jeudi 18 septembre 2008

Noir Express : "Sous le signe du rosaire" (C. C. VI) par Alain Pecunia, Chapitre 4

Chapitre 4





Ce fut une visite charmante. Bien que je trouvasse les Impressionnistes fort ennuyeux. Surfaits. Moi, je reste un classique envers et contre tout. Et puis, ça sentait la sueur et les pieds avec ces touristes étrangers en shorts et baskets. Aucun respect pour cette cathédrale de la culture !
Mais quel bonheur que d’être au côté de Ghislaine, malgré cette promiscuité odorante. Elle me rappelait tant maman jeune. Mais sans son côté autoritaire contre lequel j’avais parfois tenté de me rebeller. En vain. Tant la moindre contrariété faisait pleurer maman.
Quand elle me disait : « Tu viens de faire de la peine à maman. Si tu es méchant, tu ne dormiras plus avec maman. Tu dormiras seul dans le noir » tout en se mettant à pleurer, je me jetais à ses genoux en sanglotant des « Pardon, maman ! » et l’implorant de ne pas me laisser dormir seul.
– Jure-moi que tu ne feras plus de peine à maman !
– Oh oui, maman, je te le jure !
Avec Ghislaine, c’était comme avec maman. Peut-être même mieux, me surpris-je à penser. Ce dont j’eus immédiatement honte. Maman, elle aurait pas aimé que je pense ça. Repens-toi ! me dis-je. Mais je n’osai pas me signer au milieu de toute cette foule.
En redescendant, nous parcourûmes les salles du rez-de-chaussée. Côté Seine seulement, car il était déjà tard pour Ghislaine qui était de garde ce soir-là à l’hôpital.
Deux religieuses en habit s’attardaient longuement devant une grande toile. Cela attira nos pas et nous nous retrouvâmes devant un grand format qui nous laissa perplexes.
Une immense touffe de poil. Comme maman.
L’Origine du monde que ça s’appelait.
Tous quatre – les religieuses, Ghislaine et moi – étions comme fascinés.
Ghislaine passa son bras sous le mien comme voulant chercher protection.
Je me raidis et rougis. Elle faisait comme maman.
– C’est de qui ? demanda-t-elle.
– Courbet, répondit une des religieuses en souriant.
– Courbet, répétai-je, confus.
Nous étions fort troublés l’un et l’autre en ressortant du musée.
– Je regrette de devoir travailler ce soir, me dit-elle pudiquement en battant des cils de cette façon si particulière qu’elle avait de le faire, tout en baissant la tête.
Je n’ai pas compris ce qu’elle voulait dire.
Nous convînmes de nous revoir pour le feu d’artifice du 14 Juillet. Elle voulait aussi assister au défilé sur les Champs-Elysées. Mais je n’ai pas voulu. Maman n’aurait pas aimé. Elle avait toujours dit que c’était un spectacle de violence et que ce n’était donc pas pour moi. Le soir du feu d’artifice, nous dînâmes avant au Relais angevin.
– Alors, les amoureux, qu’est-ce que je vous sers ? demanda Jean.
J’en fus très choqué. Ghislaine aussi, je crois, puisqu’elle baissa la tête en rougissant.
– Ce n’est rien, lui dis-je après le départ de Jean. N’y prêtons pas attention. Ce loufiat n’a pas d’éducation !
Elle opina silencieusement. Avec un regard empreint de tristesse. La preuve qu’elle avait été choquée.
Heureusement, ce fut le patron, Gérard Langlot, qui vint nous apporter la salade composée et la carafe d’eau. Il ne faisait pas de remarque déplacée, lui !
Il y avait foule au Champ de Mars comme d’habitude. Nous sommes restés près du bassin du côté de l’Ecole militaire.
J’ai passé mon bras autour des épaules de Ghislaine pour la protéger. Elle avait la même taille que maman et sa tête est venue se poser contre ma poitrine. Comme le faisait maman.
C’était bien.
Après, je l’ai raccompagnée jusqu’au bas de son immeuble de la rue Cler. Mais je n’ai pas voulu monter jusqu’à son studio pour prendre une verveine-menthe. Il était tard et ce n’eût pas été convenable. Et je suis sûr que maman n’aurait pas été contente.
Ghislaine l’a d’ailleurs très bien compris. Elle a eu la délicatesse de ne pas insister.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

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