dimanche 30 novembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 6

Chapitre 6





La surveillance fut renforcée de jour comme de nuit dans un périmètre délimité par le boulevard de Grenelle, l’avenue de La Motte-Picquet, le boulevard de La Tour-Maubourg et la Seine. La BAC des deux arrondissements concernés par le dispositif, le XVe et le VIIe, en constituait le pivot, renforcée par deux équipes « volantes » de vététistes et de rolleristes de la police de six hommes – et femmes – chacune. Que la hiérarchie pensa à mettre en civil pour la nécessaire discrétion.
Le capitaine Cavalier coordonnait le dispositif de nuit. Le commissaire Antoine, qui en avait fait une question personnelle depuis le dernier meurtre, celui de jour.
Mais rien ne se produisit, et, dix jours plus tard, le lundi 21 septembre, il fut décidé d’alléger le dispositif dès le lendemain.
Parallèlement, la quête sur la provenance des couteaux menée par le lieutenant Lenoir n’avait toujours pas abouti. Antoine et Cavalier en vinrent à penser qu’il s'était peut-être agi de crimes ponctuels. Que la série s’arrêtait à trois.
Le mercredi 23, après sa première bonne nuit de sommeil depuis la découverte du premier corps, Isabelle Cavalier songea à Euh-Euh, qui était resté « prisonnier » tout ce temps chez ses parents. « Le pauvre, ça a dû lui sembler une éternité que de ne pouvoir sortir selon son humeur, se dit-elle. Il a sûrement vécu cette réclusion comme une punition. »
Elle s’en sentait responsable et décida qu’il lui fallait faire quelque chose pour se débarrasser de ce sentiment de culpabilité qu’elle éprouvait à l’égard de Euh-Euh.
Son mari jugea que c’était idiot, qu’elle n’y était pour rien. Mais il savait qu’Isabelle suivait toujours ses « impulsions ». – Une fois, il avait utilisé le terme « tocades » et s’en était mordu les doigts durant toute une semaine.
Isabelle Cavalier se rendit à pied chez les Dutour, rue Amélie. Elle sonna à la porte de leur appartement vers onze heures.
Paulette Dutour l’accueillit avec inquiétude et ne se détendit que lorsque le capitaine Cavalier lui eut expliqué l’objet de sa visite.
– C’est très gentil à vous, mais il ne fallait pas vous inquiéter pour Patrice. Vous savez, il n’a même pas essayé de sortir. Comme s’il avait compris notre conversation de l’autre jour et qu’il pouvait être victime à son tour.
Patrice Dutour apparut dans l’embrasure de la porte du salon. Les bras ballants mais sans gants. Son sourire épanoui sur sa face lunaire.
Il manifesta sa satisfaction de revoir Isabelle Cavalier. Se tapotant la poitrine.
– Euh-euh…
Mme Dutour traduisit pour Isabelle.
– Quand il fait ça, il veut dire : « C’est moi. » En général, quand il a réussi ou fait quelque chose de précis, car, sinon, vous savez, il est plutôt du genre contemplatif. Il passe son temps à observer. Mais, là, il doit vouloir vous dire qu’il a fait quelque chose dont il est satisfait… Ah ! mon pauvre chéri !
Paulette Dutour était très contente d’apprendre qu’il n’y avait, pour ainsi dire, plus de crainte à avoir. Que c’était très gentil de la part du capitaine de s’être déplacée personnellement. Mais qu’elle aurait pu, tout simplement, téléphoner.
Isabelle Cavalier lui proposa d’emmener déjeuner Patrice dans le quartier. Que ça lui faisait plaisir. Qu’elle y tenait beaucoup, même.
– C’est pas si souvent que mon Patrice a de telles invitations… Mais, vous savez, il se tient très bien. Il est juste un peu lent.
Puis elle expliqua à son Patrice qu’il allait manger dehors avec la dame.
Il donna l’impression d’en être très satisfait.
– Euh-euh…
Plusieurs fois.
Isabelle et Euh-Euh se rendirent au Relais angevin, qui avait rouvert récemment depuis sa fermeture début août à la suite de l’arrestation de la « bande du Relais angevin » et pour cause d’« absence temporaire » du patron, Gérard Langlot
*.
Euh-Euh semblait très fier d’être au restaurant avec une dame. Il se tint à la perfection.
Comme on était mercredi et qu’il n’avait pas cours, Isabelle Cavalier ne fut pas surprise de voir Philippe-Henri les rejoindre.
Elle présenta Euh-Euh à Phil, mais ils semblaient déjà se connaître. Ce qui était logique vu que l’agrégé de lettres avait toujours vécu dans le quartier et que Patrice Dutour y était connu comme le loup blanc.
Phil ne semblait pas avoir de problème de communication avec Euh-Euh. Et vice versa. Ce qui étonna Isabelle.
Elle nota que Patrice semblait moduler ses « euh-euh… » et que Phil en percevait les nuances.
Ils partirent dans une grande explication à laquelle elle ne comprit strictement rien. Mais, à voir le visage attentif et soucieux de Phil, celui-ci paraissait parfaitement suivre. Surtout lorsque Euh-Euh se tapota la poitrine.
Phil ne répondait pas par des « euh-euh… » mais par des mines, des moues, des mouvements de sourcils, des hochements de tête très expressifs – tout au moins pour Patrice.
Isa, en tout cas, se sentait parfaitement exclue de leur échange.
Les deux hommes la raccompagnèrent ensuite jusqu’en haut de la rue Cler et, quand elle se retourna, elle les vit prendre ensemble la direction des Invalides. Ils semblaient lancé dans une grande discussion gestuelle.
* Voir Cadavres dans le blockhaus, Sous le signe du rosaire et Sans se salir les mains.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

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