dimanche 23 novembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 2

Chapitre 2





Le lundi 8 septembre, trois jours seulement après la découverte du corps de Clément Duroc, un agent de sécurité de l’ambassade de Cuba, rue de Presles, dans le XVe, vit sur son écran de surveillance un homme avancer en titubant sur le trottoir de l’ambassade et s’accoter à la porte d’entrée de la résidence.
Il se tenait le ventre à deux mains.
L’agent fit pivoter la caméra et zooma sur l’individu suspect.
L’homme avait le visage crispé et disparut de l’écran de contrôle quand il tomba à genoux, le haut du corps plié en avant, le front contre le bitume, comme en une ultime prière.
L’agent appela immédiatement le commissariat central du XVe et alerta les autres agents de sécurité de l’ambassade.
Il était six heures vingt du matin.
À huit heures, le commissaire Antoine piquait une grosse colère.
La victime, Désiré Bouba, dix-neuf ans, était un de ses indics les plus efficaces sur le secteur de l’ancienne caserne Dupleix, transformée en ZAC par Tapie. Il l’avait recruté deux ans auparavant après une « descente » de la police dans les parkings de l’immeuble des employés municipaux de la rue George-Bernard-Shaw.
Désiré Bouba le tenait régulièrement informé des faits et gestes de la « bande tricolore », ainsi surnommée car elle réunissait de jeunes blancs-blacks-beurs, tous Français de souche, qui s’étaient lancés dans un petit commerce de shit et de crack. Elle était ravitaillée par deux jeunes dealers du 93.
Mais le commissaire Antoine savait, justement par son indic, que Clément Duroc se trouvait en amont. Que les deux dealers de la Seine-Saint-Denis lui servaient d’écran et de relais.
– Il y a donc un rapport évident entre ces deux meurtres, dit-il au capitaine Cavalier quand cette dernière arriva sur les lieux à neuf heures, une demi-heure après le commissaire Antoine.
Il n’y avait pas d’autre hypothèse que le règlement de comptes. Surtout que le modus operandi était identique dans les deux cas. Un couteau planté dans le ventre de la victime.
Comme pour le premier crime, il s’agissait d’un couteau de boucher. À désosser. À la lame bien affilée et étroite au bout, avant de se courber légèrement vers l’intérieur et s’épaissir côté du manche. L’« outil » parfait.
L’interrogatoire de Christine Langlot, à la suite du premier meurtre, n’avait rien donné. Elle avait seulement éclaté de rire quand elle s’était rendu compte que la police la soupçonnait d’avoir commanditer l’assassinat depuis sa cellule.
– Il y a un liquidateur derrière tout ça, c’est évident, conclut le commissaire Antoine.
L’ambassadeur de Cuba accepta que la bande vidéo de la nuit soit remise au capitaine Cavalier.
Son visionnage ne donna pourtant rien de concret.
De rares passants et des voitures.
C’était absolument sans intérêt.
Le jeune Bouba marchait sur le trottoir de l’ambassade en titubant, les deux mains plaquées contre le ventre.
Et pas un seul passant dans le quart d’heure précédent. Il fallait remonter d’une demi-heure, à cinq heures cinquante, pour découvrir une grand-mère promenant son toutou.
À cinq heures et demie, un jeune homme aux bras ballants remontait la rue.
Le capitaine Cavalier faillit ne pas le reconnaître et poursuivre son visionnage, quand elle sursauta en se rendant compte qu’il s’agissait de Euh-Euh.
Elle fit un agrandissement.
– C’est drôle, dit-elle au lieutenant Gilbert Lenoir que lui avait « laissé » le commissaire Antoine puisqu’ils se connaissaient depuis le premier crime. Je n’avais pas remarqué qu’il portait des gants la première fois que je l’ai vu et…
– Oh ! c’est rien. Euh-Euh porte toujours des gants, hiver comme été. Il doit avoir une maladie de peau ou c’est une manie.
– Pauvre Euh-Euh, fit Isabelle Cavalier. En tout cas, nous n’avons rien sur la bande.
Le lieutenant semblait avoir l’esprit ailleurs.
– Ça n’a pas l’air de vraiment vous contrarier que nous n’ayons pas le moindre indice ? remarqua-t-elle sur un ton de reproche.
– Oh, vous savez, moi, des dealers qui s’entretuent !
Il avait accompagné sa phrase d’une moue de désintérêt total.
– Peut-être que ça vous laisse de marbre, mais, moi, j’appartiens à la Crim, et mon job, c’est d’arrêter les assassins. Et permettez-moi d’ajouter, fit-elle en prenant un air entendu, que si un autre « client » du commissaire Antoine, votre patron, se fait trucider, je ne donne pas cher de votre peau aux Stups !
Elle avait marqué un point car le jeune lieutenant se sentit obligé de s’excuser.
Après la réception du rapport du légiste et celui du service scientifique qui faisait remarquer que les deux « armes » étaient des couteaux de fabrication ancienne provenant d’une coutellerie de Thiers, le lieutenant Lenoir fut chargé de faire le tour des antiquaires et brocanteurs de Saint-Ouen spécialisés dans le couteau à désosser « modèle 1950 ».


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

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