samedi 6 décembre 2008

Noir Express : Euh-Euh ! (C. C. VIII) par Alain Pecunia, Chapitre 10 (suite et fin)

Chapitre 10 (suite et fin)





Isabelle dissimula sa surprise.
– Ah ! mon chéri, mais je pense que ça peut intéresser fortement le juge d’instruction. Recel d’information, obstruction au déroulement de l’enquête – je t’en passe…
– Mais, Isa, c’est du sérieux ! la supplia-t-il.
– Je te crois ! C’est un délit réprimé par le code pénal, qui va chercher dans les…
– Merde ! Arrête tes conneries, Isa ! C’est trop grave ! Il peut y aller de ta vie. Rien ne les arrêtera s’ils veulent étouffer cette affaire…
Isabelle constata avec plaisir que son mari avait abandonné son rôle de petit garçon. Elle savait qu’il ne s’exprimait pas à la légère en lui assenant ces vérités concernant les « gens du pouvoir », qui n’étaient pas toujours – et rarement – des élus. Elle réprima un frisson désagréable.
Isabelle brisa le long silence qui s’était instauré.
– Si je comprends bien, certains détiennent des preuves absentes du dossier que je gère… qui ont été sciemment occultées ?
– Oui.
– Peux-tu me dire le nom du criminel ?
– Non.
– Le commissaire Antoine et mon patron sont-ils au courant ?
– Non.
– Seront-ils mis au courant à un moment quelconque ?
– Non. Mais ils connaissent la musique, eux. À leur niveau, la « raison d’Etat » signifie quelque chose pour leur carrière.
Le capitaine Isabelle Cavalier s’était plongée dans une longue réflexion. Elle parcourait mentalement les nombreux feuillets du dossier concernant les cinq crimes.
– Ce que je ne comprends pas, finit-elle par dire, c’est pourquoi on me demande ça, puisque je n’ai rien qui me mène à un quelconque suspect… Le dossier est bouclé de lui-même puisque je n’ai pas la moindre trace de suspect. C’est idiot, votre truc !
Pierre écarquilla les yeux.
– En fait, poursuivit Isabelle, tu ne m’aurais rien dit, personne n’aurait jamais rien su de votre combine… C’est bien ce que je pensais, ils sont totalement débiles, ceux « d’en haut »…
Quand sa femme se mettait à réfléchir de cette façon, Pierre Cavalier s’inquiétait toujours. Sa logique particulière n’était pas très cohérente, mais Isabelle avait parfois des intuitions fulgurantes. Des associations d’idées ou de faits qui la mettaient sur une piste – la bonne – alors qu’elle ne possédait aucun élément matériel l’étayant.
Ce côté-là d’Isabelle, un peu sorcière ou devin, le troublait toujours un peu même s’il en était admiratif.
Lui, il n’avait guère d’intuition.
– Mais, dis donc, tes enfoirés, reprit-elle avec un regard aussi dur que de l’acier, tes débiles ne veulent quand même pas faire porter le chapeau à Euh-Euh… ?
Elle sut qu’elle avait touché pas trop loin en voyant le regard éperdu de son mari.
– Il est le seul témoin – direct ou indirect – de la plupart des cinq crimes. Et comme il ne peut pas se défendre, et pour cause… – Je t’en supplie, Pierre, dis quelque chose, dis-moi que je me trompe…
Elle se tut en attendant qu’il se décide à parler.
Ce qui prit un certain temps.
– Tu n’es pas loin de la vérité, mais ce n’est pas tout à fait ça, dit-il d’une voix sombre.
– Touché ! alors.
– C’est l’inverse… Il ne faut qu’en aucun cas le nom de Euh… – de Patrice Dutour, se reprit Pierre, n’apparaisse dans le dossier.
– Coulé ! conclut-elle avec un sourire amer.
Ils en étaient restés là pour le moment. Isabelle se tut durant le repas et rumina ses sombres pensées pendant une partie de la nuit.
Sans cesse, elle en revenait à la même question : « Qui est Patrice Dutour ? »
Elle n’avait pas de réponse. Mais une certitude se fit jour peu à peu. Euh-Euh pouvait être en danger.



© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

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