vendredi 26 septembre 2008

Noir Express : "Sous le signe du rosaire" (C. C. VI) par Alain Pecunia, Chapitre 12

Chapitre 12





Aux informations télévisées de midi, il n’y en eut que pour le Président de la République. Rien sur moi et peu de chose sur la morte.
Une étudiante en droit. Une certaine Gisèle Dumontar.
Là, j’ai sursauté en priant le ciel que maman n’ait rien entendu.
Dumontar, c’est pas courant comme patronyme.
Était-il possible que ce fût une petite cousine ?
Maman n’a pas compris mon intérêt subit pour la généalogie familiale.
Au bout de deux heures de diplomatie savante, je suis parvenu à lui soutirer que, peut-être, du côté de papa, mais elle n’avait jamais fréquenté la famille de papa.
– Des bolcheviks !
– Des bolcheviks ? Des vrais, maman ?
– Des tout comme, mon pauvre enfant… Les deux frères de ton pauvre papa, tes oncles, étaient tranquillement à Londres avec de Gaulle tandis que ton pauvre papa défendait la civilisation européenne dans la steppe russe contre les vrais… Ces renégats, l’un a terminé préfet et l’autre général. Et aucun des deux n’a levé le moindre petit doigt quand ton héros de père a été condamné à mort !
– Ils ont peut-être eu des enfants…
Mais voilà, ça n’intéressait pas vraiment maman. Alors elle s’était endormie.
Je suis resté perplexe tout l’après-midi, mes doigts crochetés dans la touffe brunâtre de Ghislaine pour me rassurer. Tournant fébrilement de ma main restée libre le bouton du transistor posé sur mes genoux pour capter la moindre bribe d’information.
Ce ne fut qu’au journal de dix-neuf heures de France-Inter que j’appris qu’un drame affreux venait de toucher la famille du général Dumontar.
– Sa petite-fille, Gisèle Dumontar, vingt-deux ans, étudiante en droit…
C’est peut-être pour ça que j’avais éprouvé autant de plaisir. Parce qu’on était en famille.
Et puis c’était bien fait pour elle. En ce 14 Juillet, « pauvre papa » était enfin vengé de son ignoble famille !
J’ai couru dans notre chambre. Tout excité.
– Maman ! J’ai vengé papa !
– Mon pauvre petit, qu’est-ce que tu as fait là ?
J’en suis resté sans voix. Puis je me suis ressaisi.
– Mais, maman…
Putain ! elle s’était déjà rendormie.
J’ai failli la secouer de fureur par les épaules pour la réveiller.
Mais maman est devenue trop fragile. Elle a de moins en moins de pouvoir d’écoute.
Je dois me raisonner. Admettre qu’elle ait de plus en plus d’absences. C’est vrai qu’elle aura bientôt quatre-vingt-trois ans. Ce n’est plus la toute première fraîcheur…
Tiens, à propos, elle a besoin de soins.



© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

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