vendredi 29 mai 2009

Noir Express : "Sous le faux étendard du Prophète" (C. C. XII), par Alain Pecunia, Chapitre 4

Chapitre 4





Avec l’attroupement sur le trottoir et l’éclat des gyrophares des véhicules de pompiers et de la police, elle n’eut pas à chercher le numéro de l’immeuble.
La victime gisait au pied de l’escalier dans une mare de sang.
Proprement égorgée sur toute la largeur. Comme celle du 11 novembre.
Le lieutenant de la brigade anticriminalité, la BAC, lui tendit la carte d’identité de la victime.
– Il habitait l’immeuble. Il rentrait ou descendait de chez lui. On ne sait pas. Il habitait au premier, précisa-t-il.
Dimitri Bertov, né le 7 mai 1961. Quarante-deux ans.
– Madame dit qu’il vivait seul. Divorcé, reprit le lieutenant en indiquant du regard une femme d’une trentaine d’années qui se tenait en retrait.
Elle était livide et un des policiers lui tenait le bras.
– C’est la gardienne de l’immeuble, ajouta-t-il.
Le capitaine Isabelle Cavalier secoua la tête.
– Qu’est-ce qu’il faisait ? demanda-t-elle sans détacher son regard du cadavre.
– Libraire, dit la gardienne d’une voix sourde.
Isabelle Cavalier se tourna vers la gardienne.
– Je voudrais voir son appartement.
Elle demanda au lieutenant de l’accompagner.
Le corps de la victime barrant le passage de l’escalier, ils prirent l’ascenseur en compagnie de la gardienne.
Un deux-pièces avec des livres partout.
Sur des étagères ou empilés à même le plancher dans l’entrée et dans la pièce principale. Une bibliothèque vitrée dans la chambre.
Quelques revues dans la cuisine et une pile de livres dans les WC.
Une sorte d’annexe de la librairie, en quelque sorte. Mais l’appartement était bien tenu.
– C’est moi qui fais le ménage, précisa fièrement la gardienne.
Isabelle Cavalier termina son inspection par le réfrigérateur.
Un coup d’œil lui suffit pour constater que la victime avait fait des courses pour le réveillon.
– Il ne vous a pas dit s’il avait l’intention de réveillonner avec des amis chez lui ? demanda-t-elle à la gardienne.
La gardienne haussa les épaules. Elle ne savait pas.
Isabelle Cavalier explora plus avant le réfrigérateur.
Saumon fumé venant probablement d’une supérette d’après l’emballage. Des escargots surgelés. Deux bocaux d’œufs de lump. Du foie gras de bonne marque.
Un dîner pour deux à quatre personnes, conclut Isabelle Cavalier pour elle-même.
Le lieutenant l’interrompit dans ses réflexions.
– J’ai trouvé ça dans le salon sur une étagère à côté de la chaîne, dit-il en lui tendant un sachet de papier Kraft contenant quelques barrettes de shit.
Le capitaine Cavalier haussa les épaules.
– Conso personnelle. Ça ne nous donnera rien. Même des ministres en fument, alors !
Le lieutenant sembla déçu et haussa les épaules à son tour en posant le sachet sur un coin du plan de travail.
Isabelle Cavalier avait repris le cours de ses réflexions.
Elle consulta son bracelet-montre. Il était près de vingt heures quinze.
Elle congédia la gardienne pour rester seul à seul avec le lieutenant.
– À mon avis, il attendait du monde ce soir. Qui ? Ça, je ne le sais pas. De plus, vu l’attroupement et la présence policière, ceux ou celles qui devaient venir ne vont peut-être pas se montrer. Mais on peut toujours attendre. Quelqu’un se présentera peut-être. C’est Noël, un miracle est toujours possible.
Puis elle demanda au lieutenant de fouiner dans l’appartement pendant qu’elle redescendait pour voir où en était l’identité judiciaire.
L’équipe technique était en train de terminer les derniers prélèvements.
– Vu le topo, on fait ce qu’on peut, lui précisa le responsable avec une moue dubitative lorsqu’elle sortit de l’ascenseur. Avec tout ce sang, il n’y a pas grand-chose à glaner. Je souhaite bien du courage à ceux qui vont devoir l’emballer, le client !
C’était un grand rouquin entre deux âges que rien ne semblait plus ébranler.
– Bah ! j’ai vu pire, conclut-il en retournant vers le corps.
Isabelle Cavalier enfonça ses mains dans les poches de son blouson et sortit sur le trottoir.
L’attroupement habituel. Avec les visages aux expressions habituelles.
Plus une demi-douzaine de râleurs qui s’impatientaient de plus en plus bruyamment pour rentrer dans l’immeuble dont l’entrée leur était interdite pour le moment. Des habitants et des invités.
Isabelle Cavalier consulta à nouveau sa montre.
Avec ceux qui s’étaient agglutinés dans l’escalier entre le premier et le deuxième étage, les uns pour « voir », les autres pour sortir de l’immeuble, il était temps que le corps soit enlevé avant que ça ne tourne à la manif spontanée.
– Ça va encore durer longtemps ? l’interpella avec véhémence une femme qui lui rappela sa belle-mère.
Le capitaine Cavalier lui tourna le dos sans répondre et rentra dans l’immeuble en se demandant quelles pouvaient être les similitudes entre ces deux crimes.
Elle revit le studio de la victime du 11 novembre. Jean Partot. Rue Damrémont, dans le XVIIIe. Un immeuble cage à lapins des années soixante-dix.
Un féru d’informatique avec du matos pas possible et aux revenus mal définis si l’on comparait la valeur des engins avec sa paie de postier.
Ça sentait la combine ou le trafic. Ce qui revenait au même.
Celui-là, c’était un taciturne, d’après les voisins. Jamais de visites. Aucune relation connue. Un type seul.
Un temps syndiqué à SUD, ensuite à la CNT. Puis à plus rien.
Ses collègues n’avaient été d’aucun secours pour le cerner un peu plus.
Bizarre. Sauvage. Paumé.
Mais est-ce qu’il faisait correctement son boulot ?
– Un méticuleux et un drogué d’informatique, avait répondu son responsable.
À part les revues informatiques, il y avait quelques bouquins et des brochures. Du genre ultra-gauche tendance révisionniste d’après les sujets et les auteurs. Quatre brochures anticapitalistes, anti-impérialistes, antisionistes et propalestiniennes, dont trois signées par un certain Nilloc, qui s’était avéré être un pseudonyme. Plus quelques tracts émanant d’un certain Comité révolutionnaire contre l’islamophobie. Inconnu au bataillon d’après les sections RG et DST concernées. Prônant une sorte d’anarcho-islamisme tiers-mondiste.
Sur les murs, un poster du Che et un drapeau palestinien.
Jean Partot avait été retrouvé égorgé rue Championnet, dans une descente de parking. Vers dix heures du soir.



© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.

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