jeudi 7 août 2008

Noir Express : "National, toujours !" (C. C. II) par Alain Pecunia, Chapitre 18

Chapitre 18





Jean Ferniti et Albert Papinski se retrouvèrent ce jeudi soir vers dix-neuf heures quinze au bar Chez P’tit Louis.
Les journaux télévisés et la presse écrite avaient tellement martelé que le triple meurtre d’Issy-les-Moulineaux était un crime passionnel résolu que les habitués ne prêtèrent même pas attention à Ferniti quand il traversa le bar pour aller s’asseoir à leur table du fond.
– Notre mission touche à sa fin, Bébert. Demain, on se retrouve ici à la même heure. On se permet une double tournée. On ressort à vingt heures trente. On parcourt les trois cents mètres et on s’engouffre dans les fourrés. La Kamil, elle revient de son cours vers vingt et une heures. C’est l’endroit le plus désert et elle est obligée de passer par-là. Ensuite, je monte dîner chez toi, comme ça ma présence calmera ta Germaine. Je lui dirai qu’on a parlé un peu plus que d’habitude. Personne ne pourra nous soupçonner.
– Et c’est moi qui y irai au poignard ? demanda Albert, inquiet.
– Non. Au couteau de boucher. Faut changer le coup du poignard, conclut péremptoire Ferniti.
Papinski eut un haut-le-corps. Il ne se voyait pas égorger la fille avec un couteau de boucher. Pas du tout. Déjà qu’au poignard c’était limite.
Mais il ne pouvait pas dire ça à Jean. Il ne voulait pas passer pour un foireux à ses yeux. Peut-être qu’avec un peu de chance le Jeannot il pourrait pas tirer son coup comme d’habitude, qu’il lui céderait son tour et que ce serait lui qui ferait l’égorgement…
– On lève le camp ! dit Jean, lui coupant le fil de ses pensées.
Après leur départ, l’inspecteur qui surveillait le bar entrouvrit la porte. P’tit Louis haussa les épaules derrière le bar. Ce qui signifiait qu’il n’y avait rien de particulier à signaler dans la conduite des deux « clients ».
Il les suivit à distance et les vit rentrer chacun dans leur hall.
Il ne put être le témoin du drame qui se déroula au troisième étage du bâtiment E.
Le Titi reposait sur le flanc à la surface du bocal.
Jean Ferniti l’avait tellement suralimenté depuis le début de la « mission » pour qu’il soit en forme pour lui dicter sa conduite que le poisson rouge en était crevé.
Ferniti pleura longuement, assis dans son fauteuil télé, enserrant le bocal dans ses bras.
– Mon Titi… mon Titi…
Il se sentait abandonné par ce qu’il avait de plus cher au monde. Juste le soir où il devait l’interroger sur la conduite à tenir à l’égard de Papinski.
Il était comme de nouveau orphelin. Lui qui l’avait toujours été jusqu’à ce qu’il rencontre son Titi sur les quais dans une animalerie. Même qu’il avait su tout de suite que c’était lui qui lui manquait depuis toujours.
Dès qu’il s’était approché de la vitre de l’aquarium avec ses gros yeux globuleux pleins de tendresse et avait ouvert la bouche à plusieurs reprises pour lui dire :
– Prends-moi, emmène-moi avec toi…
Jamais il n’aurait cru pouvoir être autant malheureux. Éprouver une telle souffrance et un tel sentiment d’abandon.
Non, jamais. Sinon que c’est peut-être ce qu’il avait ressenti quand il avait été abandonné à la Dasse. Mais non, il était con de penser ça. Il pouvait pas se rappeler. Il venait tout juste de naître.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

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