.
J’étais ébranlé. Mon disque interne bogua. Il y avait du court-jus au niveau des branchements. Je les regardais l’air ahuri.
– C’était un mannequin de cire cassé ! assena-t-elle tout en brandissant furieusement son ombrelle vers moi.
Ils étaient déçus de mon peu d’enthousiasme.
– Ah… mannequin de cire… cassé le mannequin…, articulai-je hébété.
– C’est drôle, non ? Mais je dis que c’est pas bien de traiter l’Océan comme une poubelle, ça non !
Ce devait être une ancienne prof.
J’acquiesçai bêtement, tentant vainement d’assimiler la nouvelle, les remerciai, tapotai la tête de la chienne, renonçai à caresser celle du chat, leur dis que je me sentais fatigué, très fatigué, qu’il fallait que je remonte.
– Je vous raccompagne ! fit la petite vieille joyeusement en me prenant par le bras pour me soutenir.
Mais c’est moi qui me la suis traînée jusqu’à ma voiture. Et il y avait beaucoup de marches à ce putain d’escalier pour remonter de la plage.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

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