vendredi 25 juillet 2008

Noir Express : "National, toujours !" (C. C. II) par Alain Pecunia, Chapitre 6

Chapitre 6





Ce vendredi soir, Jean Ferniti retrouva Albert Papinski Chez P’tit Louis, un rade à trois cents mètres de la cité. Avec Albert, ils se comprenaient. Comme devaient se comprendre de vrais anciens d’Algérie qui n’avaient pas honte d’avoir défendu la France. Hélas ! la majorité des anciens étaient des foireux, mais pas eux, ça non ! Ils l’avaient encore prouvé récemment.
Jean Ferniti exerçait une certaine influence sur Albert Papinski. Cela lui semblait naturel : lui avait servi dans un régiment parachutiste. Il avait crapahuté et baroudé dans le djebel. Volontaire qu’il avait été. Tandis qu’Albert, quoique son aîné d’un an, était un rappelé. Cuistot. Mais pas un foireux. C’est ce qui comptait aux yeux de Jean Ferniti. Il était d’ailleurs un bon adjoint.
Pour l’énième fois, Jean était reparti pour un nouveau panégyrique du père Legrand. Son idole.
Certains malfaisants racontaient que, petit artisan en mécanique de précision, il avait fricoté avec les frisés et que c’était grâce à un juteux marché de la Kriegsmarine que les Établissements Legrand se développèrent en PME prospère au cours de l’Occupation.
– Mais, premièrement, c’est pas lui qui a été les chercher les frisés, expliquait Jean à Albert qui n’écoutait que d’une oreille ce discours cent fois ressassé. Deuxièmement, il fallait bien que les Français bouffent et que les entreprises tournent. Troisièmement, il fallait profiter de la présence des Teutons pour remettre de l’ordre et construire une France rénovée.
Et, baissant la voix pour n’être pas entendu des autres consommateurs qui avaient suivi le début de sa tirade :
– Comme en 70 avec la Commune et les Prussos. Pétain, il a essayé de faire avec les Allemands, obligé qu’il était par la défaite des autres, comme Thiers avec les Prussiens : mater l’anarchie et rétablir l’ordre. Thiers, lui, il a réussi parce qu’il n’avait pas les Amerloques, les cosaques, les Juifs et les cocos tous réunis contre les frisés. Les Prussiens, ils étaient vraiment vainqueurs et personne pour les emmerder. La France a pu se relever grâce à eux.
Albert l’écoutait l’air entendu. Comme si cela était également pour lui d’évidence. En fait, il admirait son Jeannot. Lui n’avait pas autant de connaissances.
– Mais Pétain, poursuivit Jean, le pauvre vieux, si au moins il était un grand chef militaire, le plus grand maréchal de France, celui de Verdun – plus grand que ceux de Napoléon et d’après –, ce que n’était pas Thiers, eh bien, il a pas eu de chance : les Prussiens de 40, y z’avaient tout le monde contre eux, même les Ricains !
Jean avala d’un trait son troisième double pastis et commanda une quatrième tournée.
La grosse Simone, la serveuse de P’tit Louis, vint les servir, de sa démarche chaloupée, comme glissant sur ses charentaises élimées dont la gauche laissait apparaître le gros orteil.
– Et voilà, ces messieurs sont servis ! dit-elle avec son sourire mi-michetonneuse, mi-Simone Signoret.
Pour Casque d’Or qu’elle se prenait la Simone, mais elle faisait plutôt penser à la Signoret de la fin, sans la classe.
Elle resta là, à regarder les deux verres, comme attendant la reprise de la conversation.
Jean la regarda et lui tapota la fesse en lui disant doucement:
– Allez, ma grosse, laisse les hommes entre eux !
Ils la suivirent du regard, plutôt son postérieur qui accompagnait la glissade des charentaises hors d’âge. Ils se sourirent d’un air convenu et redevinrent graves.
Jean se racla la gorge avant de reprendre d’une voix de conspirateur :
– Alors, je te disais qu’avec Pétain les Allemands ils étaient pas les plus forts. Mais, Albert, écoute-moi bien ! dit-il pointant son index droit sous le nez d’Albert qui eut un geste de recul. Écoute-moi bien, renchérit-il quasiment inaudible, écoute-moi bien Albert, et imagine, imagine vraiment ce que Pétain aurait pu faire si les Prussiens de 40 avaient été vainqueurs partout, et des Juifs, et des Ricains, et des Ruscofs, et des cocos, et des Rosbifs et toute la smala… Imagine, Albert !
Albert s’efforça d’imaginer. Vainement.
– Dis-le-moi, Jean, toi qui sais, finit-il par dire d’une voix hésitante.
– Eh bien, Pétain, il aurait encore mieux fait que Thiers ! La France aurait été propre définitivement et elle aurait conservé son Empire et peut-être même agrandi tellement Hitler il admirait Pétain. Hitler, il aurait donné de nouvelles colonies à la France.
– T’es sûr, Jean ? fit Albert incrédule.
– Bien sûr ! En échange de tous nos Juifs, rétorqua Jean péremptoire.
Albert sembla frappé de l’argument. Il balança la tête de gauche et de droite comme cherchant ses idées et demanda, après une longue, très longue hésitation :
– Mais, Jean, pourquoi Hitler, alors, il a pas donné de colonies aux Polonais ?
Jean Ferniti resta un moment abasourdi. Que venaient faire les Polacks là-dedans ? Il n’en connaissait que deux de vraiment honorables : Jean-Paul II parce qu’il s’était débarrassé des curés rouges et Walesa parce qu’il emmerdait les Russes.
– Des colonies aux Polonais ? fit-il, hagard.
– Ben oui ! s’enhardit Albert. C’est là qu’il y avait le plus de Youpins et c’est là qu’on s’en est tous débarrassés. Même que ma sainte mère disait qu’il n’y avait pas à pleurer pour eux ; ils n’avaient qu’à être catholiques comme tout le monde en Pologne.
– Et alors ? demanda Albert, toujours sonné.
– Eh ben alors, répondit Albert fier de sa démonstration et du désarroi inhabituel du Jeannot, eh ben alors, Hitler il aurait dû leur donner des colonies – même plus qu’à la France vu qu’il y avait plus de Youpins en Pologne…
Jean finit par reprendre ses esprits.
– Tu te fous de ma gueule ! hurla-t-il. Des colonies aux Polonais ! La France aurait partagé les colonies piquées à l’Angleterre avec les Polonais ? Alors qu’elle se trouvait dans cette merde pour avoir défendu dans l’honneur la Pologne incapable de repousser l’armée allemande ! Mais tu te fous de ma gueule, Albert ! lui postillonna-t-il visage contre visage. Sans les Polacks, il y aurait jamais eu de guerre avec Hitler et la France aurait pas été battue ! Merde alors ! fit-il en se retournant vers les quelques habitués des tables alentour, les uns goguenards, les autres indifférents ou exprimant du regard une profonde lassitude en regardant P’tit Louis.
Celui-ci comprit le message.
– Eh ! les anciens combattants, intervint-il, calmez-vous, l’ennemi vous écoute !
Certains rirent de bon cœur.
Albert reprit mezza voce, osant dévisager Jeannot, sûr de son argumentation :
– Mais, Jean, sans les Polonais, s’il n’y avait pas eu la guerre et la défaite, comment la France elle aurait pu être redressée par Pétain ?
Jean Ferniti croyait entendre son vieil instit tenter de lui exposer l’évidence d’un énoncé de problème de robinet d’eau.



© Alain Pecunia, 2008.
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