lundi 4 août 2008

Noir Express : "National, toujours !" (C. C. II) par Alain Pecunia, Chapitre 15

Chapitre 15





Pendant ce temps, le commissaire principal Lesieur, de la Brigade criminelle, qui avait en charge l’enquête des deux crimes de la cité du Bonheur, ne chômait pas et commençait à avoir des idées plus précises, sinon sur les motivations, du moins sur leurs deux auteurs. Deux, puisque, dans les deux cas, les indices relevés certifiaient la présence de deux individus. Des hommes, puisqu’on avait retrouvé la première fois le sperme de deux hommes, celui de l’un à l’intérieur du vagin de la victime, celui de l’autre à l’extérieur, ce qui semblait indiquer un masturbateur. Mais, si beaucoup de choses étaient fichées, cette catégorie sexuelle ne l’était pas encore. De toute façon, c’était un truc à faire exploser les fichiers centraux vu le nombre de mâles concernés.
Dans le deuxième meurtre, même sperme dans le vagin de la victime, mais pas de trace du masturbateur.
Et là, dans ce meurtre d’Issy-les-Moulineaux, pas de sperme dans le vagin de la victime. « Et si c’était mon masturbateur ? » se dit le commissaire Lesieur. Absurde. Mais il était payé pour se poser les questions que les autres ne se posaient pas.
Et pas si absurde car, dans les trois cas, les victimes femelles avaient été égorgées de la même façon, sinon par la même arme.
Dès le premier meurtre, le commissaire Lesieur n’avait pas voulu suivre la piste de la rumeur signalant un « crime d’Arabes ». Il voyait mal des tueurs arabes égorger au poignard du genre commando. Leur truc, c’était plutôt le rasoir.
Entre les deux meurtres, il avait demandé à ses inspecteurs de répertorier dans la cité du Bonheur les hommes ayant effectué leur service militaire en France ou dans leur pays d’origine.
C’était long, évidemment.
Après le deuxième meurtre, il avait donné pour consigne à ses hommes d’éliminer ceux d’origine maghrébine ou africaine et de se concentrer sur les Français.
Il avait la liste depuis trois jours.
Le mercredi, à midi, il demanda de croiser les noms des employés des Établissements Legrand et Fils avec cette liste.
Juste en rentrant de déjeuner et avant d’aller s’entretenir de l’affaire de la cité du Bonheur avec le commissaire divisionnaire Berthier, un inspecteur lui remit le résultat de la recherche.
Sur les quarante-neuf employés des Établissements Legrand et Fils, dont une majorité d’origine maghrébine, trois d’entre eux avaient le même patronyme et le même prénom que trois individus figurant sur la liste. « L’équivalent de nos Dupont Durand de souche, ce qui ne signifie donc rien », se dit le commissaire Lesieur.
– Vérifie-moi si ces trois-là habitent vraiment la cité du Bonheur. Au cas où, dit-il à l’inspecteur. Mais c’est celui-ci qui m’intéresse, ajouta-t-il en signalant de l’index le dernier nom de la liste.
Jean Ferniti.
– Je veux tout savoir sur ce type. S’il est fiché par un service quelconque, poursuivit le commissaire principal sur sa lancée.
– D’après son audition d’hier, il ressort qu’il a été engagé volontaire en Algérie. Chez les paras.
– Il m’intéresse donc encore plus, conclut-il en tapotant la feuille de l’index.
Trois heures plus tard, lors du briefing de fin de journée de l’équipe, le commissaire Lesieur dut reconnaître que le citoyen Ferniti, Jean, était un inconnu des services de police. Même des Renseignements généraux, la police politique, et de la Sécurité militaire.
– Demain matin jeudi, première heure, dit-il à son équipe, vous allez fouiner dans la cité du Bonheur et ses alentours. Mais discrètement, hein ? j’insiste. Car il ne faut pas mettre la puce à l’oreille de notre client. Lui, vous le filerez discrètement. Dis-crè-te-ment, j’ai dit !
– Pourquoi ne pas l’arrêter maintenant, chef, et le cuisiner ? demanda l’un des inspecteurs.
– Parce qu’il y a le deuxième homme, pardi ! le sermonna-t-il. Et ce deuxième homme, il doit habiter la cité du Bonheur ou aux alentours puisqu’il n’y a pas de trace de lui dans le meurtre d’Issy.
Une partie de l’équipe n’était pas convaincue de la thèse du « branleur » et pensait qu’il n’y avait aucun lien entre les crimes de la cité du Bonheur et celui des Établissements Legrand, mais tous faisaient confiance au flair du patron.
– Et je veux les arrêter tous les deux ! conclut-il en tapant de son poing le bureau sur lequel il s’était assis durant la réunion.
Le commissaire Lesieur savait que, lorsqu’il tapait du poing, plus personne n’osait lui poser de questions.
Il avait hésité à faire interpeller ce Ferniti. Mais il fallait le laisser en liberté pour identifier ses relations et, parmi celles-ci, son complice.
Le crime d’Issy-les-Moulineaux lui semblait être un crime annexe par rapport aux deux de la cité, et c’est sur celle-ci qu’il fallait se concentrer pour identifier le deuxième homme et empêcher un éventuel autre meurtre. Partis comme ils l’étaient, il sentait que les deux meurtriers ne s’arrêteraient pas là.
Mais il ne parvenait pas à comprendre la motivation de ces crimes-là, tout en sachant que la plupart des meurtres – quand il ne s’agit pas de basse vengeance, de jalousie meurtrière ou de crime crapuleux, c’est-à-dire de motivations simples – n’ont de signification que pour le seul criminel.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

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