vendredi 29 août 2008

Noir Express : "Cadavres dans le blockhaus" (C. C. IV) par Alain Pecunia, Chapitre 9

Chapitre 9





C’est drôle la nature humaine. Je dormis malgré tout comme un bébé. Peut-être parce que j’avais admis l’inéluctable. Le foirage de mon plan génial pour me débarrasser de Christine. Celle-là, on pouvait dire qu’elle m’avait porté la poisse de bout en bout.
Mais je ne fus même pas réveiller par les gendarmes. Seulement par la faim.
Ils devaient être à la bourre, c’est tout. D’ultimes vérifications. Peut-être un problème d’identification. Ils avaient peut-être pas pensé tout de suite que c’était Christine. Ils avaient pris du retard, c’est tout. Mais moi, je savais bien que c’était elle. Il n’y avait pas d’illusion à se faire.
J’avais déjà moins faim. J’avalai deux bols de café noir coup sur coup en grignotant un croûton de pain.
Je passai la matinée à tourner en rond. Je n’osais même pas aller chercher le journal. Puis je me plantai devant la télé pour essayer de ne plus penser. Rien aux infos régionales.
Au milieu de l’après-midi, je me décidai à aller acheter Ouest-France et Presse Océan. Comme je n’achetais jamais de journaux, je ne voulus pas me faire remarquer et je filai à Saint-Brévin-les-Pins. Je balayai chaque page avec nervosité – excepté les feuilles sports et spectacles – à l’intérieur de ma voiture où je me mis à transpirer à grosses gouttes par ce temps lourd.
Rien. Pas la moindre trace des morceaux. Pas même une allusion.
Je revins à la villa où personne ne m’attendait.
À dix-neuf heures, le téléphone sonna. Je me précipitai pour décrocher fébrilement.
– Allô !
On avait raccroché.
Pareil une heure plus tard.
J’appelai le Jean.
– T’as essayé de m’appeler ?
Il était surpris.
– Pourquoi ? tout va bien ici.
Je m’excusai et raccrochai car c’était l’heure du coup de feu au restau.
Je m’endormis devant la télé. Me réveillai deux heures plus tard et me rendis compte que je n’avais pas mangé de la journée.
Je me fis réchauffer une boîte de cassoulet que j’eus un mal fou à digérer. Plus à cause des nerfs que de la bouffe.
Le lendemain matin, vendredi 13, je fus réveillé par une bonne crise d’aérophagie.
Il fallait que je me reprenne en main. J’avais toujours été un battant. De ceux qui vont toujours au-devant de la vie. Et sur qui les emmerdes tombent le plus souvent, épargnant les autres, les prudents, les précautionneux. Comme si ça les provoquait.
En début d’après-midi, je réunis mon attirail de pêche et descendis au port en voiture. Je voulais en avoir le cœur net. Savoir si les morceaux étaient toujours là ou si je n’avais qu’halluciné. Foutu pour foutu, autant être fixé par moi-même.
Sur la plage, ce n’était pas encore la foule du week-end, mais déjà plus le quasi-désert de la semaine.
Je ne serais pas tout seul à patrouiller la crevette. En un sens, ça me rassurait de ne pas être seul si je retombais sur un bout de barbaque de Christine.
Je ne débutai pas ma quête par mon trajet habituel. Il était déjà occupé, d’ailleurs. Autant laissé un autre tomber dessus.
Je m’étais fait une topographie exploratrice délimitée par le port de Saint-Michel et le promontoire de Tharon-Plage. Je m’étais découpé ça mentalement en zones de pêche. Mon habituelle se trouvait au milieu. Mais j’avais décidé de la contourner par l’extérieur en partant du port et de m’en rapprocher peu à peu.
Je poussai d’abord mon haveneau avec nonchalance. Le relevant rarement et rejetant le tout à la mer car la vue de la moindre solette ou crevette me révulsait. Et je dis pas quand une algue traînait au fond de mon filet ! L’hor-reur !
Je ne cessais de me répéter : « Putain de salope de putain de Christine » pour m’encourager. Et ça marchait. C’est d’ailleurs toujours les trucs les plus simples et les plus cons qui marchent. Comme pour l’œuf de Christophe Colomb ou le fil à couper le beurre. Ceux qui compliquent, ils se plantent à chaque fois. Ce sont toujours les esprits simples qui trouvent le bon truc.
Je me rapprochais de plus en plus de mon parcours habituel. Sans appréhension. Pas trop en fait.
Certains me regardaient bizarrement quand je les devançais en poussant mon haveneau plus rapidement que ne l’exige cet art délicat du crevettier.
– Vous le relevez pas souvent ! me jeta même un beauf RTT. Vous vous prenez pour un chalut !
– J’ai un truc à moi ! lui jetai-je hargneusement.
Quand j’arrivai sur zone, un brin tendu, un gamin maigrichon d’une dizaine d’années, qui poussait un haveneau deux fois trop grand pour lui, m’interpella.
– Hé ! m’sieur, pourquoi vous rejetez votre pêche à l’eau ? C’est gâcher.
Il en était presque indigné le môme.
– Je suis écolo, lui jetai-je. J’aime les petites bêtes.
– Mais ça se mange, m’sieur !
Ce devait être un gosse de pauvre.
– Suis-moi, je te donnerai ma pêche.
J’entamai le ratissage de mon secteur, lentement, pas après pas. Comme au ralenti. Le môme en parallèle, légèrement en décalé ; tentant d’« imiter » ma technique de pêche. D’abord dubitatif puis emballé quand nous relevâmes ensemble nos haveneaux. Une vraie pêche miraculeuse.
Moi, je lui déversai en vrac le contenu de mon filet dans son sac de toile en bandoulière. Le gamin était content.
Moi aussi, car il n’y avait pas trace de Christine pour l’instant.
Je patrouillai mon parcours dans tous les sens. En parallèle. Perpendiculairement. En zigzag. En damier. D’abord avec le gamin enchanté sur les talons, puis seul quand il eut rempli son sac et que je lui fis cadeau de mon panier plein à ras bord de diverses saloperies.
Et pas de Christine ! J’étais quasi euphorique. Pourtant, c’étaient pas les maigres étrilles ni la poiscaille qui auraient pu tout bouffer en quarante-huit heures. À moins que la marée ne l’ait transportée ailleurs, évidemment. Ce que j’aimais moins, et comme quoi toute espérance est porteuse de ses propres scories.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

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