dimanche 14 décembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 18

Chapitre 18





Ils atteignirent l’entrée de l’autoroute A 13, celle de Normandie, en étant presque assurés de ne pas être suivis.
Au péage de Mantes-la-Jolie, un gendarme se dirigea vers leur véhicule et sembla lire le numéro de la plaque.
De toute façon, « ils » ne pouvaient rien contre elle et Gilbert. Ils agissaient dans le respect d’un mandat judiciaire et les enfoirés d’en face n’étaient plus maîtres du jeu.
À dix heures, ils s’engagèrent sur la rocade de contournement de Bernay et Isabelle fit le chemin à Gilbert Lenoir jusqu’à Caorches-Saint-Nicolas et la ferme des frères Bauchère. Qui les attendaient, « artillerie » à proximité, au cas où.
Quand Isabelle leur avait téléphoné le jeudi soir, ils avaient immédiatement accepté de les héberger, sans poser de question. Se transformer en auxiliaires de la justice était un plaisir pour eux.
– Ne vous inquiétez pas, leur dit Michel Bauchère, l’aîné, en les accueillant. Si des malfaisants se pointent par ici, on leur refera le coup de l’Assomption
* !
Ils rirent de bon cœur avec Phil à l’évocation de ce « bon moment ». Sans se rendre compte immédiatement qu’Isabelle, elle, ne riait pas du tout et tentait de faire comprendre par des regards désespérés que son collègue, le lieutenant Lenoir, lui, n’était pas au courant.
L’arrivée des voisins, Marcel et Georges Lebrige, ne fut pas pour la rassurer.
Au premier verre d’apéritif, ils allaient évoquer leurs souvenirs d’anciens combattants avec Phil. Un instant, elle se demanda si elle avait vraiment eu une bonne idée.
Elle accusa le choc lorsque Gilbert Lenoir se tourna vers elle tout sourire.
– Je suis au courant. Le professeur m’a raconté. Justice expéditive, mais justice quand même !
Les autres opinèrent par des hochements de tête entendus et de larges sourires.
Le lieutenant Lenoir venait de réussir son examen d’entrée dans leur petite confrérie.
Puisque tout le monde était réuni et que le temps pressait, Isabelle Cavalier préféra leur expliquer l’« affaire » avant le déjeuner.
Tous assis autour de la grande table de ferme, elle seule debout, ils l’écoutèrent avec la plus grande attention. Le visage grave.
– Comprenez bien, conclut-elle, que le lieutenant Lenoir et moi nous agissons dans le cadre d’un mandat judiciaire, qu’il s’agit d’une protection de témoin et que nous ne devons pas quitter le cadre de la loi. J’espère que je me fais bien comprendre ?
Son regard alla de l’un à l’autre.
En commençant par Phil, puis Michel et ses deux frères jumeaux, pour finir par les deux retraités agricoles.
Ils acquiescèrent en silence.
Chacun pensant à son rôle.
Phil veillant sur Philippine – et vice versa, comme toujours.
Georges et Marcelle faisant le guet depuis leur maison sur la route.
Michel et ses frères assurant la protection de la ferme et de Euh-Euh en cas de coup dur. Sous les ordres du lieutenant Lenoir.
Elle, Isabelle, coordonnant le tout et menant les tractations.
Euh-Euh, lui, semblait aux anges.
Isabelle se demanda s’il saisissait quelque chose de toute cette situation. S’il se rendait compte qu’il était assis au cœur du volcan.
Alors qu’elle s’apprêtait à téléphoner à la juge d’instruction pour l’informer comme promis, Georges la prévint que l’estafette de la gendarmerie de Bernay arrivait dans la cour.
Le brigadier descendit seul et se dirigea vers Isabelle qui marcha au-devant de lui avec Gilbert Lenoir.
Le brigadier semblait mal à l’aise.
– J’ai reçu un fax bizarre il y a une demi-heure, commença-t-il. Il paraît qu’un individu serait retenu ici contre sa volonté et que, s’il est ici, je dois l’emmener à la brigade et attendre les ordres.
Isabelle sourit. Elle avait appris à connaître le brigadier au cours du mois d’août, et savait qu’il ne marcherait jamais dans un coup tordu.
– Nous agissons, le lieutenant Lenoir et moi-même, dans le cadre d’un mandat judiciaire. Il s’agit d’une protection de témoin, dit-elle en lui tendant le mandat de la juge.
Le brigadier le parcourut attentivement et se mit presque au garde-à-vous pour lui dire qu’il était à sa disposition.
– Remarquez, ajouta-t-il avec un petit sourire sur les lèvres et un hochement de menton en direction de la ferme, avec cette équipe-là, je ne me fais pas de souci pour le témoin. Mais je vous envoie quand même une voiture avec deux gendarmes dès que j’aurai rendu compte que tout est normal ici.
Isabelle Cavalier le remercia.
Si ceux « d’en haut » envoyaient leurs hommes de main pour une opération musclée de récupération, le soutien de la gendarmerie n’était pas de trop.
– Mais comment ont-ils su que vous seriez là ? demanda le brigadier avant de prendre congé.
Elle haussa les épaules en songeant que Pierre avait peut-être choisi le mauvais camp ou que la conversation qu’elle avait eue avec Michel Bauchère le jeudi soir avait été interceptée.
– Ils ont de gros moyens, finit-elle par répondre, de très gros moyens…
Il était treize heures quinze.
* Voir Sans se salir les mains.


© Alain Pecunia, 2008.
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