samedi 27 septembre 2008

Noir Express : "Sous le signe du rosaire" (C. C. VI) par Alain Pecunia, Chapitre 13

Chapitre 13





Avec maman, on s’est toujours compris à demi-mot.
Elle avait une nouvelle fois raison.
Si nous étions des Dumontar, la police pouvait très bien avoir l’idée – à défaut d’autres – de recenser tous les Dumontar. De les interroger, même.
J’ai paniqué tout à coup. Une crise d’angoisse. Mais, Ghislaine, encore une fois, est parvenue à m’apaiser. Comme toujours.
C’est vraiment une chic fille. Elle, elle se réveille toujours pour moi quand j’ai besoin d’elle.
Mais elle aussi a besoin de soins.
Décidément, c’est une rude journée !
Ça m’a quand même permis d’oublier la police et de trouver le sommeil au petit matin.
Le lendemain, les médias s’en donnaient à cœur joie dans le mélo.
Je compris tout de suite que mon « crime abominable » – avant, les autres étaient seulement « atroces » – allait au-delà de mes espérances. Défier la police.
Sans le faire exprès, par le plus pur des hasards, j’avais défié toute une classe sociale. Celle d’en haut. Bien plus dangereuse, dans ses fureurs vengeresses, que toutes celles d’en bas et du milieu réunies.
J’eus tout de suite conscience que j’aurais dû me limiter au menu fretin. À la victime-née. Prédestinée. Qui ne reste qu’un fait divers.
« Le tueur “au collier de perles” sème la terreur dans le bois de Boulogne. »
« Même les riches ne sont plus à l’abri ! »
« Le tueur fou s’en prend à l’establishment ! »
Télégramme de condoléances du Président de la République, du Premier ministre, des Anciens Combattants…, gauche droite réunies, etc.
Même Arlette Laguiller est venue pleurer sur la Une et la Deux. Mais elle a rectifié la tendance générale.
– Travailleuses, travailleurs, ce crime atroce ne doit pas nous faire oublier que le tueur fou au « collier de perles » choisi essentiellement ses victimes parmi les travailleuses et les travailleurs de ce pays, qui sont aussi, travailleuses et travailleurs, les victimes quotidiennes du capitalisme bourgeois impitoyable… Aussi, travailleuses et travailleurs, nous ne saurions nous joindre à l’appel du Parti communiste invitant, indûment, les travailleuses et travailleurs de ce pays à se réunir devant l’église Saint-Honoré-d’Eylau. Car notre devoir, travailleuses et travailleurs…
Je n’étais pas sûr d’avoir tout compris. Mais elle avait du souffle.
Elle devait avoir le cou bougrement musclé. Impossible à étrangler même à la corde à piano, cette carne-là !
Mais je ne reçus ni faire-part de la « famille » ni convocation de la police.
Maman m’interdit même d’assister à la cérémonie. Pourtant, ça m’aurait bien plu. Jamais je n’ai eu l’occasion d’assister à l’enterrement d’une de mes victimes.
Pour une fois que c’était annoncé.
Mais j’ai bien fait de l’écouter. Tel que je me connais, je n’aurais cessé de chercher la moindre occasion. Pour les défier tous au milieu de toute celle foule endimanchée.
Alors je suis allé faire un tour du côté de Notre-Dame. Je suis même rentré dedans. Pour vite ressortir. Je ne me sentais pas d’affinités avec les touristes japonaises.
Et puis, ça m’aurait servi à quoi ? Je ne lis pas les journaux japonais, moi. Pas même maman et encore moins Ghislaine.
J’ai suivi longuement, dans le secteur de la rue Saint-André-des-Arts, une jeune femme qui avait du mal à marcher sur ses hauts talons, qui parlait toute seule en portugais et qui semblait un peu éméchée. En vain. Arrivé au carrefour de Bucci, elle s’est retournée à demi. Ce n’était pas une Portugaise mais un Portugais ou un Brésilien.
Il paraît que c’est une coutume au Brésil. Un peu comme les Ecossais et leur kilt.
J’ai ensuite croisé un groupe de trois Allemandes. Déjà elles étaient allemandes et en plus en groupe. Même isolées, j’aurais renoncé. J’en gardais un trop mauvais souvenir.
Puis, tiens, rue Jacob, une quinquagénaire à sac Vuitton.
Sûre d’elle et pas du genre à s’inquiéter d’être suivie dans un quartier aussi chic.
Rue de l’Université.
Je sentais que je commençais de m’exciter. Surtout avec cette nuit tombante.
Elle s’est ensuite dirigée vers le parking Montalembert.
J’étais près de jouir déjà rien qu’à l’idée que j’allais la coincer.
Je l’ai dépassée pour prendre les devants alors qu’elle venait juste de s’arrêter pour parler à un quidam.
– Non, madame le commissaire, rien d’anormal, je l’ai entendu dire.
La peur de ma vie. Incroyable ! On ne peut même plus se fier à la mine des gens.
Les journées d’enterrement sont toujours de sales journées.
Maman, elle a drôlement eu peur pour moi quand je lui ai raconté après.
– Tu vois, tu ne veux jamais m’écouter, et regarde ce qui arrive !
– Oh oui, maman.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

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