mardi 28 octobre 2008

Noir Express : "Sans se salir les mains" (C. C. VII) par Alain Pecunia, Chapitre 5

Chapitre 6





Le lundi matin, nous avons déjeuné en solo. En famille – si j’y inclus Philippe-Henri, et je crois que je ne peux faire autrement pour très longtemps.
Papy et Philippine ont joué à des jeux de mômes jusqu’au déjeuner, puis chacun s’est installé pour un après-midi de farniente. Interrompu dans l’heure par l’arrivée de Marcelle en vélo – c’était son après-midi de ménage. « C’est vrai, j’ai oublié de vous le dire hier. » Suivi une demi-heure plus tard par Georges – c’était son après-midi de tonte de la pelouse.
– Mais il n’y a rien à tondre avec cette canicule ! C’est tout pelé…, ai-je protesté.
Il a haussé les épaules dédaigneusement en se dirigeant vers l’abri de jardin.
– On voit bien que vous êtes un Parisien ! Une pelouse, ça ne se tond pas. Ça s’entretient. Et chaque semaine !
Nous nous sommes réfugiés dans le champ à pommiers cabossé de taupinières.
Rien ne m’énerve plus que le bruit d’une tondeuse. Au bout d’une demi-heure, j’ai plié bagages et j’ai proposé à Isa d’aller nous promener en ville en amoureux. Laissant Phil à la garde de Philippine et vice versa.
Bernay, sous-préfecture de l’Eure, est la seule ville de Normandie, avec Bayeux, à n’avoir pas été bombardée à la Libération. Ses maisons ou échoppes datant du Moyen Age et de la Renaissance ont donc été préservées. Le tracé de ses rues et ruelles est resté inchangé.
Pour les uns, c’est grâce à l’action du sous-préfet résistant qui sut avertir à temps – et surtout convaincre – les Alliés qu’il n’y avait plus d’Allemands dans la ville. Pour d’autres, c’est grâce à l’intercession de la Vierge du Bon-Secours. En tous les cas, la ville fut libérée par les Canadiens.
Nous nous sommes promenés deux bonnes heures en profitant du calme de ce lundi après-midi. Puis nous sommes rentrés tranquillement.
Marcelle et Georges étaient rentrés chez eux, et Phil attendait notre retour pour aller se promener avec Philippine le long du bois.
– On va voir les bêtes ! nous dit la petite en prenant un grand air mystérieux.
En notre absence, ils avaient réussi à apprivoiser le chien de la ferme d’à côté qui était déjà venu nous rendre visite la veille. Un superbe labrador noir.
Le chien décida de les accompagner.
Dix minutes ne s’étaient pas écoulées que j’entendis des aboiements prolongés. Ceux d’un chien qui a trouvé quelque chose.
Le temps de me diriger vers le portail, Phil et la petite qu’il portait dans ses bras étaient déjà de retour.
Ils étaient tout excités.
– Le chien a trouvé quelque chose ! me dit Papy. Tenez ! me dit-il en me mettant la petite dans les bras, gardez-la ici pendant que j’y retourne avec Isa.
– Mais…
– Non, non. Il vaut mieux pas que la petite voie ça. Gardez-la ici. Moi j’y retourne avec Isa… Le temps de trouver une pelle, ajouta-t-il précipitamment.
Quand je l’ai vu repartir avec Isa, j’eus le sentiment d’être la pièce rapportée.
Pour je ne sais quelle raison, c’est à ce moment-là que Georges et Marcelle ont rappliqué.
– Ils ont trouvé quelque chose par-là, leur dis-je en leur indiquant du menton la lisière du bois qui prolongeait le chemin d’accès à notre fermette.
Ils me laissèrent en plan.
Isa revint seule dix minutes plus tard.
– Faut que j’appelle la gendarmerie !
Elle était pâle et haletante.
– Tu pourrais peut-être m’expliquer…
– Plus tard ! Occupe-toi de la petite.
Plus facile à dire qu’à faire, car Philippine gigotait de partout en tentant de se dégager de mes bras.
– J’veux aller avec maman et Papy…
La claque n’était pas loin si elle continuait comme ça. Je le sentais. En cachette de sa mère pour ne pas subir de représailles.
Isa ressortit trois minutes plus tard de la maison. Moi, j’étais resté sur le pas de la porte avec la petite dans les bras qui gigotait de plus en plus et qui ne fut sauvée de la claque que par l’arrivée de sa mère.
– Tu les attends ! Moi, je retourne là-bas.
– Ben voyons !
Elle haussa les épaules et partit au pas de gymnastique.
Une demi-heure plus tard, la gendarmerie était là. Ils étaient cinq.
Eux aussi m’ont laissé en plan. Sauf un qui est resté près de leur véhicule garé devant le portail et qui ne cessa de me regarder comme un suspect.
Mais Philippine n’a pas reçu sa claque sur les fesses devant le gendarme. J’ai attendu qu’il soit occupé avec sa radio et qu’il me tourne le dos.
Un quart d’heure plus tard, Phil et les deux vieux étaient de retour. Muets comme des carpes et la mine sombre. Surtout Marcelle qui essuyait ses larmes.
En moi-même, l’idée qu’ils avaient été éjectés par les gendarmes me fut une petite satisfaction.
Malgré tout, eux savaient, et moi toujours pas.
Je suis quand même parvenu à refiler Philippine à Papy et j’ai franchi la limite du portail pour me diriger vers le « lieu ».
En fait, je n’ai pas pu faire plus de trois mètres.
Le pandore de garde m’a rappelé à l’ordre.
– Vous n’avez rien à faire là-bas ! Restez ici !
– Mais ma femme y est !
– Elle est témoin, pas vous !
– Mais je suis commandant de police !
– Et alors ? C’est pas votre juridiction !
Sarkozy, me suis-je dit, il rêve parfois avec sa collaboration des polices.
J’ai jeté un regard mauvais au gendarme, mais il s’en foutait. Il était content d’emmerder un commandant de police. Un pékin usurpant un grade « militaire ». Un concurrent déloyal.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

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