vendredi 22 août 2008

Noir Express : "Cadavres dans le blockhaus" (C. C. IV) par Alain Pecunia, Chapitre 4 (suite et fin)

Chapitre 4 (suite et fin)





J’étais affolé à la seule idée de la perdre un jour. Je lui accordai donc son « espace de liberté » un week-end sur deux. Mais ce fut rapidement selon son bon vouloir.
Je redevenais fou de jalousie mais n’envisageais pas de me séparer d’elle. Elle était devenue ma drogue intégrale tant elle savait être dans nos ébats une salope absolue. Même si je souffrais de plus en plus de devoir la partager.
Surtout quand je laissais errer mon imagination sur les terrains vagues de la sexualité brute durant ses week-ends d’absence.
Certains épisodes de l’époque où je n’étais encore que l’amant revenaient en surface. Pourtant, j’aurais dû en noter le sens.
Un soir que nous roulions en voiture dans Paris et passions place Dauphine, elle me dit : « Ça doit être drôle ! », en me faisant remarquer le « petit train » qui se formait. Un autre soir – car elle aimait alors que nous roulions dans Paris la nuit –, porte Maillot, elle me demanda de ralentir à hauteur d’un échangiste au volant de sa voiture, sa partenaire baissant les yeux à ses côtés, Christine me jetant un curieux regard indéchiffrable. Ou encore un autre soir, arrêté le long d’un trottoir des boulevards extérieurs – c’était au début de notre relation –, nous pelotant comme des affamés, ses seins à l’air, sa jupe remontée sur ses cuisses, sa main droite cherchant à dégager mon sexe de mon slip kangourou, un type qui s’approche pour mater et elle qui dit : « Laisse-le, il fait rien de mal. » Je crois même maintenant que ça faisait du bien à Christine. Que j’en étais à demi conscient. Mais ces jeux troubles n’étaient pas mon truc. J’étais amoureux fou. Jalousement amoureux. Pire qu’un paysan avec son tracteur « air conditionné, liaison radio et stéréo intégrée ».
Je n’étais pas fier de moi quand je laissais vagabonder mon imagination. Je découvrais en même temps que passion pouvait rimer avec veulerie et lâcheté.
Un soir, je n’y tins plus. je lui demandai tout à trac ce qu’elle pouvait bien trouver chez les autres.
– C’est différent, c’est tout, amour, répondit-elle en se pelotonnant dans mes bras.
Je m’enhardis.
– Mais encore ? Par exemple, avec le dernier. Ça dure depuis longtemps ?
C’était un truc que je ne comprenais pas chez Christine. Il n’y avait pas de schéma préétabli dans l’infidélité, mais deux catégories d’amants bien établies. Les passades et ceux qui duraient. Je craignais évidemment plus ces derniers que les premiers car j’avais la folle espérance de la voir renoncer un jour à ses jeux amoureux multiples.
– Oui, me répondit-elle le plus naturellement du monde.
Je n’osai toutefois pas lui demander depuis combien de temps.
– Qu’est-ce que vous faites, par exemple ?
Là, j’allais être estomaqué, mais pas réellement surpris.
Elle me décrivit, toujours le plus naturellement, des expériences échangistes, de couple à couple ou en boîte. Qu’un jour, pour fêter son anniversaire, il avait fait venir deux travellos. Que ça avait été une expérience super.
– Il m’a offert ça parce qu’un week-end précédent j’avais accepté de coucher avec une autre femme avec lui.
Qu’il lui avait même proposé depuis de faire la pute occasionnelle un samedi soir dans une boîte de Montmartre qu’il connaissait bien.
– Ça me tente, tu sais, mais je ne lui ai pas encore dit oui. Tu vois, c’est bête, mais j’ai peur que ça me plaise, que ce soit trop, alors j’hésite. Je crains aussi que ça ne te fasse de la peine.
On peut passer de la jalousie à la trique d’enfer. C’est ce qui se produisit. Christine se métamorphosant en pute royale pour moi seul ce soir-là.
Mais, le lendemain, ma décision était prise. Ce type, je le sentais trop dangereux. Plus pour moi, d’ailleurs et paradoxalement, que pour Christine. J’avais surtout peur de la perdre. Qu’elle ne me revienne plus, car je savais que ce qu’il lui avait proposé serait vraiment « trop » pour elle. Que c’était peut-être même ce qu’elle n’avait cessé de rechercher.
Lorsque je lui avais demandé si je connaissais ce type, elle me répondit :
– Mais oui, c’est celui qui vient souvent le vendredi soir. La table douze.
Ils font quand même pas ça sous mon nez et dans mes chiottes ! me dis-je primairement.
Pourtant, j’avais su me contenir.
– Mais la boîte, t’es sûr que c’est une boîte clean ? lui demandai-je d’un ton paternel.
– Oh oui, c’est Le Fou du Roi, rue Blanche !
Elle était conne ou le faisait exprès. Avec Christine, on ne pouvait jamais savoir. Mais ces renseignements me furent bien utiles.
Je dois reconnaître qu’elle jouait franc-jeu. Je respectais son « espace de liberté », elle respectait le mien. Lorsque je m’absentais un soir, elle ne me posait pas de question. Elle devait supposer que je rejoignais une aventure. En fait, je n’en eus aucune durant ces onze années. Christine était ma passion exclusive.
Le lendemain soir, un mercredi, je me rendis au Fou du Roi. Plutôt, je restai à planquer sous une porte cochère à vingt mètres de l’entrée.
Il pleuvait. J’avais remonté le col de mon trench et un chapeau imperméable me tombait sur les yeux. Je pouvais être un clochard s’abritant.
Le type sortit de la boîte un peu avant une heure. Il avait la trentaine. Genre bellâtre. Légèrement plus petit que moi qui fais un mètre soixante-dix-huit.
J’ignorais la direction qu’il allait prendre. S’il viendrait vers moi ou remonterait la rue.
Il vint vers moi.
Au moment où, marchant tête baissée sous la pluie, il allait atteindre la hauteur de la porte cochère, je sortis précipitamment et le frappai directement au foie avec un couteau à désosser d’un modèle courant.
Je le soutins et le basculai contre la porte cochère où il s’affala se tenant le ventre et déjà mort.
Je revins à pied jusqu’à la rue Cler en passant par l’Opéra, la place Vendôme, la rue de Rivoli, la Concorde et les quais rive gauche.
Vu les relations qu’entretenait l’individu dans le quartier, la police classa vite fait la cause du décès dans la catégorie des règlements de comptes.
Christine avait bien dû apprendre la disparition de son amant d’une façon ou d’une autre. Mais je ne pourrais même pas le dire car elle ne m’en reparla plus jamais et ne montra aucune humeur chagrine dans les jours qui suivirent.
Pourtant, à des petits riens impalpables et invisibles, j’en vins à me dire que Christine savait. Qu’elle savait même que je l’avais tué. Qu’elle avait tout fait pour que j’aille le tuer.
Qu’elle m’avait, en quelque sorte, commandité le meurtre.
Car elle devint plus capricieuse, me réclamant plus souvent du liquide et de plus fortes sommes qu’avant. Voulant un cabriolet. Parlant de croisières ou de voyages exotiques.
Et j’étais toujours aussi amoureux d’elle, aussi fou passionné de son corps. À la folie. Et, déjà, jusqu’au meurtre.
Mais je ne redemandai plus jamais à Christine de me raconter ses aventures extraconjugales.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

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