Chapitre 11
Le mardi matin, Jean Ferniti reprit toutes ses habitudes dès six heures douze, l’heure de la chasse d’eau du quatrième.
À huit heures quinze précises, il était aux Établissements Legrand et Fils et se concentra sur ses tâches habituelles. D’abord le courrier concernant son service.
Il était redevenu un soldat secret du PPF en mission. Sa concentration augmentait au fil des quarts d’heure.
À onze heures quarante-cinq, il expédia les deux Marocains dans les ateliers pour qu’ils vérifient l’état d’avancement de la production pour les commandes de la fin de semaine.
– Mais on l’a jamais fait ça, chef ! protesta Ahmed, l’aîné.
– Ça fait rien. Comme ça vous apprendrez, lui répondit-il sèchement.
Ahmed et Momo haussèrent les épaules et se dirigèrent perplexes vers les ateliers.
Jean Ferniti savait qu’il était débarrassé d’eux jusqu’à la pause.
À midi, il sortit de sa cage de verre pour appeler Yvonnick qui s’approcha de lui en prenant tout son temps.
– Je te demande un service avant la pause, lui dit-il.
Le rouquin fut surpris de tant d’égards et en resta bouche bée.
– Il y a une pile de boîtes cartonnées au fond de la réserve. Quatre ou cinq. D’anciens bordereaux que M. Legrand souhaite consulter en début d’après-midi. Elles sont posées sur un vieux bureau. On va y aller ensemble les chercher avant la pause. C’est histoire de cinq minutes. Mais prend une torche électrique car l’interrupteur est naze.
Yvonnick maugréa pour le principe et, muni d’une torche, descendit à la réserve, éclairant le chemin à Ferniti.
Arrivé au fond de la réserve, celui-ci se retourna en éclairant le visage de Ferniti.
– Mais il n’y a rien ici ? dit-il.
Il était surpris mais n’eut pas le temps d’avoir peur. Sa lampe éclairant la face de Ferniti, il ne put percevoir le mouvement de son bras qui lui assena un terrible coup de barre de fonte.
Yvonnick s’affala comme une poupée de son. Ferniti ramassa la lampe tombée à terre et pu constater, vu les faibles râles et l’état de la boîte crânienne, que le rouquin avait son compte.
Il remonta après avoir essuyé la barre de fonte avec son mouchoir.
Midi dix.
Tout était dans le timing. Une véritable opération commando.
Il interpella Yvonne.
En contemplant sa crinière rousse et ses lignes quasi parfaites, il se dit qu’elle faisait vraiment une victime idéale. Et à peine plus de trente ans. Bien baisable. Mais il aurait pas le temps.
– Avec Yvonnick, on a besoin d’un coup de main dans la réserve.
Elle n’était pas du genre à renâcler au travail et, puisque ce n’était pas encore l’heure de la pause, elle suivit Ferniti qui la précéda pour lui éclairer le chemin.
Quand il sut qu’il n’était plus qu’à trois, quatre mètres du corps du Breton, il la fit passer devant. Éclairant alors brusquement le corps du rouquin. Elle se tourna terrifiée vers Jean Ferniti qui l’égorgea d’un balaiement de son poignard avant qu’elle ait eu le temps de crier.
Son corps s’affala à un ou deux mètres de celui du Breton. C’était parfait.
Puis il s’agenouilla et, prenant soin de ne pas se tacher de sang, arracha sa robe à hauteur du décolleté et de la taille et baissa ses collants et son slip jusqu’à mi-jambes en écartant légèrement celles-ci.
Il posa le poignard près du corps après en avoir essuyé le manche. Ce n’était qu’un poignard commando comme un autre, juste un peu plus affûté. De toute façon, ce n’était pas celui qui avait servi pour les deux autres meurtres.
Il était midi vingt quand il remonta et réajusta la ceinture et le col de sa blouse grise de travail.
À vingt-sept apparurent les deux Marocains revenant des ateliers.
Ferniti consulta sa montre.
– C’est pas encore la pause, mais tu peux y aller Mohammed.
– Merci, chef ! répondit-il machinalement, sachant par ses dix années d’expérience que c’était là le sésame qui lui permettait de ne pas être emmerdé par Ferniti le reste du temps.
– Et moi ? demanda Ahmed tandis que son collègue s’éloignait vers la porte.
Jean Ferniti sourit et attendit deux, trois secondes, le temps que Mohammed soit hors de portée, avant de répondre :
– Il y a Yvonne qui a besoin d’un coup de main dans la réserve. Tu déjeuneras en décalé.
Il savait que Momo, l’Arabo-Normand, était ferré à coup sûr. Se trouver seul avec Yvonne sa « pays » dans la réserve pendant l’heure de pause, le pied !
Momo sourit. Momo était content.
« Comme quoi tout le monde est content », se dit Ferniti en lui rendant son sourire.
Même que ce con de Marocain il lui a dit :
– Merci, monsieur Ferniti.
Mais Ferniti, il a continué de sourire, sans plus, tandis que Momo se dirigeait d’un pas allègre vers la réserve.
Il avait juste oublié de lui préciser que l’interrupteur ne fonctionnait pas.
Jean Ferniti traversa la rue à midi trente précis et pénétra dans le bar-restaurant Aux Amis deux minutes plus tard.
– Salut, mon brave Marcel !
Comme à l’accoutumée, sauf qu’il se savait toujours en mission.
– Bonjour, monsieur Jean.
Marcel trouva qu’il était nettement moins excité que la veille. Mais il lui trouva un drôle de regard. Celui qu’ont les commandos en mission. Quand ils sont en pleine concentration. Lui, il le connaissait bien ce regard. C’était comme un regard de tueur.
Ferniti s’assit à sa place habituelle, moins volubile que la veille. Tout en souriant machinalement aux habitués qui reprirent leurs sempiternelles discussions, lui continuait d’imaginer la progression du Marocain dans l’obscurité.
Il avait dû être surpris que l’interrupteur ne fonctionne pas. Il avait dû appeler : « Yvonne ! Yvonne ! » S’inquiéter qu’elle fût là dans le noir. Qu’elle ait peut-être eu un malaise. Mais, en faisant dix mètres de plus à tâtons pour trouver l’interrupteur suivant, il avait commencé à apercevoir la lueur de la torche que Ferniti avait laissée près du corps. Donc il se dirigeait vers la lueur. Il découvrait le corps d’Yvonne. Paniquait. Touchait le corps pour voir si elle respirait encore. Tu parles ! Se foutait plein de sang sur les mains et les vêtements. Prenait l’arme par réflexe. Puis la torche. Et découvrait l’autre corps. Panique complète. À en perdre la boule pour un innocent. Sentant la terreur l’envahir. Trop anesthésié pour comprendre le traquenard.
Il fallait bien qu’il ressorte à un moment.
Tiens, justement, v’là le Marcel qui se tourne vers le trottoir d’en face ! Il a pas l’air dans son assiette le vétéran d’Indo. Il croit voir un Viet !
« Rassure-toi, Marcel, ce n’est qu’un Arabe », se dit Ferniti sans se retourner vers la vitre encrassée.
Il ne voit donc pas ce que voit Marcel.
Le Momo hagard, un poignard à la main, du sang sur les mains et les vêtements, traversant comme un somnambule la rue et se dirigeant vers son commerce.
Marcel, il a le réflexe professionnel. Il s’empare, affolé, ignorant des intentions de Momo qui ne semble plus dans son assiette, du bigophone et appelle les flics.
Mais, pas de panique, le Momo il reste là planté devant la porte du rade-restau sans l’ouvrir. Tétanisé. Les bras ballants.
Quelques-uns se lèvent dans la salle et s’agglutinent autour de la porte. Ils sont de plus en plus nombreux. Tous muets de stupeur. Personne n’esquissant le moindre geste pour ouvrir la lourde.
Ferniti finit par se lever. Pour faire comme les autres. Mais comptez pas sur lui pour se mettre au premier rang et ouvrir au Momo.
Il a un couteau à la main, ce con. Ils sont tellement imprévisibles ces Arabes qu’il serait capable de se jeter sur lui.
Alors il reste au milieu des autres et prend un air aussi débile que le leur. L’air de ceux qui n’ont jamais vu un assassin en chair et en os.
Ça semble durer une plombe, mais, comme le commissariat n’est pas très loin, à peine quatre, cinq minutes. Ça fait quand même long vu l’état du Momo.
Mais la cavalerie finit par arriver.
Elle va pouvoir se saisir de l’assassin.
© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.
Le mardi matin, Jean Ferniti reprit toutes ses habitudes dès six heures douze, l’heure de la chasse d’eau du quatrième.
À huit heures quinze précises, il était aux Établissements Legrand et Fils et se concentra sur ses tâches habituelles. D’abord le courrier concernant son service.
Il était redevenu un soldat secret du PPF en mission. Sa concentration augmentait au fil des quarts d’heure.
À onze heures quarante-cinq, il expédia les deux Marocains dans les ateliers pour qu’ils vérifient l’état d’avancement de la production pour les commandes de la fin de semaine.
– Mais on l’a jamais fait ça, chef ! protesta Ahmed, l’aîné.
– Ça fait rien. Comme ça vous apprendrez, lui répondit-il sèchement.
Ahmed et Momo haussèrent les épaules et se dirigèrent perplexes vers les ateliers.
Jean Ferniti savait qu’il était débarrassé d’eux jusqu’à la pause.
À midi, il sortit de sa cage de verre pour appeler Yvonnick qui s’approcha de lui en prenant tout son temps.
– Je te demande un service avant la pause, lui dit-il.
Le rouquin fut surpris de tant d’égards et en resta bouche bée.
– Il y a une pile de boîtes cartonnées au fond de la réserve. Quatre ou cinq. D’anciens bordereaux que M. Legrand souhaite consulter en début d’après-midi. Elles sont posées sur un vieux bureau. On va y aller ensemble les chercher avant la pause. C’est histoire de cinq minutes. Mais prend une torche électrique car l’interrupteur est naze.
Yvonnick maugréa pour le principe et, muni d’une torche, descendit à la réserve, éclairant le chemin à Ferniti.
Arrivé au fond de la réserve, celui-ci se retourna en éclairant le visage de Ferniti.
– Mais il n’y a rien ici ? dit-il.
Il était surpris mais n’eut pas le temps d’avoir peur. Sa lampe éclairant la face de Ferniti, il ne put percevoir le mouvement de son bras qui lui assena un terrible coup de barre de fonte.
Yvonnick s’affala comme une poupée de son. Ferniti ramassa la lampe tombée à terre et pu constater, vu les faibles râles et l’état de la boîte crânienne, que le rouquin avait son compte.
Il remonta après avoir essuyé la barre de fonte avec son mouchoir.
Midi dix.
Tout était dans le timing. Une véritable opération commando.
Il interpella Yvonne.
En contemplant sa crinière rousse et ses lignes quasi parfaites, il se dit qu’elle faisait vraiment une victime idéale. Et à peine plus de trente ans. Bien baisable. Mais il aurait pas le temps.
– Avec Yvonnick, on a besoin d’un coup de main dans la réserve.
Elle n’était pas du genre à renâcler au travail et, puisque ce n’était pas encore l’heure de la pause, elle suivit Ferniti qui la précéda pour lui éclairer le chemin.
Quand il sut qu’il n’était plus qu’à trois, quatre mètres du corps du Breton, il la fit passer devant. Éclairant alors brusquement le corps du rouquin. Elle se tourna terrifiée vers Jean Ferniti qui l’égorgea d’un balaiement de son poignard avant qu’elle ait eu le temps de crier.
Son corps s’affala à un ou deux mètres de celui du Breton. C’était parfait.
Puis il s’agenouilla et, prenant soin de ne pas se tacher de sang, arracha sa robe à hauteur du décolleté et de la taille et baissa ses collants et son slip jusqu’à mi-jambes en écartant légèrement celles-ci.
Il posa le poignard près du corps après en avoir essuyé le manche. Ce n’était qu’un poignard commando comme un autre, juste un peu plus affûté. De toute façon, ce n’était pas celui qui avait servi pour les deux autres meurtres.
Il était midi vingt quand il remonta et réajusta la ceinture et le col de sa blouse grise de travail.
À vingt-sept apparurent les deux Marocains revenant des ateliers.
Ferniti consulta sa montre.
– C’est pas encore la pause, mais tu peux y aller Mohammed.
– Merci, chef ! répondit-il machinalement, sachant par ses dix années d’expérience que c’était là le sésame qui lui permettait de ne pas être emmerdé par Ferniti le reste du temps.
– Et moi ? demanda Ahmed tandis que son collègue s’éloignait vers la porte.
Jean Ferniti sourit et attendit deux, trois secondes, le temps que Mohammed soit hors de portée, avant de répondre :
– Il y a Yvonne qui a besoin d’un coup de main dans la réserve. Tu déjeuneras en décalé.
Il savait que Momo, l’Arabo-Normand, était ferré à coup sûr. Se trouver seul avec Yvonne sa « pays » dans la réserve pendant l’heure de pause, le pied !
Momo sourit. Momo était content.
« Comme quoi tout le monde est content », se dit Ferniti en lui rendant son sourire.
Même que ce con de Marocain il lui a dit :
– Merci, monsieur Ferniti.
Mais Ferniti, il a continué de sourire, sans plus, tandis que Momo se dirigeait d’un pas allègre vers la réserve.
Il avait juste oublié de lui préciser que l’interrupteur ne fonctionnait pas.
Jean Ferniti traversa la rue à midi trente précis et pénétra dans le bar-restaurant Aux Amis deux minutes plus tard.
– Salut, mon brave Marcel !
Comme à l’accoutumée, sauf qu’il se savait toujours en mission.
– Bonjour, monsieur Jean.
Marcel trouva qu’il était nettement moins excité que la veille. Mais il lui trouva un drôle de regard. Celui qu’ont les commandos en mission. Quand ils sont en pleine concentration. Lui, il le connaissait bien ce regard. C’était comme un regard de tueur.
Ferniti s’assit à sa place habituelle, moins volubile que la veille. Tout en souriant machinalement aux habitués qui reprirent leurs sempiternelles discussions, lui continuait d’imaginer la progression du Marocain dans l’obscurité.
Il avait dû être surpris que l’interrupteur ne fonctionne pas. Il avait dû appeler : « Yvonne ! Yvonne ! » S’inquiéter qu’elle fût là dans le noir. Qu’elle ait peut-être eu un malaise. Mais, en faisant dix mètres de plus à tâtons pour trouver l’interrupteur suivant, il avait commencé à apercevoir la lueur de la torche que Ferniti avait laissée près du corps. Donc il se dirigeait vers la lueur. Il découvrait le corps d’Yvonne. Paniquait. Touchait le corps pour voir si elle respirait encore. Tu parles ! Se foutait plein de sang sur les mains et les vêtements. Prenait l’arme par réflexe. Puis la torche. Et découvrait l’autre corps. Panique complète. À en perdre la boule pour un innocent. Sentant la terreur l’envahir. Trop anesthésié pour comprendre le traquenard.
Il fallait bien qu’il ressorte à un moment.
Tiens, justement, v’là le Marcel qui se tourne vers le trottoir d’en face ! Il a pas l’air dans son assiette le vétéran d’Indo. Il croit voir un Viet !
« Rassure-toi, Marcel, ce n’est qu’un Arabe », se dit Ferniti sans se retourner vers la vitre encrassée.
Il ne voit donc pas ce que voit Marcel.
Le Momo hagard, un poignard à la main, du sang sur les mains et les vêtements, traversant comme un somnambule la rue et se dirigeant vers son commerce.
Marcel, il a le réflexe professionnel. Il s’empare, affolé, ignorant des intentions de Momo qui ne semble plus dans son assiette, du bigophone et appelle les flics.
Mais, pas de panique, le Momo il reste là planté devant la porte du rade-restau sans l’ouvrir. Tétanisé. Les bras ballants.
Quelques-uns se lèvent dans la salle et s’agglutinent autour de la porte. Ils sont de plus en plus nombreux. Tous muets de stupeur. Personne n’esquissant le moindre geste pour ouvrir la lourde.
Ferniti finit par se lever. Pour faire comme les autres. Mais comptez pas sur lui pour se mettre au premier rang et ouvrir au Momo.
Il a un couteau à la main, ce con. Ils sont tellement imprévisibles ces Arabes qu’il serait capable de se jeter sur lui.
Alors il reste au milieu des autres et prend un air aussi débile que le leur. L’air de ceux qui n’ont jamais vu un assassin en chair et en os.
Ça semble durer une plombe, mais, comme le commissariat n’est pas très loin, à peine quatre, cinq minutes. Ça fait quand même long vu l’état du Momo.
Mais la cavalerie finit par arriver.
Elle va pouvoir se saisir de l’assassin.
© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.