samedi 6 septembre 2008

Noir Express : "Cadavres dans le blockhaus" (C. C. IV) par Alain Pecunia, Chapitre 14 (suite et fin)

Chapitre 14 (suite et fin)





Je continuais de bouillir intérieurement. J’en avais vraiment marre de ses grands airs et de sa condescendance. Lui et la Dame blanche, ça faisait beaucoup en moins de quatre heures !
La Dame blanche… ? Je me figeai de stupeur.
Votre ami est parti rejoindre la petite dame…
C’était con mais ça me fila les glands tout à coup. Où était-il parti ? J’aurais peut-être mieux fait de l’écouter au lieu de piquer ma colère.
Je me disais que j’étais con de culpabiliser pour un trafiquant de mort, un empoisonneur de jeunesse – les plus vieux, j’m’en suis toujours foutu, sont majeurs, mais pas les jeunes.
Votre ami est parti rejoindre la petite dame…
Je ne savais plus si c’était la culpabilité ou la curiosité qui me poussait, mais une force intérieure m’ordonna subitement de le suivre, irrésistible.
Mais où ?
Je ne fermai même pas la villa à clé, m’engouffrai dans ma voiture et la sortis du garage en éraflant une aile tellement j’étais agité.
Je pris instinctivement la direction de la pointe Saint-Gildas.
Votre ami est parti rejoindre la petite dame…
En coupant par les terres, j’arriverais peut-être à le rejoindre. À le faire stopper de force. À lui raconter l’histoire de la vieille folle, de la Dame blanche…
Votre ami est parti rejoindre la petite dame…
Mais ce n’étaient pas des routes où l’on pouvait rouler rapidement.
Je stoppai enfin sur le parking de la pointe Saint-Gildas dans un crissement de pneus à l’américaine. Juste à côté de sa voiture.
Je me précipitai comme un enragé jusqu’au blockhaus, pénétrant par le sas.
Il était là, sur le sol, gisant dans son sang. À l’endroit même où j’avais tué Christine. Mais il n’était pas à poil.
Le choc. Plus qu’un choc. Une commotion. Les deux corps s’enchevêtrant devant mon regard halluciné. Le total cauchemar.
Je hurlai :
– Lionel !
Un cri dément. Et me précipitai vers lui pour voir s’il vivait encore.
Il avait plusieurs blessures au ventre et un méchant couteau était planté dans le bas-ventre.
Je posai instinctivement ma main sur le manche, pensant qu’il était foutu mais que la lame devait le gêner. Qu’il valait mieux la retirer. Ça faisait monstrueux comme excroissance.
– Nooon…, râla-t-il en me fixant de ses yeux pas encore révulsés et en me saisissant par le bras gauche. Mais je sentais qu’il allait y passer.
Il avait l’air de vouloir me dire quelque chose et j’approchai mon visage du sien.
– T’es... ccccon…
Ce furent ses dernières paroles. Ses yeux commencèrent de révulser salement. Alors je lui pris le visage dans les mains et je secouai la tête de haut en bas pour le retenir, l’empêcher de partir.
– Maman ! cria un môme qui regardait par l’embrasure de la meurtrière du canon et voulait attirer l’attention de sa mère.
La mère attentive rappliqua et suivit la direction qu’indiquait le doigt du gamin.
– Aaaah… ! se mit à hurler la conne quand je tournai la tête vers elle tout en continuant de secouer celle de Lionel.
Quand elle hurla : « À l’assassin ! », évidemment, ça ne passa pas inaperçu.
Le badaud rappliqua.
Je ne cherchai même pas à m’enfuir. À quoi bon ? D’ailleurs, spontanément, quatre, cinq hommes s’étaient placés devant les issues du blockhaus. Mais personne ne s’y risqua.
– C’est l’assassin ! se mit à hurler la mère hystéro quand les gendarmes arrivèrent. Je l’ai vu ! Même qu’il était en train d’achever le monsieur en lui frappant le crâne par terre !… Un vrai barbare…
– Calmez-vous, madame, dit le brigadier. Nous prendrons votre déposition tout à l’heure.
Puis il me dévisagea à travers la meurtrière.
– Mais c’est celui dont la femme a disparu ! dit-il pas étonné et comme si ça lui faisait plaisir que je ne lui sois pas inconnu.
Les badauds étaient tenus à l’écart mais ils n’en perdirent pas une miette quand on m’extirpa enfin du blockhaus.
– Moi je l’ai entendu hurler un prénom avant de se précipiter sur sa victime, dit l’un.
– Il courait comme un dément vers le blockhaus juste avant, rajouta un autre.
– Y’avait personne d’autre de toute façon, commenta un troisième qui venait juste d’arriver sur les lieux, attiré par l’attroupement.
Ils s’écartèrent quand même de plusieurs pas quand ils virent le sang maculant mes vêtements et mes mains. Il paraît que j’en avais même sur le visage.
Mais tout, absolument tout, m’était devenu indifférent
*.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.


* Inutile au lecteur curieux ou consciencieux de vouloir visiter les lieux du crime. En effet, depuis ces tragiques événements, l’accès des fameux blockhaus de la pointe Saint-Gildas est interdite au public en application de la loi sur la protection du littoral. Ce qui ne fut, en l’espèce, qu’un prétexte ainsi que le lecteur le comprendra. (NdA.)

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