mardi 5 mai 2009

Noir Express : "Sur le quai" (C. C. XI) par Alain Pecunia, Chapitre 19

Chapitre 19





Quand sa fille arriva à dix-neuf heures trente, elle le trouva affalé et en état d’hébétude absolue dans un des fauteuils du salon.
Elle poussa un cri strident en découvrant les corps de sa mère et de son frère.
L’un et l’autre étaient sans vie.
– Qu’as-tu fait ? dit-elle d’une voix blanche en se tournant vers son père qui restait sans réaction. Qu’est-ce qui s’est passé ?
Alexandre Caillard avait le regard vide.
Elle se dirigea vers lui et le secoua violemment par l’épaule.
– Tu vas répondre, espèce de salaud !
Puis elle éclata en sanglots et se laissa choir aux pieds de son père.
– Ils sont morts pour rien, dit-elle au bout d’un long moment. Ils n’avaient rien à voir dans tout ça. C’est moi qui ai tout organisé.
Alexandre Caillard eut un léger froncement de sourcils. Mais sa fille ne le regardait pas.
– J’aimais Jérôme Mollar. Nous projetions même de nous marier. Il se sentait menacé dans cette affaire des HLM où tu défendais – comme presque toujours, d’ailleurs – les pourris. Je ne l’ai pas cru, mais je lui ai rapporté l’histoire que maman m’avait racontée. Comment tu avais participé à l’assassinat de Jean Lestrade. Ton ami de jeunesse.
Nathalie s’essuya les yeux.
– Je pensais que ce serait son assurance, que ça le protégerait de toi… Je ne savais pas que ça le condamnerait à mort… Jérôme était l’homme le plus doux qui soit, mon nounours pour la vie. Le seul homme que j’aie jamais aimé, après toi… enfin, tant que je croyais que tu étais mon père. Parce que maman m’a tout avoué quand elle m’a vu si malheureuse après la mort de Jérôme.
Elle eut un rire triste.
– La mort de Jérôme, son assassinat plutôt. Mais je ne l’ai compris que lorsque ton ami Cavalier, le garde des Sceaux, m’a convoqué dans son bureau pour me confier qu’il avait découvert que j’étais la petite amie de Jérôme Mollar, qu’il savait que tu l’ignorais et l’ignorerais toujours si j’oubliais cette affaire et savais me taire. Sinon… J’ai alors compris que vous étiez des tueurs, et c’est lorsqu’il s’est suicidé que j’ai décidé qu’il fallait que tu paies à ton tour…
Alexandre Caillard avait fermé les yeux et son front s’était plissé de rides.
– Maman m’a donné l’adresse du frère de Jean Lestrade et j’ai été le voir… C’est la première fois que je voyais mon vrai père…
Le visage d’Alexandre Caillard était devenu un masque douloureux.
– Maman, elle, n’avait cessé de le voir régulièrement et toi, mon pauvre « papa », tu ne t’es jamais douté que tu élevais une nichée de petits Lestrade.
Elle partit dans un fou rire métallique et grinçant.
Le masque de Caillard était de plus en plus douloureux.
La demie de vingt heures sonna.
Nathalie consulta sa montre.
C’était l’heure juste.
Avec un peu de chance, ils seraient à l’heure.
De toute façon, ce n’était plus à cinq minutes près.
Si elle était venue à D…, c’était sur la demande pressante du frère Lestrade, son vrai père, qui l’avait appelée à dix-sept heures quarante-cinq pour lui dire qu’il craignait qu’un drame ne soit survenu au presbytère.
Si c’était le cas, elle devait annoncer à Alexandre Caillard que Bernard Lestrade lui donnait rendez-vous pour vingt-deux heures.
Elle se releva.
Son père la regardait fixement. Sans exprimer le moindre sentiment.
Alexandre Caillard était sorti de sa prostration.
– Papa (elle se surprit à l’appeler ainsi), Bernard t’attend à vingt-deux heures à la station Saint-Michel. Je t’accompagne. C’est moi qui conduirai.
Il opina du chef silencieusement et se leva du fauteuil.
Il suivit sa fille et quitta la pièce sans avoir jeté le moindre regard aux deux corps inertes.



© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.

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