samedi 9 janvier 2010

Noir Express : "Par esprit de famille" (C. C. XIV), par Alain Pecunia, chapitre 7

Chapitre 7





Vers quinze heures, alors que nous en sommes au café, le croque-mort se ramène.
Pour une fois, je lui trouve la tête de l’emploi.
Il interroge la frangine du regard.
Il préférerait lui parler en particulier.
– Il est au courant, jette-t-elle négligemment.
Henri-Jacques semble déconcerté. Il hésite.
– Alors, tes larbins ? le presse-t-elle en rivant son regard dans le sien.
Le croque-mort se dandine d’un pied sur l’autre.
– Je réponds d’eux, finit-il par dire.
J’ai senti comme une hésitation dans sa voix.
La frangine aussi.
Elle s’est crispée imperceptiblement. Puis se détend.
Henri-Jacques ne se rend pas compte qu’il vient d’échapper de peu à un coup de boule teigneux de la sœurette.
– Bon, dit-elle en se détournant de lui. Je te fais confiance et, si tu réponds d’eux, il faut chercher ailleurs.
Henri-Jacques semble soulagé. Il a repris des couleurs.
– Et toi, qu’est-ce que tu en penses ? me demande-t-elle.
– Comme toi.
Elle me sourit. Du moins, ça peut donner l’illusion. Elle est satisfaite que je sois rentré dans son jeu.
Le croque-mort me sourit également. Heureux que j’abonde dans le sens de ma sœur.
Il se croit tiré définitivement de ce mauvais pas, le con. Mais il n’a rien compris.
Pendant le déjeuner, ma frangine et moi avons eu le loisir de passer au crible de notre expérience les diverses hypothèses.
À chaque fois, nous sommes retombés sur Henri-Jacques.
Et, à chaque fois, la Bernique a eu du mal à l’accepter.
– Mais je le tiens par les couilles, ce mec. Il faudrait qu’il soit vraiment con pour vouloir me doubler, qu’elle disait.
Pour ma part, je n’ai eu aucun mal à l’accepter. C’est l’évidence même. Comme un plus un égale deux. De l’élémentaire.
Ce mec est vraiment con. Plus que ça : taré complet.
Et vicieux, ai-je ajouté à ma frangine.
Quand je lui ai dit ça, elle a eu une petite lueur particulière dans ses prunelles. Je ne crois pas que nous évoquions la même chose.
En tous les cas, c’est pour dire qu’il a grand tort de se croire tirer d’affaire et de ne plus se méfier de la Bernique.
Elle est juste en train de chercher son angle d’attaque.
À voir son visage se friper sous la concentration, moi qui la connais bien, je suis sûr qu’elle va bientôt sortir sa botte de Nevers à elle.
Mais j’assiste à un vrai coup de Jarnac.
– J’ai eu Tonio tout à l’heure au téléphone, mon grand, annonce-t-elle chattemite à son benêt de Henri-Jacques. Vu que tu étais responsable du transport, c’est à toi de payer la note. Il te donne quarante-huit heures pour lui régler la came.
Le croque-mort a viré couleur linceul.
Il accuse le coup.
– Mais, Charlène, proteste-t-il, tu étais avec moi et nous sommes associés…
La Bernique se défripe d’un coup en se liftant d’un large sourire.
– Non, mon grand, dit-elle doucereuse. Nous étions ensemble, mais, moi, j’accompagnais le corps de maman et toi tu convoyais la marchandise. Les cinq kilos de coke étaient sous ta responsabilité.
Alors là, je suis admiratif. Je me sens tout petit à côté de ma frangine avec mon trafic de gagne-petit.
J’essaie de calculer vite fait combien de millions ça peut représenter.
Avec le kilo aux alentours de deux cent mille francs, ça fait une brique, soit cent cinquante mille euros, et, avec une revente entre cent et deux cent euros le gramme, ça fait…
Mais le Henri-Jacques me perturbe le calcul mental par ses miaulements.
– Tu ne peux pas me faire ça, Charlène ! implore-t-il le souffle court.
– C’est ton problème, mon grand, insiste la perfide Bernique. Et je te conseille de faire fissa. Tu sais combien Tonio et ses amis colombiens peuvent être susceptibles en affaires…
Le croque-mort est scié à la base. Mais je connais les sournois. Ils ont toujours une parade.
– Tu as tort, Charlène, tu as plus à perdre que moi…
Oh ! la la ! le con. Faire du chantage à la frangine !
Elle lui darde un regard mauvais.
– Tu te trompes, mon grand. Au contraire de toi, je ne risque pas de perdre la vie.
Elle a fait mouche. Henri-Jacques fait marche arrière.
– Excuse-moi, dit-il piteusement. Je me suis laissé emporter.
La Bernique ne relève pas. Elle s’est refermée.
Un silence lourd de sous-entendus s’est établi.
À ma surprise, c’est le Bellou qui le rompt en marmonnant et en attirant l’attention de sa femme.
– Tu veux ton Internet ? lui demande-t-elle.
Le Bellou hoche la tête.
– Quand il sort de son apathie, il réclame toujours son ordinateur. C’est la seule chose qui l’intéresse, me dit-elle en guise d’explication et en haussant les épaules.
Elle me demande de l’aider à le monter jusqu’au premier.
Le croque-mort en profite pour se retirer au prétexte de satisfaire au plus vite l’exigence des narcotrafiquants colombiens.
J’aide donc ma sœur à faire gravir au Bellou les marches une par une.
Il me semble requinquer quand il se retrouve assis devant son ordinateur.
– Oh ! me dit la frangine, ça ne dure jamais longtemps. Il va jouer une petite heure tout au plus et, ensuite, il va retomber dans son apathie.
Il y a juste une pointe de compassion dans la voix de la Bernique.
Moi, le beau-frère, il me fait réellement pitié.
Je n’ai jamais supporté la dégradation humaine. Même chez un flic.


© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.

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