samedi 20 septembre 2008

Noir Express : "Sous le signe du rosaire" (C. C. VI) par Alain Pecunia, Chapitre 6

Chapitre 6





J’ai attendu toute une semaine avant de retourner au Relais angevin.
– Ben alors, m’a dit Jean d’emblée en miaulant, on ne vous voit plus avec la petite dame, monsieur Dumontar ?
Depuis que je suis redevenu moi-même, je m’attends à ce genre de question.
– Je n’ai pas de nouvelles d’elle. Elle est peut-être partie en vacances.
– Sans vous prévenir ? C’est pas chic. Pourtant, vous aviez l’air d’être bien ensemble ?
– Oh ! vous savez, c’était juste une relation amicale comme ça. Sans plus, dis-je en haussant les épaules.
Christine, la petite amie du patron – sa « fiancée », car ils parlent de mariage, mais ça semble traîner – est venue s’en mêler. C’est une blonde bêcheuse sur qui courent pas mal de ragots dans le quartier. Elle a beau être toujours vêtue de façon stricte et être secrétaire au ministère de la Défense, il y a quelque chose en elle que je déteste. Je la sens « femelle ».
– Mais elle a peut-être disparu, dit la future Mme Langlot avec assurance.
– Comment ça ?
– La police enquête depuis que l’hôpital lui a signalé qu’elle n’avait pas repris son poste le 16 août. Ils nous ont même interrogés comme tous les commerçants de la rue et les voisins.
Bien sûr, je m’y attendais. Mais ça me fait quand même quelque chose. Un petit pincement.
– Ils vont d’ailleurs sûrement vous interroger. Surtout qu’on a été obligés de leur dire que vous étiez très lié avec elle. C’est pas que ça nous faisait plaisir, mais ils nous ont demandé si on lui connaissait des amis ou des relations. Et, à part vous, il semblerait qu’elle n’ait fréquenté personne d’autre que vous dans le quartier…
La garce guette ma réaction. Je me compose un masque soucieux.
– Je vous remercie de me l’avoir appris. Je vais d’ailleurs me rendre tout de suite au commissariat s’ils ont besoin de m’entendre. Autant les aider.
Au commissariat de la rue Amélie, ils sont surpris de ma visite spontanée, mais ça les satisfait. Je savais que ce serait un bon point pour moi que de me présenter spontanément.
– Nous allions justement nous rendre à votre domicile, me dit l’inspecteur.
– Je viens d’apprendre à l’instant la disparition de Mlle Lenoir par la fiancée de M. Langlot. J’ai tout de suite pensé que vous souhaiteriez m’entendre puisque nous avions une relation amicale.
Ils ont tout de suite attaqué le vif du sujet.
Quand est-ce que je l’avais vue pour la dernière fois ?
– Un peu avant le 15 août, le 11 ou le 12.
– Pourtant, vous vous voyiez souvent ?
– Oui, mais je lui avais dit que je devais travailler sur un manuel scolaire et que j’aurais donc moins de temps à lui consacrer.
– Vous étiez amants ?
– Voyons, messieurs, juste une relation amicale entre gens de bonne compagnie !
– Pourtant, le 15 août en milieu d’après-midi, Mlle Lenoir s’est rendue chez le traiteur et a commandé un repas fin pour deux personnes. Elle semblait, d’après le serveur, très enjouée.
– En tout cas, ce n’était pas pour dîner avec moi !
Avec un haussement d’épaules à l’appui.
Mais ils revenaient déjà à la charge.
– Vous prétendez donc ne pas l’avoir vue le 15 août ?
– Mlle Lenoir ne m’avait pas invité à venir dîner chez elle ce soir-là. D’ailleurs, je ne suis jamais monté chez elle et, lorsqu’il nous est arrivé de dîner ensemble, c’était toujours au restaurant. Au Relais angevin. Vous pouvez d’ailleurs le leur demander.
– Ça, nous le savons.
Pause. Re-attaque.
– Mais elle pouvait venir dîner chez vous. Vous aviez pu l’inviter…
– Dans ce cas, messieurs, je me serais rendu moi-même chez le traiteur. Mon éducation ne m’aurait pas permis d’inviter une dame chez moi en lui demandant de faire les courses !
Je les prenais de très haut. De mon ton professoral. Ça impressionne toujours. Surtout les anciens cancres.
– Pourtant, quelqu’un l’a vue s’engager dans la rue Saint-Dominique en venant de la rue Cler…
– Que voulez-vous que je vous dise ? Je ne l’ai pas vue ce jour-là, un point c’est tout. Ce que je peux aussi vous dire, c’est que Mlle Lenoir est une personne très discrète. Nous n’abordons jamais de sujets privés et notre relation est juste une relation amicale de bon goût.
– Néanmoins, elle avait parlé de vous à l’une de ses collègues à l’hôpital. Elle lui a confié qu’elle ne vous comprenait pas toujours et que vous aviez parfois des côtés bizarres…
– Bizarres… ? coupai-je en haussant les épaules.
– Ou, si vous préférez, qui l’intriguaient… que vous aviez été, semble-t-il, très affecté par la mort de votre mère…
– Cela est vrai. Mais je suis un professeur avec une vie sans histoire. Tout le monde pourra vous le confirmer dans ce quartier.
– Cette collègue pense que Mlle Lenoir avait une relation plus qu’amicale avec vous. Qu’elle souhaitait en tout cas dépasser ce stade-là et…
– Messieurs, je vous arrête. Ce ne sont là que suppositions gratuites et je puis vous assurer que, pour ma part, je n’avais d’autres intentions qu’une relation amicale avec Mlle Lenoir. Et je pense qu’il en était de même pour elle.
Je me sentais fort, très fort.
– Et puis, elle va peut-être réapparaître ! leur dis-je avec assurance.
Heureusement qu’elle est venue un 15 août, cette conne, alors que le quartier est désert, et qu’elle n’a croisé personne dans l’immeuble, pensais-je intérieurement. Maman m’avait encore porté chance. Le 15 août, c’est sa fête. La Sainte- Marie.



© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

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