mercredi 1 octobre 2008

Noir Express : "Sous le signe du rosaire" (C. C. VI) par Alain Pecunia, Chapitre 17

Chapitre 17





Je fus bien content de retrouver le Dr Lévy dès son retour de vacances début septembre.
Déjà une nouvelle année scolaire qui commençait. La 97-98. Comme le temps passe !
En plus, il avait lu mon livre pendant ses vacances. Moi qui n’y croyais plus après tant de mois, j’étais maintenant impatient de connaître son jugement sur mon œuvre magistrale.
Je regrettais même de ne pas lui avoir amené le dernier chapitre.
Mais ce fut une grande déception.
– Pourquoi éprouvez-vous ce besoin de vous attribuer tous ces crimes commis par un autre ? me dit-il d’emblée.
Lui, le Dr Lévy, pour qui j’éprouve le plus grand respect, en qui j’ai une totale confiance pour ses bons conseils, n’avait rien compris du tout !
Il voyait même en moi un voleur de crimes !
J’étais abasourdi, atterré.
La seule personne au monde – à part maman, mais pas sur ce sujet – qui eût pu me comprendre ne me comprenait pas.
Il insista sur le fait que je devais immédiatement cesser de vivre par procuration.
– Écoutez, me dit-il, je vous propose de détruire ce manuscrit. Pour votre bien…
– Nooon ! ai-je hurlé. C’est à moi !
Il me l’a rendu avec hésitation. Je l’ai bien senti.
Ça, il n’était pas près de voir la suite !
– Vous savez, monsieur Dumontar, vous m’inquiétez beaucoup. Je me demande si je ne devrais pas vous prescrire un traitement…
Maintenant, il me prenait pour un malade.
Il alla jusqu’à me proposer un séjour d’une semaine ou deux dans une clinique.
– Vous verrez, c’est très bien.
– Et maman, vous y avez pensé ?
– Justement.
– Non et non ! Je ne quitterai pas maman !
– Mais elle est morte, votre maman, monsieur Dumontar, me dit-il d’une voix douce, comme les gens qui parlent à des bébés. Il serait peut-être temps de l’admettre. Vous ne croyez pas ?
– Je ne quitterai pas maman ! je lui ai dit d’un ton catégorique, me mordant la lèvre car j’avais failli ajouter : « et Ghislaine ».
– Il faudra quand même peut-être y penser, conclut-il.
Mais j’ai bien vu qu’il avait peur que je ne revienne pas. J’avais compris depuis longtemps que j’étais une sorte de rente pour lui.
Moi, je ne venais pas le voir pour qu’il me parle comme à un malade, un dément. Je venais pour ses conseils. Alors il avait intérêt à rectifier le tir.
C’est ça le danger des psys. Vous allez chez eux, vous êtes bien portant et tout, et hop ! à force de les fréquenter, vous tombez malade.
Quand je suis rentré à la maison, maman elle m’a dit que tout ça c’était de ma faute.
– Je t’avais prévenu. On ne va pas raconter sa vie à un étranger. Mais tu ne m’écoutes jamais…
Qu’est-ce qu’elle n’aurait pas sorti si elle avait su que l’« étranger » était en plus juif !
Mais elle ne pouvait plus me faire de chantage. « Maman va t’abandonner si tu n’es pas sage ! »
Elle risquait pas de le quitter, son lit !
Tout ça pour dire que c’est à cause du Dr Lévy que j’ai décidé d’en tuer au moins une au plus vite. Pour bien lui montrer qu’il avait eu tort de ne pas me prendre au sérieux. Que je n’étais pas un malade.
J’ai quand même attendu la période de Noël. Elle me parut plus propice que celle de la Toussaint où, pourtant, les cimetières offrent mille et une possibilités. Avec tous ces gens, leur pot de fleurs sous le bras, qui marchent tête baissée sans un regard pour les autres.
Mais je n’aime pas les cimetières. C’est pas vivant. Pour ça, d’ailleurs, que je n’y ai pas mis maman. Elle n’aurait pas supporté le manque de conversation et d’être éloignée de moi.
Et puis, sa grande peur à maman, ça a toujours été d’être enterrée auprès de n’importe qui. Être encadrée d’un côté par un libre-penseur et de l’autre par un « israélite ».
– Tu te rends compte !
Bref, endeuiller un cimetière m’a paru un non-sens, quoique tentant. Tandis que, pendant les fêtes de Noël, un meurtre prend tout son éclat. Il est enguirlandé de mille feux.
Et puis, je pouvais toujours faire la Toussaint une autre année – faute de mieux. Pâques et toutes les fêtes qui s’ensuivaient offraient également pas mal de possibilités. Je n’avais que l’embarras du choix. Ou alors les tirer au sort.
Mais c’est incroyable comme l’on peut inspirer confiance en habit de Père Noël.
On vous croise dans la rue ou un lieu public. On vous regarde mais on ne vous voit pas ! C’est comme jouer à l’homme invisible.
– Vous avez vu quoi ?
– Un Père Noël.
Évidemment, je n’allais pas me mettre à trucider du gnard.
Rien de tel pour vous rendre impopulaire.
Les tueurs d’enfant, c’est vraiment la boîte de pois chiches à la place du cerveau. Ils sont incapables d’envisager toutes les conséquences négatives de leur acte.
Il faut être malade pour faire dans le môme. C’est ce qu’il y a de plus bas dans l’échelle du crime. Maman, c’est bien simple, elle m’aurait renié si ç’avait été mon champ d’action.
D’accord, ma première victime de Noël n’avait que quinze ans. Mais elle en faisait facilement dix-neuf. Une vraie petite femme. Je pouvais pas deviner.
Et qui me prouve d’ailleurs qu’elle en avait vraiment quinze ? Pourquoi la police elle aurait pas décidé de mentir sur son âge pour me porter tort ? Parce que ça m’a causé un tort réel et considérable, cette histoire. Mon public habituel n’a pas apprécié. J’en ai eu la preuve dès le lendemain en allant prendre ma menthe à l’eau parmi les habitués du bar du Relais angevin.
Une avalanche de critiques. Rien de que la déception dans les propos. Et de la médisance !
– Alors, monsieur Dumontar, qu’est-ce que vous en pensez de cette saloperie d’assassin de mômes ? m’interpella d’emblée Jean le serveur quasiment hystérique.
J’en avais le souffle coupé.
– Hein ! c’est comme nous, vous accusez le choc, poursuivit-il avec un regard entendu.
– Faut être vraiment malade ! enchaîna l’ouvrier serrurier.
– Ah ! se rengorgea le gendarme retraité. Et vous qui l’admiriez presque votre « Jack l’Étrangleur » !
– Par les couilles que je le pendrais ce type-là si je l’avais entre les pognes ! dit le boucher en plaquant ses mains sur ses parties génitales.
– Avec un croc de boucher, j’espère ? surenchérit le retraité.
– Moi, ça me fait gerber ! intervint le patron, Gérard Langlot.
Sa femme – la Christine blondasse que je ne supportais pas – était affalée sur une chaise et essuyait ses larmes du bout de l’index à cause du rimmel.
– Une gamine si mignonne et plein de vie, miaulait-elle.
J’étais mal. Surtout que je ne pouvais pas expliquer le malentendu. « Hé ! écoutez-moi, il faut que je vous explique… »
Même Ghislaine, elle m’a fait la tête. C’est dire !
Et maman !
– Tu n’es plus mon fils ! Sors de ma chambre et arrête de me tripoter comme ça !
– Mais, maman…
– Tais-toi, Philippe-Henri ! Le malheur est entré dans cette maison du jour où tu as ramené cette traînée.
Moi je ne voyais pas le rapport, mais maman s’est mise à sangloter.
C’est simple. Je n’ai même pas osé acheter un journal ou regarder la télé.
De toute façon, j’étais bien placé pour en savoir plus qu’eux.
J’avais pas eu à déambuler longtemps devant les grands magasins dans ma tenue de Père Noël avant de la repérer.
Elle regardait les vitrines animées avec un regard d’extase.
Je ne l’ai pas perdue de vue. Vitrine après vitrine.
Puis elle est rentrée dans le magasin. Direction lingerie au sous-sol.
Pas grand monde. Les rares vendeuses levaient à peine les yeux sur moi à mon passage.
Elle est rentrée dans une cabine d’essayage avec porte coulissante. Bien isolée. Dans une sorte de recoin.
Je me suis faufilé derrière elle.
Surprise. Mais elle a vite souri devant la glace en voyant qu’il s’agissait du Père Noël. Elle ne s’est même pas retournée.
Puis elle s’est figée quand j’ai enserré son cou avec le rosaire de maman. Elle n’a même pas cherché à se défendre, celle-là.
C’est d’ailleurs l’avantage avec les femmes. Rares sont celles qui se défendent. Ou pas trop. À moins de tomber sur une hystérique ou une adepte des arts martiaux. En général, elles sont tout de suite tétanisées.
Je n’ai pas eu à mettre un genou dans ses reins. Ce qui m’a permis de bien me coller à ses fesses et de jouir pleinement.
J’ai repris mon souffle puis je suis sorti sans rencontrer personne. Je me suis même permis le luxe de traîner un peu parmi les étalages du rayon lingerie.
À voir les modèles exposés, on avait l’impression de vivre dans un monde de dévergondées. Comme si toutes les femmes étaient… Mais je ne préfère pas penser à cette image dégradée de la femme. Ghislaine, quand je l’ai déshabillée pour la préparer, elle portait pas ce genre de chose indécente.
Si je n’ai pas voulu lire la presse ni regarder la télé, je n’ai quand même pas pu m’empêcher de voir les gros titres sur les panneaux des marchands de journaux.
« Le Père Noël tueur », « L’assassin au collier de perles bientôt arrêté ! », « Le Père Noël portait un nœud papillon »… « Portrait-robot du tueur en série »… « Le Père Noël a oublié de mettre sa barbe ! »…
Quand j’ai acheté Le Parisien libéré – il est toujours le mieux informé dans ce domaine –, j’ai découvert avec stupeur que, de tous les Pères Noël qui traînaient ce soir-là dans les grands magasins, un seul portait un nœud papillon et n’avait pas de barbe blanche. Et que ce Père Noël-là était le seul à avoir été vu au rayon lingerie. Les vendeuses étaient formelles.
« Le tueur a enfin commis une erreur qui va lui être fatale ! » se glorifiait le directeur de la PJ. Un nouveau, car l’ancien avait été mis à la retraite d’office suite à son fiasco de l’été précédent. « Nous allons enquêter auprès de tous les fabricants et revendeurs de nœuds papillons. De plus, l’assassin a loué ou acheté son costume. S’il l’a loué, il a obligatoirement laissé une caution et il a dû nécessairement présenter une pièce d’identité. S’il l’a acheté, il nous suffit d’interroger les revendeurs. Par ailleurs, et cela va nous faciliter grandement le travail, nous avons son portrait-robot car, autre erreur – et de taille –, il a oublié de mettre sa barbe de Père Noël… »
Ça, c’est vrai, parce qu’elle me grattait. Je n’avais collé qu’une moustache blanche. Mais, avec ma capuche rabattue sur le devant et mes lunettes noires, ça ne leur donnait pas grand-chose. En tout cas, personne ne pourrait me reconnaître.
Quant à l’habit, ils pouvaient toujours courir en tous sens. Je l’avais subtilisé dans un vieux débarras de l’institution où j’enseignais. Et je n’étais pas assez sot pour aller l’y remettre. Ça ferait une couverture pour maman l’hiver.
Il n’y avait que le nœud papillon qui m’ennuyait. Surtout que c’était mon préféré. Le vert pomme. Celui que je portais tout le temps depuis la mort de maman.
Mais je devais absolument m’en débarrasser. On ne voyait que lui en couleur sur le portait robot en noir et blanc.
J’étais quand même vraiment triste de m’en séparer. Avec mes chemises fuchsias, il rendait vraiment bien. D’une grande élégance.
À présent, il me fallait absolument remonter la pente. C’était urgent.
Surtout que maman me tannait. « Répare ta bêtise, Philippe-Henri ! » Et que Ghislaine boudait toujours.
Ma cote était au plus bas, mais j’ai eu une idée géniale pour la remonter. « Un coup gonflé », comme aurait dit Jean.
J’ai étranglé une contractuelle dans le 13e. Le membre d’un corps de métier honni par la population. De quoi redevenir populaire dans le cœur des Parisiens.
Eh bien, erreur ! Parce qu’elle était antillaise. Tout simplement.
Moi, je ne suis pas raciste. Noire, blanche ou jaune –au fait, je n’en ai jamais encore étranglé –, pour moi c’est une femme comme une autre, du pareil au même. Une victime normale.
Non ! « Crime raciste », qu’ils ont crié. Juive – tiens, pourquoi pas ? ça ferait plaisir à maman et elle me pardonnerait sûrement ma bévue quel que soit son âge – ou arabe, j’aurais compris. Mais, alors, là, toute cette histoire pour une Antillaise ! Alors qu’ils sont encore plus français de pure souche que les Niçois et les Savoyards !
Vraiment, la police m’en voulait vraiment. Au point d’user de méthodes déloyales.
J’avais l’impression désagréable d’avoir perdu la main et d’être abandonné par la chance avec ces deux « loupées » coup sur coup.
Je dois l’avouer, entre maman et Ghislaine qui n’ont pas dégoisé un mot et toutes ces manigances de la police en coulisse, j’ai vraiment passé des fêtes de fin d’année pourries.
Absolument.


© Alain Pecunia, 2008. Tous droits réservés.

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