jeudi 15 avril 2010

Noir Express : "Editeur au sang" (C. C. XV) par Alain Pecunia, Chapitre 32

Chapitre 32





Antoine laissa un de ses hommes en surveillance rue Amelot, au cas où, et se rendit avec Isabelle Cavalier et les deux autres policiers à l’hôtel particulier de Serge Tampion.
Ils inspectèrent l’impasse avec précaution avant de pénétrer dans l’hôtel arme au poing.
Dès qu’ils arrivèrent au premier étage, celui des bureaux de la maison d’édition, ils se rendirent compte qu’ils avaient été précédés.
Les deux portes, de chaque côté du palier, n’étaient pas fermées à clé.
Antoine et l’un de ses hommes inspecta le côté gauche, Isabelle et l’autre policier le côté droit.
Puis ils montèrent au deuxième, l’étage des appartements de Serge Tampion.
La porte d’entrée avait été forcée.
Antoine pénétra le premier dans l’appartement, puis fit signe à Isabelle et à ses hommes qu’il devait y avoir une présence.
Isabelle entra à son tour, tenant son arme à deux mains.
Suivie des deux policiers, qui les dépassèrent et se placèrent en protection au bout du corridor.
Ils avancèrent dans le plus grand silence et explorèrent les premières pièces.
L’un des hommes d’Antoine fit halte et signala un filet de lumière sous la porte d’une des pièces.
– Bibliothèque, souffla à Antoine Isabelle qui connaissait la disposition des lieux.
Le commissaire fit signe à ses hommes de se disposer à intervenir.
Ceux-ci se placèrent de part et d’autre de la porte, Antoine devant la porte prêt à l’ouvrir à la volée, Isabelle quelques pas derrière lui en protection.
Antoine ouvrit la porte dans la seconde, se précipita à l’intérieur et se mit en position de tir, genoux légèrement fléchis, pistolet tenu à deux mains balayant la pièce.
Il resta ainsi figé, aussitôt suivi et imité par ses adjoints et Isabelle.
Antoine se redressa et baissa son arme.
Il se tourna vers Isabelle avec une mine consternée.
L’ahurissement le plus complet se lisait sur le visage d’Isabelle qui avait également baissé son arme.
Les deux autres policiers ne comprenaient pas l’attitude de leur supérieur mais restèrent néanmoins en position de tir.
– Vous en avez mis du temps !
La voix de Philippe-Henri Dumontar était lourde de reproche.
Il était tranquillement installé dans un des fauteuils, un livre entre les mains et un plaid sur les genoux.
– Mais qu’est-ce que tu fais là ? s’exclama Isabelle.
Antoine fit signe à ses hommes qu’ils pouvaient remballer la quincaillerie.
Ils mirent un certain temps à s’exécuter, ne sachant plus dans quel film on les faisait tourner.
– Ben, je vous attendais ! répondit Philippe-Henri. Mais je commençais à me faire du mauvais sang.
– Ça mérite peut-être une explication, non ? fit Isabelle d’une voix blanche.
– C’est le moins qu’on puisse dire ! surenchérit Antoine d’un ton rogue, malgré la grande estime qu’il éprouvait pour le « père » d’Isabelle.
Phil resta assis et rajusta son plaid sur les genoux, affichant une moue désabusée.
– Ah ! je reconnais bien là la police. Toujours ingrate… même quand on lui sauve ses témoins !
Isabelle comprit la première.
– Tu sais où elles sont ? demanda-t-elle avec impatience.
– Marie-Laure, oui. Elle est au troisième.
« Au moins une des deux de sauver », pensa Antoine sans exprimer sa pensée à haute voix.
– Mais elle est choquée. Alors faites dans la délicatesse pour l’interroger, ajouta-t-il.
Puis Phil leur expliqua qu’il était venu rendre visite en fin d’après-midi à son ami Dupont-Jaulieu, le professeur en Sorbonne qui habitait au troisième étage.
Il était arrivé vers cinq heures, en même temps que Marie-Laure de Loÿ, qu’il connaissait en tant qu’auteur de la maison.
Elle ne lui avait pas paru dans son assiette. Elle était très tendue. Alors il lui avait proposé de prendre le thé avec lui et son ami. Ce qu’elle avait accepté avec empressement, presque avec soulagement.
Plus le temps s’écoulait, plus elle semblait nerveuse, consultant tantôt sa montre, tantôt son portable.
– J’attends un message de ma sœur, avait-elle dit en guise d’explication. Nous avons un dossier urgent à terminer et nous nous sommes donné rendez-vous ici.
À dix-huit heures trente, elle a reçu un de ces messages écrits qu’on reçoit par téléphone.
« Rejoins-moi. »
Alors, la petite s’est mise à éclater en sanglots.
– On a réussi à comprendre que sa sœur avait de gros problèmes. Que, si ça se passait mal, elle enverrait ce type de message.
Isabelle et Antoine se jetèrent un regard entendu.
L’aînée était en compagnie des assassins et ils avaient exigé d’elle qu’elle fasse venir sa sœur.
Ils devinaient la suite.
Ils avaient réussi à la faire parler et lui faire avouer qu’elle avait donné rendez-vous à sa sœur à la maison d’édition.
Et ils étaient venus. Ce que leur confirma la suite du récit de Philippe-Henri Dumontar.
Peu avant vingt heures – ce qui signifiait qu’Anne-Sophie avait résisté un certain temps –, il avait vu arriver dans la cour trois hommes.
Philippe-Henri avait joué au locataire qui se rend aux poubelles avec son sac et il avait croisé les trois hommes sur le palier du premier.
Ceux-ci l’avaient ignoré et il en avait fait de même.
Quand il était remonté, quelques minutes plus tard, ils n’étaient plus là.
Antoine et Isabelle comprirent qu’ils avaient pénétré dans les locaux à l’aide du jeu de clés que possédait Anne-Sophie Loÿ.
Ils étaient ressortis trois quarts d’heure plus tard.
La jeune femme avait raconté aux deux professeurs une histoire à laquelle ils n’avaient pas compris grand-chose.
– Mais, comme tu m’avais dit que tu enquêtais sur le meurtre de Serge Tampion, j’ai pensé que tu devais être sur la piste. Alors j’ai décidé de venir t’attendre ici après leur départ…
– Mais ils auraient pu revenir ! le coupa Isabelle en songeant au danger qu’avait couru Phil. Pourquoi ne m’as-tu pas appelée ?
– Le téléphone, surtout les portables, c’est pas sûr dans ces cas-là. Et il n’y avait pas à s’inquiéter. Ils n’allaient pas revenir puisqu’ils n’avaient pas trouvé Marie-Laure et, de toute façon, j’étais armé.
À la stupéfaction des policiers, Phil sortit de sous le plaid un vieux pistolet Mauser de la Seconde Guerre mondiale.
– Mais, où t’as eu ça ? s’exclama Isabelle abasourdie.
Phil haussa les épaules tant cette préoccupation lui semblait triviale.
– C’est la générale qui me l’a prêté. Un des souvenirs de guerre de son défunt mari.
Antoine leva les yeux au ciel. Il trouvait que ça faisait beaucoup de témoins à leur opération « discrète ».


© Alain Pecunia, 2010.
Tous droits réservés.

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