mardi 26 juin 2007

Noir Express par Alain Pecunia : Retour en arrière (1)

Pendant quarante années, j’ai accumulé des notes pour des ouvrages « sérieux ». Mon petit fil rouge était les rapports de pouvoir entre les hommes, la genèse de l’État, la constitution des Empires et les raisons de leur chute, les révoltes populaires à travers les âges et les causes de leur échec. A part l’Antiquité, mes périodes de prédilection sont la Révolution française et l’Empire, la révolution mexicaine et la guerre civile espagnole. Précisément, je m’apprêtais à me plonger dans la rédaction d’une étude sur l’aspect militaire de cette dernière lorsque le « polar » m’est tombé dessus.
Jusqu’alors, mes rapports avec le roman noir à la française relevaient du pur divertissement pendant les vacances depuis seulement une dizaine d’années. Une sorte de soupape après m’être « farci » des choses sérieuses. En 1986, j’en avais écrit un qui tournait autour du terrorisme d’État mais il était fort mal ficelé. Je l’avais rédigé avec un plan et une bible de personnages. En 1989, j’en avais débuté un autre, cette fois-ci en écriture automatique et qui tournait autour des milices patronales. Hélas, dans la nuit, mon chat en griffa le manuscrit avec acharnement et délectation. Ce que je ne regrettai pas car je me sentais incapable de poursuivre au-delà d’une trentaine de pages en me « lâchant » (En 2003, j’en ai récupéré le premier chapitre et le personnage du gros beauf qui m’ont permis d’écrire National, toujours !, qui sera publié par Cheminements ou que je mettrai en ligne sur lulu.com.)
Ensuite, en juillet-août 2001, pour me distraire durant les vacances, je me suis amusé à écrire une histoire avec un personnage de flic sympathique, anticonformiste et bien typé. Sur un grand cahier, et c’est d’ailleurs la dernière fois que je me servais de ce support. Il s’agit d’Un été pourri que je mettrai en téléchargement gratuit sur lulu.com en juillet.
Je lui avais envisagé une suite, puis je suis retourné à mes tâches « sérieuses » et je l’ai carrément oublié.
Ce n’est qu’après avoir écrit une dizaine de mes « Chroniques croisées » (publiées chez Cheminement) que je m’en suis souvenu. Comme quoi il n’y a jamais de hasard même dans un processus créateur.
Donc, en avril 2003, alors que je rentrais très consciencieusement sur mon ordinateur mes dernières notes sur Byzance, un différend familial des plus inopportuns me fit voir rouge. Pour me défouler, je décidai de l’écrire sous forme de polar et, miraculeusement, alors que j’imaginais incapable de création pure, il se transforma en un récit qui s’extrayait de la réalité pour la transfigurer.
Je me suis alors dit : « Pourquoi ne pas en écrire un autre ? »
Ce fut National, toujours !
Mais pourquoi pas continuer ? Surtout qu’en mettant à la dernière page de mon texte une citation de Victor Hugo (« Le sanglot de Satan dans l’ombre continue »), celle-ci m’entraînait à le faire. C’est en quelque sorte ma citation fétiche. Il suffit que je tape cette phrase à la fin d’un de mes « polars » pour qu’aussitôt l’idée du suivant surgisse !
Au bout de quatre ou cinq textes, je me suis dit : « Que fais-tu de ton devoir, quasi-mission, d’écrire tes grands textes sérieux ? »
Question d’autant plus légitime que j’allais avoir cinquante-huit ans et que, si j’avais atteint la maturité pour le faire, je n’avais pas l’éternité devant moi.
Mais la création pure agissait telle une drogue, à fois par ses extases et ses tourments et, si je n’écrivais pas, j’étais en total manque. (Pour éviter toute ambiguïté, je précise que je n’ai jamais été un adepte des paradis artificiels et que je n’ai que mépris à leur égard du seul fait qu’ils sont artificiels et qu’ils reviennent à tricher avec soi-même.) Fin de la parenthèse, mais le processus est identique et je m’en suis senti déstabilisé au début.
Il suffisait que je mette devant mon ordinateur, que je tape une phrase – à vrai dire n’importe laquelle, la plus loufoque ou la plus sensée – pour que, lettre après lettre, ligne après ligne, une histoire se racontât.
J’avais quasiment l’impression que mon cerveau se trouvait branché sur mon ordinateur et que mes petites mimines ne faisaient que retranscrire ce qu’il avait envie de me faire dire. Cela fait drôle, mais puisque cela me procurait au final une bonne histoire, je n’avais que faire de m’interroger sur le processus créateur étant donné que mon rôle est de raconter des histoires et non d’en démonter les rouages.
D’ailleurs, je serais incapable d’écrire mes histoires autrement qu’avec mon ordinateur car ma vitesse de frappe est à l’unisson avec le jaillissement des idées, même quand je passe deux heures à écrire une ligne. Et toujours sans plan parce que, lorsque je veux « forcer » mon histoire, celle-ci se bloque. Je dois la laisser se dérouler telle qu’elle le souhaite ou selon sa logique qui lui est propre. Me surprenant tout autant que le lecteur en passant d’un paragraphe à l’autre.
Alors, à chaque nouveau récit, je me suis lancé un défi : partir d’un thème ou d’une idée ou d’une phrase improbable.
En mettant la barre toujours plus haute puisque j’ai derrière moi suffisamment (trop ! selon lui) de récits pour alimenter mon éditeur.
Par exemple : un vieil homme assis dans un fauteuil qui berce un ours en peluche.
Cela a donné Fin de race…
Ou alors : c’est un mec pressé et il abrège la vie de sa mère car elle met trop de temps à mourir.
Vidange pour un maton…
Ou encore : un type qui tantôt sait qui il est et tantôt ne le sait plus.
Ce qui m’a fourni le personnage du serial killer sympathique de mon sixième récit Sous le signe du rosaire…
En revanche, si je pars sans filet et en écriture automatique, j’ai besoin d’une accroche « territoriale ». Mes histoires se déroulent ou débutent dans des lieux précis qui vont leur donner une tonalité. Ceux-ci sont au nombre de trois, je les connais bien et ils « m’inspirent » : Saint-Michel-Chef-Chef et la Côte de Jade avec ses stations balnéaires familiales, la ville de Bernay et la campagne de l’Eure, et Paris (mais pas n’importe lequel, celui du 7e et un peu le 15e car ce sont deux quartiers bien plus criminogènes que le 9-3 !).
Alors comment surgissent mes personnages « en chair et en os » ? Soit d’une silhouette ou d’un trait de caractère. J’associe deux brins d’ADN et le principe qu’ils contiennent se déroule de lui-même donnant une histoire in fine. Mais il n’y a malgré tout que du travail, beaucoup de travail, avec rigueur et constance, six heures par jour ou nuit.
Les processus créateurs sont identiques, qu’ils soient culturels ou scientifiques.
Je n’ai pas le talent du compositeur mais je suis son égal. Si son médium est le piano, il fait des gammes, il pianote, souvent, le plus possible, puis, à un moment imprévisible, un accord s’enchaîne à un autre et, mystérieusement, s’il se laisse conduire tout en la travaillant, une nouvelle mélodie va naître.
En fait, le créateur est le Créateur, avec ses doutes et sa puissance créatrice – alors mes textes sérieux et quasiment universitaires ! Je ne suis vraiment pas près de changer de rôle, car, avec mes notes, n’importe qui peut créer quelque chose. Mais de presque rien, non ! (Toutefois, je les conserve précieusement : au cas où je vivrai très vieux et perdrai mon pouvoir créateur, il sera toujours temps que je m’y mette !)
Donc, cela m’a donné une vingtaine de romans noirs, tous relativement courts puisqu’ils ne dépassent pas les cent à cent cinquante pages. Ce qui n’est pas volontaire, car, même lorsque le sujet pourrait s’écrire long, l’histoire qui se raconte par moi m’oblige à une ellipse qui la « stoppe » net.
C’est d’ailleurs pour cette raison qu’en mai dernier – mai 2006 –, prévoyant l’année électorale et littérairement politique, je me suis engagé dans l’écriture longue d’une saga historique. Également parce que, après avoir écrit vingt-sept « polars », en voulant attaquer le 28e, j’ai pris conscience que, inconsciemment, j’avais traité l’ensemble des thèmes sociétaux contemporains et qu’une pause s’imposait dans le roman noir. Par ailleurs, moi qui suis plutôt fleur bleue, j’en avais un peu marre de naviguer dans des univers troubles – mais, comme chacun sait, ce n’est pas en décrivant des univers paradisiaques que l’on fait de bons romans. Le « bon » fouaille l’homme et la société derrière leurs apparences et ce qu’ils prétendent être.
Donc, nouveau défi : faire « long ».
Objectif atteint un an plus tard presque jour pour jour avec un texte de 650 000 signes, le premier tome (années 1915-1921). Et j’ai l’intention de rédiger le deuxième sans aucune pression avant de me mettre à la recherche d’un nouvel éditeur.
En attendant, j’ai ouvert ce blog pour m’éviter de tourner de salon en salon (je préfère écrire !) et faire savoir que je me déleste d’un certain nombre de mes textes en les mettant à disposition sur lulu.com sous forme d’e-books téléchargeables en format PDF. Expérience, hors intermédiaires, qui s’adresse surtout à mes jeunes lecteurs qui ne sont pas rebutés pas cette forme de lecture « virtuelle », et qui, de plus, a un avenir pour les textes littéraires courts ou la poésie.
En effet, après la tablette d’argile, le papyrus et le papier, il n’y a aucune raison (à part les habitudes qui disparaissent en même temps que ceux qui les portent) que l’on n’utilise pas dans un avenir proche, très proche, un support électronique de la dimension d’une feuille de papier format de poche sur lequel on tournera virtuellement les pages d’un « livre ». Car ce n’est pas le support qui compte sinon l’alphabet qui s’y imprime en mots s’enchaînant les uns les autres de quelque façon que ce soit.
D’ailleurs, il existe un curieux rapport entre la tablette d’argile « effaçable » et le support électronique « auto-effaçable » où les pages succèdent aux pages. Mais il y a un grand progrès : l’encombrement de la mémoire emmagasinée dans l’électronique est bien plus pratique que des piles de tablettes d’argile… ou de livres qui représentent autant d’arbres.
Et, dans ce cas, il n’existe plus d’intermédiaires entre l’auteur et le lecteur. Ils sont enfin en face à face !


© Alain Pecunia, 2007.
Tous droits réservés.


L'adresse de ma vitrine sur lulu.com : http://stores.lulu.com/pecunia
téléchargements en format PDF gratuits ou à 1,25 euros

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