samedi 17 avril 2010

Noir Express : "Editeur au sang" (C. C. XV) par Alain Pecunia, Chapitre 34

Chapitre 34





– Vous avez des nouvelles de ma sœur ? demanda Marie-Laure de Loÿ d’une voix emplie d’angoisse.
Isabelle Cavalier fit non de la tête. Sans lui faire part de ses craintes sur le sort de sa sœur.
La cadette refoula ses larmes.
Elle avait perdu toute assurance. Son regard triste inspirait une certaine compassion à Isabelle, qui n’en oubliait pas pour autant qu’elle était complice de meurtres.
– Je me suis toujours doutée que ça se finirait mal…
Trop tard, pour le regretter, pensa Isabelle, en se tournant vers Antoine qui était en train de demander à ses adjoints de se poster dans le hall de l’hôtel pour la nuit aussitôt qu’ils auraient fini leur tasse de café.
– Je vous en apporterai tout à l’heure et je vais vous préparer des sandwiches, intervint la générale, montrant par là qu’elle n’avait pas l’intention d’aller se coucher.
D’ailleurs, ni Phil ni son ami Dupont-Jaulieu ne semblaient montrer la moindre intention de se retirer pour laisser les policiers en tête à tête avec leur témoin.
– Vous pouvez aller vous coucher, leur dit Antoine.
– Pas question ! lui répondit la voix de la générale qui se trouvait derrière lui et à laquelle il ne s’était pas adressé sciemment. Vous pouvez encore avoir besoin de nous.
Le ton était sans réplique.
Antoine consulta Isabelle Cavalier du regard.
Fataliste, Isabelle haussa les épaules. Le lieu le plus sûr était encore ici.
D’ailleurs, il était exclu de se rendre au 36, quai des Orfèvres étant donné que leur enquête n’avait aucun cadre légal et restait strictement perso. De toute façon, le danger se situait à l’extérieur. En restant dans cet appartement, ils limitaient les risques et pouvaient aisément protéger leur témoin.
– Bon, on fera avec, dit Antoine résigné, en se demandant s’il travaillait bien aux Stups ou s’il participait au tournage d’un épisode d’Hercule Poirot lorsqu’il vit les deux professeurs et la vieille dame s’installer confortablement pour ne rien rater du finale.
Antoine regarda sa montre, il était deux heures dix, et fit signe à Isabelle Cavalier qu’il lui laissait l’initiative vu que c’était initialement son enquête.
– Vous avez compris, je pense, que la seule chance de vous en sortir est de nous dire toute la vérité sur cette histoire ? commença Isabelle en s’asseyant au côté de Marie-Laure sur le canapé.
La jeune femme fit oui de la tête.
– Mais ce n’est pas facile, dit-elle. J’ai peur…
Isabelle la sentait bloquée.
– Quand vous aurez parlé, ils ne pourront plus rien contre vous, insista doucement Isabelle tout en pensant qu’il n’y avait rien de moins sûr.
Isabelle faillit lui dire que c’était la seule façon d’éviter à son tour le sort probable de sa sœur.
Elle préféra lui révéler celui de Dupert.
À sa surprise, la jeune femme ne sembla pas regretter la fin tragique du policier.
– C’était votre amant…, dit Isabelle, pensant la faire réagir.
– C’était aussi un pourri, lâcha-t-elle en baissant la tête.
Marie-Laure de Loÿ semblait avoir plongé en elle-même.
Isabelle sentait instinctivement qu’elle hésitait encore à parler.
Elle fit comprendre d’un bref regard à Antoine qu’il leur fallait patienter un peu et respecter son silence.
– Allez-y, ma petite, ça vous soulagera, intervint la générale à la stupeur des deux policiers qui l’aurait volontiers étranglée.
« Elle va tout foutre en l’air, la vieille ! » pensa Antoine en tentant de se contenir.
Isabelle ferma les yeux pour conjurer intérieurement le mauvais sort.
– Vous avez raison, madame, fit la jeune femme en s’adressant à la générale.
– Commencez par le commencement, ma petite, ça sera plus facile, l’encouragea celle-ci. Je crois que vous pouvez faire confiance à ces personnes (elle désignait Isabelle et Antoine), elles vont vous sortir de là. N’est-ce pas ?
La question s’adressait à eux.
Voyant Antoine bouillir intérieurement et près d’exploser, Isabelle s’empressa d’acquiescer pour limiter la casse.
– Nous avons fait la connaissance d’Éric, le capitaine Dupert, l’été dernier, commença Marie-Laure de Loÿ. Après le 14 juillet. Au café en face de l’impasse, Chez Pierrot. C’était un midi et nous y déjeunions avec ma sœur quand il s’est invité à notre table parce qu’il n’y avait pas d’autres places de libre. Nous lui avons trouvé tout de suite beaucoup de charme…
La jeune femme sembla hésiter. Isabelle croyait deviner.
– Allez-y, ma petite ! l’encouragea la générale. Ne soyez pas gênée. J’ai vécu, vous savez. Ah ! l’Afrique et ses nuits… Si vous croyez que j’attendais mon mari comme Pénélope son Ulysse !
Les femmes furent seules à sourire.
– Avec ma sœur, poursuivit la jeune femme, nous avons toujours partagé nos amants, et Éric était un amant exceptionnel. Nous sommes même partis une quinzaine de jours en août ensemble, au Cap-d’Agde. C’était super et nous sommes devenus tous trois inséparables. Puis, début septembre, un soir, chez nous, Éric nous a dit que c’était pas vraiment par hasard qu’il avait fait notre connaissance. Qu’il avait été mis sur la piste d’un truc qui valait de l’or, que c’était comme ça qu’il avait voulu nous connaître car il avait besoin d’aide, et que nous pouvions en profiter ensemble et vivre la belle vie. Au début, il nous a avoué qu’il voulait juste se servir de nous, nous utiliser, mais qu’il était tombé amoureux fou de nous deux. Pour preuve, il nous a révélé comment il était tombé sur ce qu’il appelait sa « mine d’or ». Début juillet…
Le capitaine Dupert enquêtait sur le meurtre de deux fillettes qui avaient été retrouvées assassinées et violées dans le XIXe , au parc des Buttes-Chaumont, vers la mi-juin.
Il avait arrêté début juillet le meurtrier, un certain Gérard Boulic, postier de son état, qui habitait le même immeuble que les petites victimes et qui s’étaient laissé aborder par lui en toute confiance. C’est alors que Boulic, en échange de sa liberté, a révélé au capitaine Dupert l’existence de dossiers qui valaient de l’or. Qu’il était bien placé pour le savoir, car, grâce à ces dossiers, Serge Tampion, l’éditeur, faisaient chanter certaines personnes et que c’était lui, Boulic, qui allait chercher l’argent. Il cita l’homme politique et le producteur. Mais il y avait d’autres dossiers que Tampion gardait en réserve dans le coffre de son bureau au deuxième. L’éditeur, un jour, lui avait révélé, avec des airs mystérieux, qu’il en détenait un qui pourrait faire trembler la République. Boulic avait également avoué qu’il était l’amant de l’éditeur.
Pour Isabelle et Antoine, les choses commençaient à se mettre en place.
Les « spectateurs », eux, retenaient leur souffle.
Marie-Laure poursuivait son récit.
– Ma sœur a toujours été ambitieuse. Elle n’a jamais reculé devant rien pour atteindre ses objectifs. Aussi, quand Éric lui a demandé de coucher avec Tampion pour lui soutirer le code de son coffre que n’avait pu obtenir Boulic, elle a accepté. Elle ignorait que c’était un pervers sado-maso. Alors, quand Éric, voyant qu’elle n’obtenait rien et subissait ce porc de Tampion pour rien, a décidé de passer à des méthodes « plus efficaces », elle l’a presque encouragé. Moi, aussi d’ailleurs, avoua-t-elle. Mais nous avions mis la main dans un engrenage cauchemardesque. Surtout qu’Éric n’était plus le même après le meurtre de Tampion. Il a fait du chantage sur son complice, le postier, pour qu’il joue le rôle de la victime momentanée, lui promettant de le sortir de là rapidement. À ma sœur, tout ça lui semblait un mauvais scénario. Elle craignait que Boulic craque en prison. Alors, elle a pris contact avec un type qu’elle avait rencontré dans un cocktail littéraire et avec qui elle avait couché occasionnellement. Un type au bras long et qui peut aider à résoudre n’importe quel problème. Elle lui a dit qu’elle avait des ennuis et lui a parlé des dossiers Tampion. Alors, ce type lui a promis que, si elle mettait la main dessus et les lui remettait, non seulement elle n’aurait plus de problème, mais elle y gagnerait une fortune.
Isabelle et Antoine échangèrent un long regard.
– Ce type, c’est Pierre-Marie, n’est-ce pas ? demanda Isabelle pour la forme.
– Comment le savez-vous ? s’étonna Marie-Laure.
– Nous savons, dit Isabelle, mais ce n’est pas la peine d’en dire plus sur lui, ajouta-t-elle en craignant que son nom complet ne soit prononcé devant les « spectateurs » que le récit de la jeune femme tenait en haleine.
– Ensuite…, reprit la jeune femme.
– Ce n’est pas nécessaire. La suite, nous la connaissons.
La jeune femme parut surprise. Les trois « spectateurs », eux, donnaient l’impression d’être déçus. Mais Isabelle et Antoine savaient que c’était préférable.
Ils n’avaient pas besoin de savoir que l’aînée des Loÿ avait ensuite manipulé Dupert pour le compte de Pierre-Marie de Laneureuville. Que la reprise de l’enquête sur l’assassinat de Serge Tampion avait jeté un vent de panique et que tout s’était accéléré. Que de Laneureuville avait fait exécuter le postier en prison la veille de son audition par le juge car de Laneureuville savait pertinemment qu’il risquait de craquer devant le juge et de lui révéler l’existence des dossiers Tampion, de la même façon qu’il l’avait révélé à Dupert. Qu’ensuite…
– Vous croyez que ma sœur…, dit Marie-Laure en se mettant à pleurer.
Ce n’était pas vraiment une question et Isabelle savait qu’il était inutile de mentir.
La jeune femme « savait ».


© Alain Pecunia, 2010.
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