mercredi 1 octobre 2008

Noir Express : "Sous le signe du rosaire" (C. C. VI) par Alain Pecunia, Chapitre 18

Chapitre 18





J’ai attendu une semaine avant de remettre les pieds rue Clerc et de reprendre mes habitudes au Relais angevin.
Mais ça n’a pas manqué. Il a fallu que Jean, goguenard, me jette :
– Alors, monsieur Dumontar, on ne porte plus son petit nœud pap vert pomme ? Celui de l’assassin ! Vous en avez eu honte, c’est ça ?
J’ai rougi. Ce qui est rare. Sauf devant maman quand elle me prend en faute.
Puis j’ai souri en prenant un air niais – que ça m’a coûté ! – devant ces béotiens hilares.
– N’empêche, est intervenu le retraité de la gendarmerie, si on ne vous connaissait pas comme on vous connaît ici, eh bien, on vous aurait soupçonné !
– Vous avez eu de la veine que le portrait-robot ne vous ressemble pas, commenta l’ouvrier serrurier.
– C’est bien vrai, monsieur Dumontar, renchérit le boucher, je vous aurais pendu à un croc sur-le-champ !
– Vous avez de la chance d’être au-dessus de tout soupçon, monsieur le professeur…, jeta la Christine mi-figue, mi-raisin, avec un regard qui me laissa une sensation de malaise.
Heureusement que le patron est sorti de sa cuisine à ce moment-là pour me dire gentiment :
– Ne les écoutez pas, monsieur le professeur.
Gérard Langlot, il est toujours gentil et courtois avec moi.
Mais il arrivait à temps, car j’étais déjà en train d’échafauder des plans pour me faire la Christine et en être débarrassé. Soupçonnant même que son mari aurait pu m’en remercier. Au point d’oublier que je n’avais plus la main ces temps-ci.
J’ai préféré faire profil bas.
Comme au lycée. Où il a fallu que quelqu’un aille jeter un coup d’œil dans le débarras et constate, au milieu de tout le fatras des accessoires de fête de fin d’année, la disparition de l’habit de Père Noël.
Évidemment, les élèves l’ont appris. Et ceux de mes deux terminales ont été parfaitement odieux avec moi. Avec des petites phrases assassines sur le tableau noir. « Avez-vous vu le nœud vert pomme de Dumontar ? » « Récompense pour qui retrouvera le nœud vert pomme »…
Ils osèrent même afficher le portait-robot, agrandi sur la photocopieuse de l’établissement, au tableau. Avec une flèche et une légende.
« Nous avons retrouvé le nœud vert pomme de Dumontar ! Et devinez qui est l’assassin ! »
Même mes collègues se firent complices de ces facéties cruelles et de mauvais goût.
« Alors, Dumontar, pas encore arrêté ? » « T’inquiète, on t’apportera des oranges ! » « Dis donc, tu cachais bien ton jeu ! »…
Au point que le directeur de l’institution lui-même a dû intervenir et pondre une note de service qui a été lue dans toutes les classes à partir des troisièmes.
« Des bruits infamants courent sur un de nos membres les plus éminents, qui est par ailleurs l’objet de plaisanteries d’un goût douteux de la part de certains élèves et de railleries indignes d’enseignants.
« J’entends que cela cesse immédiatement sous peine de sanctions disciplinaires. Je ne saurais tolérer plus longtemps une telle situation au sein de notre institution que j’ai l’honneur de diriger.
« Je renouvelle toute ma confiance et mon témoignage de grande estime à notre éminent professeur injustement victime de cette odieuse situation… »
Bien évidemment, cela n’empêcha pas durant un certain temps les sourires en coin de mes collègues et les murmures au fond de la classe.
Je ressentais un profond écœurement. J’envisageai même de me mettre en arrêt maladie, moi si consciencieux et si attaché à mon sacerdoce professoral.
Maman m’y encourageait. Mais je savais que c’était par égoïsme.
Ghislaine ne prenait pas parti, comme à son habitude. Elle essayait seulement de me consoler, avec ses pauvres moyens. De plus en plus faibles.
Mais le Dr Lévy me le déconseilla.
– Ne vous laissez pas abattre par ces rumeurs et ces plaisanteries stupides ! Vous étiez en pleine forme juste avant ces crimes odieux. Au point que j’avais renoncé à toute idée de traitement, c’est vous dire !
Il me conseilla de faire face, de me distraire.
– Vous voyez ce que je veux dire, hein ? souligna-t-il d’un regard égrillard.
Quelque chose était cassé en moi. À un tel point que je rendis à maman son rosaire. En lui faisant croire que je l’avais retrouvé par terre sous son lit en faisant le ménage.
J’ai plié l’échine sous son reproche.
– Tu pourrais quand même avoir plus d’attention avec mes affaires !
La seule pensée qui me soutint dans cette terrible épreuve, c’est que la police était toujours sur la piste du « Père Noël tueur » et qu’elle pouvait toujours lui courir après.


© Alain Pecunia, 2008. Tous droits réservés.

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