jeudi 13 novembre 2008

Noir Express : "Sans se salir les mains" (C. C. VII) par Alain Pecunia, Chapitre 16 (suite et fin)

Chapitre 16 (suite et fin)





Je comprenais enfin la manœuvre de Phil et Georges.
Ils voulaient se faire poursuivre. Faire tomber les Italiens dans un guet-apens.
Et je me retrouvais là coincé sans voiture et dans l’impossibilité de les suivre.
Face à l’artillerie et à l’expérience des Siciliens, je pensais que c’était franchement un plan foireux.
La fine équipe de Phil et Georges n’avaient rien d’un gang aguerri ou d’une équipe du GIGN.
Phil redémarra sur les chapeaux de roue lorsque les phares du monospace éclairèrent la route en sortant de l’allée.
Les deux voitures se dirigeaient vers la campagne, à l’opposé de la route Orbec-Bernay.
J’entendis le bruit des moteurs et des reprises fougueuses jusqu’à ce qu’il devînt un murmure lointain. Déchiré cinq minutes plus tard par des crissements de pneus et un bruit très assourdi.
À vol d’oiseau, ça devait se situer à un bon kilomètre.
J’étais en train d’hésiter sur la marche à suivre.
Jusqu’à présent, aucun coup de feu n’avait résonné dans la campagne et Patronicci était toujours chez lui.
Vingt minutes plus tard, la voiture d’Isa vint se garer, toujours avec Phil au volant, le long du cimetière après un demi-tour sur le parking.
Une autre voiture se gara une soixantaine de mètres plus loin sur le bas-côté de la route près du croisement du centre- bourg.
Les deux voitures avaient éteint leurs phares et Phil se dissimula derrière le volant.
Cinq minutes plus tard arrivait une autre voiture. Une BMW. Mais celle-ci pénétra franchement dans l’allée de la propriété de Patronicci.
Deux hommes en sortirent. Ce devaient être le cuistot – pardon ! le pizzaïolo – et le serveur de la pizzeria appelés en renfort.
Il y eut un long conciliabule et Patronicci monta dans la voiture avec l’un des deux hommes au volant. Mais sans démarrer.
L’autre s’était dirigé sur l’arrière de la maison et avait quitté mon champ de vision.
Une dizaine de minutes plus tard, la voiture dans l’allée alluma ses phares deux fois et démarra lentement.
Cela me parut être un signal.
Instinctivement, je jetai un regard vers la voiture de Phil et aperçus le mafieux qui avait disparu s’en approcher par-derrière en tenant une arme à la main.
Il en était encore à une dizaine de mètres.
Mais, Phil, l’innocent, ne se doutait de rien. Ils avaient dû repérer la voiture, immatriculée 75, à leur arrivée et le sbire avait été chargé de neutraliser le conducteur.
Quand il passa le long du muret à ma hauteur, je lui sautai dessus et l’étendit raide à la première manchette.
Phil ne s’était même pas retourné.
Il sursauta comme un diablotin sur son ressort quand j’ouvris sa portière.
Il eut un geste apeuré et un cri muet. Les autres mafieux durent me confondre avec leur acolyte car ils démarrèrent aussitôt et se jetèrent à la poursuite de l’autre voiture qui avait également démarré avec une très faible avance.
Phil remis de sa frousse, je lui demandai de m’aider à charger l’artiste de la pizza endormi à l’arrière et de me le surveiller avec une clé à molette. Avec ordre de l’assommer sans sommation s’il se réveillait. – Je n’avais pas osé confier à Phil mon arme de service.
Je pris le volant et Phil m’indiqua le chemin à suivre. Qui était curieusement celui de notre lieu de « vacances ».
Sur le chemin de Saint-Mards-de-Fresnes direction le pont de Plainville, j’aperçus au loin des lueurs qui se matérialisèrent, à l’approche de la bifurcation que faisait la route à cet endroit, en une pelleteuse et un tracteur avec sa remorque tout affairés au remblayage de la marnière.
Georges était là à regarder. Michel, lui, maniait la pelleteuse, et les deux jumeaux continuaient d’apporter de la terre et de la pierraille avec le tracteur.
Georges s’approcha de ma familiale et, après avoir jeté un coup d’œil à l’arrière, me lança joyeusement :
– Vous nous apportez le manquant !
Je descendis en demandant à Phil de continuer de veiller sur le sommeil du mafieux.
– On ne peut pas le laisser là. Il faut qu’il aille rejoindre les autres, me lança le vieux Georges sur le ton d’un chef de chantier en désignant du menton le large trou béant.
J’en suis resté sans voix. J’ai protesté.
– Mais cet homme est encore vivant ! Je dois le remettre à la justice !
– Pour qu’il aille tout raconter ? C’est ce que vous voulez ? Et nous faire tous tomber ainsi que M. Phil qui a eu cette idée géniale ! De toute façon, il sera mort dès qu’il arrivera au fond, ce salopard.
Il se tourna vers la voiture et cria :
– C’est ça, amenez-nous-le, monsieur Phil !
Phil était en train d’extraire le mafieux de la voiture en le tirant par les pieds.
Je me précipitai vers lui.
– Ne vous inquiétez pas, Pierre, il est bien mort.
Je regardai Phil avec effarement. Comme si je contemplais un monstre.
– Vous l’avez achevé à la clé à molette ! balbutiai-je.
Plus troublé, en réalité, par les possibles déchets crâniens sur la garniture des sièges de la Twingo d’Isa que par ce meurtre perpétré de sang-froid.
Phil eut un sourire radieux.
– Mais non, je l’ai juste étranglé… Il commençait à émerger et vous m’avez dit de l’estourbir en ce cas, s’empressa-t-il de préciser en voyant mon regard. Et ma méthode est bien plus propre que la vôtre et bien moins barbare… Aidez-moi à le porter jusqu’au trou plutôt que de rester à me regarder comme ça.
Je l’ai aidé en prenant le corps par les épaules. Il n’y avait pas le choix.
J’ai même balancé le corps avec Phil.
– C’est bon, les gars, a-t-il alors dit. C’est complet. Vous pouvez finir de reboucher !
Il se tourna vers moi.
– On peut rentrer, maintenant, Pierre. Ils en ont pour un bout de temps à verser les sept cents mètres cubes. C’est que ce n’était pas une petite cette saloperie de marnière !


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

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