lundi 18 janvier 2010

Noir Express : "Par esprit de famille" (C. C. XIV), par Alain Pecunia, chapitre 16

Chapitre 16





J’ai installé le Bellou dans l’ancienne chambre de maman.
Au petit déj, le mardi matin, il m’a demandé quels étaient mes projets d’avenir.
Tout bazarder et me tirer le plus loin possible dès que je n’aurais plus les flics sur le râble, que je lui ai dit. Et j’allais les avoir plus longtemps que prévu à cause de sa villégiature chez moi.
– C’est le plus sage et je m’en doutais. Mais où as-tu l’intention d’aller ?
– Qu’est-ce que ça peut te faire ? que je lui ai rétorqué d’un ton rogue.
J’avais l’impression qu’il me prenait pour un con. Il avait réussi à piéger la Bernique et il était bien capable de me mijoter un mauvais coup pour rester avec le tout.
Il a dû lire dans mes pensées.
– Cool, qu’il m’a dit. Je n’ai pas l’intention de te doubler. Je te demande juste où parce que nous pourrions peut-être partir ensemble.
– Loin, que je lui ai répondu sèchement sans dévoiler mes rêves australiens.
Je ne me voyais pas traîner mon beauf avec moi le restant de mon existence.
– Écoute, qu’il m’a fait. Je ne retournerai pas à Nantes. Dès que les cinq kilos seront écoulés, je me tire loin moi aussi. Et tu auras ta part sur la revente. Moitié-moitié.
Tout à coup, j’ai eu un doute. Il n’avait quand même pas traîné la coke avec lui jusqu’ici !
– Elle est où, cette marchandise ? que je lui ai demandé avec un mauvais pressentiment.
– Dans un de mes sacs, qu’il m’a répondu le plus naturellement du monde.
J’avais affaire à un malade, un inconscient ou un type qui croyait dur comme fer à sa baraka. Ce qui revenait au même sur le plan pratique.
– T’es malade ! Et si les Stups font une descente ici ? que je lui ai lâché d’une voix blanche.
Il m’a souri avec condescendance. Comme à un cave.
– C’est un risque à courir. Mais nous avons une longueur d’avance et il faut juste se dépêcher de revendre la coke. Il faut que nous nous en débarrassions rapidement.
Je l’ai stoppé dans son délire.
– Attends, attends ! qu’est-ce que je viens faire avec la coke, moi ? Ça ne me concerne pas. Je n’ai pas l’intention d’y toucher. Et, d’abord, pourquoi que tu veux m’en faire profiter ? C’est quoi cette histoire de moitié-moitié ?
Il a fait son chattemite.
– Mais ce sera simplement le prix de ta participation.
– Comment ça ?
– Tu as tes camions, ton réseau pour les cigarettes…
– Pas question ! que je l’ai coupé.
– Je crois que ta sœur avait raison. T’as une mentalité de petit commerçant, de gagne-petit.
– Il n’en est pas question ! Je n’ai pas envie de passer ma retraite derrière les barreaux.
Il a haussé les épaules et m’a laissé bouder en silence.
Je suis un Pmiste, moi, pas un petit commerçant !
Je ne suis pas un gourmand, c’est tout. J’ai toujours su me limiter dans mes ambitions. Je tiens ça de papa. La mégalomanie, c’était le truc de la frangine et elle a dû déteindre sur son fonctionnaire de mari. Et ça conduit toujours à l’abîme.
Non, il n’était pas question que je marche dans sa combine. Avec la moitié de l’enveloppe du croque-mort et la vente de ma société, j’avais largement.
Il pouvait toujours courir, le beauf. Hors de question que je sois son pigeon.
C’est lui qui a rompu le silence le premier.
– T’as pas tellement le choix, qu’il m’a fait.
– Comment ça ? que je lui ai dit en rigolant tout en essayant de flairer son coup fourré.
– Ben oui. La drogue, elle est chez toi. Si tu ne m’aides pas à l’écouler, elle y restera. Et elle sera peut-être encore là quand les Stups débarqueront.
– T’es un enfoiré, René. Un sale flic ripou enfoiré. T’as qu’à te démerder avec ta saloperie de came !
Ça l’a fait se marrer.
– Je n’ai pas la logistique ni le réseau nécessaire. Toi, si. C’est une question de quelques jours, une semaine au plus…
– Non ! que j’ai tranché d’un ton sans réplique.
Il n’en a pas semblé contrarié pour autant. Il pensait sûrement m’avoir à l’usure.
Puis je me suis mis à gamberger.
Le beauf aller me coller comme une bernique à son rocher tant qu’il n’aurait pas écoulé sa drogue.
Il avait raison. Je n’avais pas le choix. La seule et unique façon de l’empêcher de s’incruster était de marcher dans sa sale combine.
Il fallait se débarrasser au plus vite de la marchandise. Le stock, c’est l’ennemi d’une saine gestion commerciale.
– D’accord, que je lui ai lâché à contrecœur.
– Je n’en attendais pas moins de toi, Jeannot. Je savais que je pouvais compter sur ton esprit de famille.


© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.

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