jeudi 20 novembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (Chroniques croisées VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 1

Une série de crimes perpétrés au couteau à désosser endeuillent les beaux quartiers parisiens. Le commissaire Antoine des Stups et le capitaine Isabelle Cavalier de la Crim courent inutilement après l’assassin. Mais certains savent et le sinistre Pierre-Marie de Laneureuville, garde des Sceaux et responsable des « basses œuvres » à la tête du « Service », tire les ficelles d’un complot politique machiavélique.
Le commandant Pierre Cavalier, affecté à la section des « affaires spéciales » de la Direction centrale des Renseignements généraux, aidera-t-il sa femme Isabelle et Philippe-Henri Dumontar à sauver l’assassin et à déjouer l’ignoble complot ?
Je vous invite donc à me suivre dans ce nouveau récit qui est en quelque sorte un thriller politique.





Chapitre 1





– Et il n’y a pas de témoin ?
– Non, capitaine. Aucun, répondit le lieutenant Gilbert Lenoir.
Le capitaine Isabelle Cavalier trouvait cela insolite.
– À part lui, ajouta d’un air désolé le lieutenant en se tournant vers un jeune homme d’une vingtaine d’années.
Celui-ci se tenait à l’écart, les bras ballants, et un sourire béat illuminait son visage lunaire.
Il était vêtu d’un imperméable beige informe et était coiffé d’un bonnet de marin bleu marine enfoncé jusqu’aux yeux.
– Vous ne pouviez pas me le dire plus tôt ! s’énerva-t-elle.
Le lieutenant des Stups se dandinait sur place tout en tentant de trouver les mots justes.
Le capitaine le fusillait du regard et tapotait du pied droit le bitume – signe d’extrême impatience chez Isabelle Cavalier – en attendant sa réponse.
– C’est que ce n’est pas vraiment un témoin, capitaine…
– On est témoin ou l’on n’est pas témoin ! le coupa-t-elle sèchement. Pourtant, vous avez l’air éveillé, lieutenant !
Le jeune lieutenant se sentit rougir et prit son courage à deux mains.
– C’est que ce témoin-là est un peu particulier… Il est gog… pardon, mong… euh, trisomique si vous voulez…
Isabelle Cavalier l’avait regardé avec stupéfaction.
– Et alors ? dit-elle en haussant les épaules. Ils sont comme tout le monde, maintenant.
– Peut-être, capitaine. Mais celui-là, pas vraiment, si vous voyez ce que je veux dire…
Non. Le capitaine Cavalier ne voyait pas du tout ce qu’il voulait dire.
Elle haussa à nouveau les épaules et se dirigea vers le jeune homme, suivie par le lieutenant.
Le jeune homme souriait toujours et se gratta le nez en voyant cette femme énergique se diriger vers lui. Qui lui rappelait une de ses anciennes infirmières.
– Bonjour, dit-elle doucement en lui adressant la parole. J’aimerais vous poser quelques questions, si vous le voulez bien…
– Euh-euh…
Le capitaine eut un haut-le-corps sous l’effet de la surprise. Mais elle avait la réputation de ne jamais se décourager. « C’est une question de formulation », se dit-elle pour se rassurer.
– Voilà… moi… po-li-ce…
– Euh-euh…
– Moi… vouloir… poser… question… vous…
– Euh-euh…
Isabelle Cavalier se trouva, pour la première fois de sa carrière de policière, déstabilisée.
Ce genre de situation n’était prévu par aucun manuel.
Et ni le langage adulte ni le langage bébé ne donnait de résultat.
Elle se tourna vers le lieutenant qui avait retrouvé tout son aplomb devant l’air stupéfié de ce capitaine de la C rim.
– Il est toujours comme ça ? lui demanda-t-elle dans un murmure pour ne pas être entendu du jeune homme dont le comportement l’avait mise mal à l’aise.
– Oui, répondit-il en haussant les épaules.
– Et alors, vous ne pouviez pas me dire plus tôt qu’on n’avait pas de témoin sur ce coup-là au lieu de me faire perdre mon temps !
Le lieutenant préféra se taire. De toute façon, il n’avait pas le choix
– Vous ne pouvez pas lui demander de partir, puisqu’il n’a rien à faire ici, s’il vous plaît ?
– Impossible, capitaine.
– Comment ça, impossible… ?
Le capitaine Cavalier ne sentait pas du tout ce début de journée de septembre.
– C’est qu’il est toujours en train de traîner de droite et de gauche dans le quartier. Il fait ce qu’il veut. Ma copine habite le coin et je le croise parfois. Si vous lui adressez la parole, il répond toujours « euh-euh ». On ne l’a jamais entendu prononcer autre chose. Alors, tout le monde l’a surnommé « Euh-Euh »… Mais il n’est pas méchant, vous savez, seulement…
Le lieutenant compléta sa phrase par une moue de compassion.
– Je comprends. Excusez-moi pour tout à l’heure, lieutenant. Mais ce…, enfin, je veux dire il a quand même quelqu’un pour s’occuper de lui ?
– Oh oui ! Mais ses parents veulent qu’ils vivent sa vie. Comme ils disent : « Il n’a jamais fait de mal et d’ailleurs il est majeur. » Et puis il fait partie du paysage du quartier.
– Pourtant, je ne me souviens pas de l’avoir croisé alors que j’y suis souvent.
– Il est très discret. Et son truc, ça se remarque à peine. Alors on ne le voit pas vraiment. En plus, c’est surtout la nuit qu’il aime se promener.



© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

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