vendredi 3 octobre 2008

Noir Express : "Sous le signe du rosaire" (C. C. VI) par Alain Pecunia, Chapitre 24

Chapitre 24





Je suis très heureux et je sais toujours qui je suis depuis la naissance de Philippine. Isa et sa fille ont transfiguré mon existence et son mari – je n’arrive pas toujours à me souvenir de son prénom à celui-là, Pierre… – est très sympathique avec moi.
Le Dr Lévy m’a même dit que je n’avais plus besoin de venir le voir. Sinon par amitié.
Ma petite Philippine va bientôt avoir trois ans. Le 23 août 2003.
Mais, cette année, nous ne pourrons pas faire la fête au Relais angevin.
Le patron, Gérard Langlot, est impliqué depuis la seconde quinzaine de juin dans une tragique histoire de meurtre dans un bled perdu de Loire-Atlantique
*.
Jean, le serveur, m’a dit que, « compte tenu des circonstances, ce n’est pas souhaitable ».
Moi, je sais bien pourquoi il dit ça.
Depuis un certain temps, de sombres rumeurs couraient sur Le Relais angevin.
Isa et ses amis m’avaient expliqué qu’il s’agissait d’une histoire de drogue. Je n’en avais pas cru mes oreilles. Gérard Langlot en trafiquant ! Sa femme et le serveur, je veux bien, ils n’étaient pas nets. Mais M. Langlot !
Je n’ai pas pu refuser aux amis d’Isa de leur servir d’« auxiliaire bénévole » dans cette histoire.
Indicateur, je ne voulais pas, mais auxiliaire, c’est honorable. Et puis ils sont tellement gentils avec moi.
– Vous faites partie des meubles, Phil, dans ce rade. Ils ne se méfieront pas de vous. Vous n’avez qu’à noter les allées et venues des uns et des autres quand vous y êtes, m’a dit le copain des Stups d’Isa, le commissaire Antoine.
C’est vrai que je suis très observateur. Il paraît que je leur ai été très utile.
– Vous avez un avenir devant vous tout tracé lorsque vous serez à la retraite ! m’ont-ils blagué.
C’est vrai que c’est pour bientôt. Je viens d’avoir cinquante-sept ans le 13 avril dernier. Et la police, c’est comme ma famille maintenant. Une grande famille.
Mais je me suis égaré.
Bref, ça me contrarie qu’on ne puisse pas faire notre fête au Relais angevin. Il me faut trouver une solution de rechange.
– Non, Philippine, on ne rentre pas dans cette pièce !
On dirait qu’elle le fait exprès. Isa m’a dit que les mômes c’est comme ça. On leur défend quelque chose, il faut qu’ils le fassent.
– Tiens, m’a-t-elle lâché un jour, avec cette porte toujours fermée à clé dans ton appartement, c’est comme dans le conte de Barbe-Bleue !
Ça ne m’a pas fait rire.
Mais il faut vraiment avoir toujours un œil sur eux.
C’est vrai, je ne l’ai pas encore dit.
Depuis l’affectation du mari d’Isa au SRPJ de Rennes en début d’année, je fais souvent office de baby-sitter le mercredi après-midi et parfois lors de mes congés, comme la plupart des après-midi de ce mois de juillet.
Mais je supporte mal la canicule et ça m’énerve de la voir en train d’essayer d’atteindre la poignée de cette porte même si elle est fermée à double tour.
J’aime bien ma petite-fille. Pourtant, parfois, j’ai hâte, comme aujourd’hui, que sa mère vienne la récupérer.
Tiens, justement, j’entends les pas d’Isa dans l’escalier.
Je les reconnaîtrais entre mille.
– Non, Philippine, ne joue pas avec ce tabouret !
Qu’est-ce qu’elle peut être énervante aujourd’hui…
Coup de sonnette d’Isa.
– Oui, j’arrive !… Maman arrive, Philippine. Viens l’accueillir avec moi…
Et puis zut !
Isa a les bras encombrés de sacs. Elle a fait les dernières démarques et a pensé à moi.
– J’espère que ça te plaira. Je n’ai pas dépassé le budget que tu m’avais fixé. J’ai fait pour le mieux… Mais je ne comprends vraiment pas ta sainte horreur des grands magasins !
Je l’aide à déballer le tout sur mon canapé-lit.
Je garde un œil sur la petite en face dans le couloir.
– Non, Philippine, un tabouret n’est pas un jouet…
– Mais laisse-la donc tranquille, Phil ! Elle ne fait rien de mal. Regarde plutôt ce que je t’ai pris.
De toute façon, la porte est fermée.
– Essaie ce pull d’été.
J’enfile. Je confonds une manche et le col. Je ne supporte pas cette sensation d’étouffement. J’angoisse.
– Maman ! Maman !
Ça y est, Philippine nous fait un caprice, maintenant.
Ce qu’elle peut être impérieuse, cette petite. Ce doit être à cause du métier de ses parents.
– Quoi, Philippine ? Tu vois que maman est occupée avec Papy…
Un peu d’autorité, ça me fait plaisir. Mais je voudrais bien sortir de cette foutue manche.
– Attends, Phil ! Ne t’affole pas…
Ne pas m’affoler, elle est drôle, elle ! J’ai un mauvais pressentiment. Comme lorsque je ne vais plus être moi-même. Pourtant, ça faisait longtemps…
– Maman ! Maman !
Isa s’énerve.
– Je suis occupée avec Papy ! Débrouille-toi !
Ouf ! je suis sorti de la manche. Il ne reste plus qu’à trouver le col. Je me suis senti au bord de la panique.
– Maman…, bégaie la petite, maman… il y a deux dames qui dorment… toutes nues…

* Voir Cadavres dans le blockhaus.




© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

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