samedi 25 octobre 2008

Noir Express : "Sans se salir les mains" (C. C. VII) par Alain Pecunia, Chapitre 4

Chapitre 4





Le lendemain, sur le coup de neuf heures, petit déjeuner champêtre au milieu de la pelouse en famille.
« Élargie ». Car juste au moment où j’apportais la cafetière d’une main et la théière de l’autre, les deux vieux de la veille sont arrivés pour voir si on avait besoin de quelque chose « au cas où ».
À la campagne, c’est une insulte que de ne pas partager le café.
Heureusement que c’est juste une coutume de nos campagnes. Moi, à Paris, je ne m’imagine pas offrant le café chaque matin au voisin qui sonnerait à ma porte par hasard « au cas où »…
J’en ai oublié les œufs à la coque. Enfin, presque. On a quand même pu les manger entre mollets et durs.
À dix heures, Isa et moi avons commencé à débarrasser. Laissant les deux vieux et Phil en grand débat culturel sur la pluie qui se faisait attendre.
Philippine était perchée sur les genoux de Papy et suçotait son pouce paisiblement.
C’est incroyable cette capacité qu’ont les mômes de supporter les conneries des vieux…
Tout en essuyant la vaisselle, j’ai dit à Isa, mi-figue, mi-raisin :
– T’es sûre que c’est cette dame-là qui va te filer un coup de main ?
– Écoute, on est dimanche !
Mais ce n’était pas dimanche pour le téléphone portable.
C’était le commissaire Antoine.
– Alors ? ai-je lancé joyeusement en reconnaissant sa voix. Déjà fini ?
Silence. Pesant.
– Oh ! Antoine, tu m’entends ?
Je secouai le portable. Mais non, la communication n’était pas coupée. Antoine avait seulement la voix très faible et très blanche.
– C’est quoi ces conneries, Pierre ?
J’ai mis un certain temps avant de percuter.
– Tu parles de quoi ?
– Vous avez voulu me faire un canular ou quoi ?
– Excuse-moi, Antoine, mais je ne comprends vraiment pas. Explique-toi.
Longue pause. Soupirs lointains.
– Il n’y a rien à nettoyer… Tu comprends ?
Je blêmis. Me ressaisis.
– Je suis sur place. Mon « ami » m’a appelé pour que je constate par moi-même, de visu. Il n’y a rien. L’appartement est nickel. La chambre est propre comme un sou neuf… Tes saloperies ne sont pas là et, à mon humble avis, n’y ont jamais été… C’est une blague à la con ou une hallucination collective… Vous aviez dû fumer un joint !
– Mais, Antoine, je t’assure…
– Ouais, c’est ça ! coupa-t-il sèchement.
« Tes saloperies ne sont pas là… » Les « saloperies » de Papy…
J’en avais les jambes flageolantes.
– Qu’est-ce qui se passe, mon chéri, tu es tout pâle ?
– C’est rien… Un coup de fatigue, le surmenage…
– Mais c’était Antoine ?
– Oui, oui… Mais rassure-toi, le ménage a été fait…
– Ah ! je suis bien contente. Ça me rassure pour Papy.
Isa s’est jetée à mon cou et elle m’a embrassé fougueusement jusqu’à la glotte.
J’ai préféré ne rien dire à Isa. De toute façon, c’était nettoyé. Personne ne serait jamais mis en cause et tout le monde avait rêvé.
Je suis sorti sur le pas de la porte. J’ai contemplé les trois vieux et ma fille. Pour moi, c’était une vision cauchemardesque.
Puis je me suis dit : « Pourvu que Pilippine n’ait pas hérité des tares de son grand-père ! »
Bien sûr, Isa m’aurait dit que c’était impossible. Qu’ils n’avaient pas de liens génétiques.
C’est vrai. Logiquement vrai. Mais, parfois, je ne peux pas m’empêcher de le penser. Philippine est si proche de lui.


© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

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