samedi 14 novembre 2009

Noir Express : "Sous le signe du rosaire (Le retour)" (C. C. XIII) par Alain Pecunia, Chapitre 8

Chapitre 8





Il était presque treize heures trente lorsque Isabelle Cavalier sonna chez Philippe-Henri Dumontar.
Elle dut sonner plusieurs fois avant que Phil ne daigne ouvrir. Elle pensa même qu’il était peut-être absent. Après tout, il avait pu rencontrer l’âme sœur et souhaiter cacher ses amours…
Phil entrouvrit la porte et la fit entrer dans l’appartement comme à contrecœur.
Il avait un regard étrange, bizarre.
– Phil, qu’est-ce qui se passe ?
– Je te l’ai dit. Je me sens patraque en ce moment et j’ai envie d’être seul.
Isabelle avait envie de pleurer. Il lui parlait comme à une étrangère.
– Qu’est-ce que tu as fait de ta journée hier ? lui demanda-t-elle sèchement.
– Ça te regarde ? rétorqua-t-il d’un ton hargneux.
– Oui, ça me regarde ! Je ne sais pas si tu es au courant, mais l’assassin au « collier de perles », le « Père Noël tueur », vient de frapper à nouveau. Deux fois. Hier après-midi et cette nuit…
– Et alors ? la coupa-t-il.
– Et alors ? et alors ? C’est toi qui me demande ça ? s’emporta Isabelle. Mais tu es à nouveau soupçonné comme tu l’avais été à la suite du meurtre de ta cousine…
– Lointaine…, fit-il en haussant les épaules. Je ne savais même pas qu’elle existait ! En tout cas, je n’ai pas tué.
– Un témoin a donné la description d’un suspect après le meurtre de l’avenue de Suffren hier après-midi et le lieutenant de la Crim qui travaille avec moi a tout de suite songé à toi, à cause de la ressemblance…
– C’est absurde !
– Absurde ou pas, tu es dans le collimateur et tu vas être interrogé, cuisiné, peut-être… Et n’oublie pas que c’est grâce à moi que tu n’as plus été suspecté après notre rencontre en 98…
Un sanglot étouffa la voix d’Isabelle.
– Ne te mets pas dans tous ces états, lui dit-il en lui tapotant le bras. Je n’y suis pour rien.
Isabelle Cavalier sursauta de répulsion sous le contact de la main de Phil.
– Je n’y suis pour rien, répétait-il avec une étrange lueur dans le regard.
Ils étaient assis dans la cuisine et se regardaient à présent comme si aucune tendresse n’avait jamais existé entre eux.
– Reprenons, dit Isabelle après avoir ravalé ses armes. Qu’as-tu fait hier après-midi ?
– Si ça peut te faire plaisir…, répondit Philippe-Henri d’une voix morne.
– Ça me fera plaisir. Alors ?
– Je me suis baladé au Village suisse en début d’après-midi puis je suis rentré chez moi.
– Par où ?
– J’ai descendu l’avenue de Suffren et j’ai traversé le Champ de Mars.
– Ensuite ?
– Ensuite, je me suis reposé et j’ai été dîné chez Gérard Langlot au Relais angevin… Tu te souviens ?
Isabelle fit un effort pour ne surtout pas se souvenir.
C’est là qu’ils se donnaient leurs rendez-vous, rue Cler. C’est là qu’ils avaient fêté son mariage et la naissance de Philippine, c’est là que…
« Le salaud, se dit Isabelle, il veut me baiser au sentiment ! »
Elle vrilla son regard dans le sien. Du moins, elle tenta. Car elle ne trouva qu’une absence dans le regard de Philippe-Henri.
– Ensuite ? demanda-t-elle comme rageusement.
Il haussa les épaules.
– Ensuite ? Ensuite, j’ai été assisté au feu d’artifice…
– Où ?
– Sur le Champ de Mars, comme d’habitude ! fit-il en haussant les épaules à nouveau.
– Et tu es rentré à quelle heure ?
– Pas avant deux heures… j’ai un peu traîné sur le Champ, si tu veux tout savoir.
– Et tu étais où quand tu as assisté au feu d’artifice ?
– Ben, vers le milieu, vers la place Jacques-Rueff…
Isabelle Cavalier voyait un des piliers essentiels de son monde affectif s’écrouler.
– Et tu as fait quoi ? demanda-t-elle d’une voix blanche.
– Qu’est-ce que tu veux que j’aie fait ! s’indigna Philippe-Henri.
Isabelle ne parvenait pas à pleurer.
Quelque chose venait de mourir en elle.
Ils restèrent un long moment face à face. Sans échanger un mot.
Isabelle ne sut jamais, dans l’état de confusion où elle se trouvait quand elle reprit sa voiture, comment elle avait pu conduire jusqu’à son domicile, rue du Commerce.


© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.

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