dimanche 7 septembre 2008

Noir Express : "Cadavres dans le blockhaus" (C. C. IV) par Alain Pecunia, Chapitre 15

Chapitre 15





Je restai plongé dans un état d’hébétude total durant tout mon interrogatoire dans les locaux de la brigade de gendarmerie de Pornic.
Je les entendais dans un murmure lointain et ne répondis à aucune de leurs questions puisque ça ne me concernait pas.
Votre ami est parti rejoindre la petite dame… Je n’arrêtais pas de chantonner cette phrase telle une berceuse. Paraît-il.
Ils prétendaient que je simulais.
Mais ils n’avaient même pas besoin de mes aveux tant les témoignages révélaient l’évidence même.
Votre ami est parti rejoindre la petite dame…
J’étais à genoux auprès du corps de la victime. Sur son côté droit.
On m’avait surpris en train de tenter de l’achever en lui cognant la tête contre le sol en béton.
Votre ami est parti rejoindre la petite dame…
On m’avait entendu hurler le prénom de la victime alors que je m’engouffrais tel un furieux dans le blockhaus, juste avant de me précipiter sur la victime et de la poignarder horriblement. – Il y avait des façons horribles de poignarder et des façons pas horribles. Je ne voyais pas tellement la différence, mais je m’en foutais. Ça ne me concernait pas.
Votre ami est parti rejoindre la petite dame…
De toute façon, le relevé d’empreintes sur le manche du couteau – un couteau à désosser d’un modèle courant – me dénonçait formellement.
Un couteau à désosser… Ça me rappelait quelque chose. Mais j’arrivais pas à me souvenir. Je désossais si souvent dans ma cuisine.
J’avais porté trois coups à l’abdomen et un quatrième au bas-ventre. On ne savait pas encore lequel avait été mortel. – Paraît que c’est important de savoir lequel.
Votre ami est parti rejoindre la petite dame…
C’était assurément un crime à caractère sexuel.
La victime cohabitait avec l’assassin depuis quelques jours.
Ils s’étaient rencontrés par hasard à La Baule. Devant le Casino. Avaient déjeuné ensemble au Castel Marie-Louise.
Ils ne se connaissaient pas auparavant.
Votre ami est parti rejoindre la petite dame…
Une histoire de drague classique entre homos qui se terminait en crime.
Sûrement un truc de jalousie sexuelle.
Ces blockhaus étaient des lieux de rencontre. La victime y avait sûrement rendez-vous. L’assassin l’a su et a surpris la victime alors que l’individu avec qui elle avait rendez-vous n’était pas encore arrivé.
Votre ami est parti rejoindre la petite dame…
– On a sûrement échappé à deux meurtres, dit le brigadier en soupirant de soulagement. Il les aurait tués tous les deux sans problème vu l’état de fureur dans lequel il se trouvait. L’autre a été bien inspiré de ne pas se trouver là !
– Avec les pédés…, commença un gendarme.
– On ne parle plus comme ça ! le coupa net le brigadier.
Le gendarme rosit sous le poids du regard de son chef.
Votre ami est parti rejoindre la petite dame…
D’après l’enquête de voisinage, il paraissait que nous nous chamaillions et avions un comportement étrange. Un comportement de …
– On peut pas écrire ça ! tempêta le brigadier.
J’étais arrivé à la mi-mai avec ma femme et on comprenait qu’elle ait fui l’individu que j’étais. Il y en avait qui méritaient d’être cocus. – Ah ! s’ils savaient !
Votre ami est parti rejoindre la petite dame…
– À propos, dit le brigadier, il faudrait qu’on la joigne… Je compte sur vous, ajouta-t-il en se tournant vers une gendarmette. Informez-la avec de la douceur. Je crains que ce ne soit une personne très sensible et blessée dans sa vie d’épouse.
Je ne leur en voulais pas. Pouvaient pas se rendre compte que c’était le monde à l’envers.
À quoi bon crier que j’étais innocent ? Ça l’aurait pas remis à l’endroit pour autant.
Votre ami est parti rejoindre la petite dame…
Je fus tenté un instant de leur avouer que j’avais tué ma femme mais que des inconnus avaient fait disparaître son corps. Qu’il y avait sûrement des malfaisants qui m’en voulaient.
Et comment l’avez-vous tuée ?
Je leur aurais raconté mon coup génial du godemiché. Mais je ne crois pas qu’ils auraient pu comprendre. Parti comme c’était parti, ils y auraient encore vu un crime accompli sous l’emprise d’une impulsion homosexuelle.
Je me tus en pensant que ça compliquerait encore plus les choses. Que ça pourrait même les embrouiller.
Votre ami est parti rejoindre la petite dame…
Je pouvais même pas parler de la Dame blanche et de son message.
Encore moins de l’histoire du mannequin.
– Vous avez de la chance qu’il n’y ait plus la peine de mort, vous ! dit le brigadier vers la fin.
Il paraît que je n’avais même pas le courage de parler, d’avouer, de répondre à leurs questions.
– Vous croyez malin de vous taire, dit un gendarme. Mais c’est une très mauvaise tactique de défense, vous savez ? Et le juge, il n’aimera pas ça si vous persistez à vous taire devant lui.



© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

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