samedi 19 juillet 2008

Noir Express : "National, toujours !" (Chroniques croisées II) par Alain Pecunia, Chapitre 2

Chapitre 2





Assis à l’arrière de l’autobus bondé au fil des stations, il ne pouvait s’empêcher, comme lors de chaque trajet, de se demander lesquels étaient de vrais Français parmi les passagers. Pas derche, se répondait-il chaque fois. Un chouïa.
Lorsqu’il ne trouvait pas de place assise, il se plantait devant une Noire ou une Arabe et ne cessait de la fixer répétant en lui-même : « Laisse ta place à un Blanc. » Il devait toutefois convenir que son pouvoir télépathique était minime. Ça marchait rarement. À vrai dire de moins en moins. Excepté lorsque la femme était arrivée à destination.
Parfois, il avait pensé essayer le truc sur un mec. Mais il avait préféré y renoncer. Ces mecs-là, ils fonctionnaient pas comme des Français, ils pouvaient avoir des réactions imprévisibles. C’est plein de violence sauvage, les Noirs et les Arabes. Même pas le mépris qu’il leur faut. L’indifférence tranquille. C’est tout. Comme s’ils n’avaient pas existé. Surtout qu’à cette heure-là ils sont toujours plus nombreux que les Blancs. Évidemment, si c’était l’inverse, il gerberait, le fellagha !
Sans s’en rendre compte, il hocha la tête et se marra tout seul en se souvenant qu’un jour il était tombé sur un gauchard qui lui avait soutenu que les Arabes appartenaient à la race blanche. Et le gars, il prétendait même le lui prouver scientifiquement !
Alors là, ni une ni deux, surtout qu’il était avec Albert, son pote. Il lui avait foutu son poing sur la gueule à cette feignasse d’intellectuel.
– Tiens ! la v’là ma démonstration scientifique à moi !
Il revoyait encore la gueule du mec. Sidéré qu’il était. Et tout con avec son nez qui pissait le sang.
Pour se marrer, ils s’étaient marrés avec Albert. Pour fêter ce bon coup, ils s’étaient même payé une pute avec Albert. À deux qu’ils y étaient passés. Une jeune Noire qu’ils avaient choisie. Ah ! il fallait pas lui en promettre. Elle jouissait la salope. Comme quoi c’est pas vrai que les négros et les bicots ils ont de meilleures bites que les Blancs !
À vrai dire, il ne se souvenait plus très bien de ce qui s’était passé. Ni Albert quand ils avaient tenté de reconstituer la séance pour la raconter aux copains de Chez P’tit Louis à l’heure de l’apéro du soir.
Quelle biture ils tenaient ce jour-là. Pire que des légionnaires.


Soudain, il s’aperçut qu’on le dévisageait avec curiosité. Il cessa de se marrer aussitôt, se ressaisit et s’excusa muettement en souriant.




© Alain Pecunia, 2008.Tous droits réservés.

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