lundi 14 décembre 2009

Noir Express : "Sous le signe du rosaire (Le retour)" (C. C. XIII) par Alain Pecunia, Chapitre 29

Chapitre 29





Oui, il avait bien assassiné Bernard Bonnot. Mais vu l’ordure que c’était, ce n’était pas une perte pour la haute fonction publique. Ce dont le capitaine Cavalier pouvait aisément convenir.
Il avait commencé ses aveux par le meurtre du préfet. Ce qui était normal. Les assassins commencent toujours par le plus facile. Le plus acceptable « moralement », si l’on veut, ou ce qui leur semble le plus compréhensible.
Oui, il avait bien assassiné Julie Bernard et Angeline de Saint-Fort.
Ce qui étonna d’abord Isabelle Cavalier. Car qui, alors, avait violé Angeline de Saint-Fort la nuit du jour de l’An ?
Mais elle préféra ne pas interrompre la confession fleuve de Harry Godino par une question qui pouvait attendre ou trouverait rapidement sa réponse.
Bernard Bonnot avait révélé quelques semaines plus tôt à Angeline de Saint-Fort qu’elle était sa fille, et donc lui-même son géniteur. L’adolescente ne l’avait d’abord pas cru. Mais sa mère le lui avait confirmé. Et Angeline de Saint-Fort, qui avait estimé naturel, jusque-là, de participer aux « activités » du groupe et de coucher avec les uns et les autres, aussi bien son père que Bernard Bonnot, se prit tout à coup à le haïr. À trouver ça dégueulasse que son vrai père ait couché avec elle – alors qu’elle avait trouvé naturel de coucher avec celui qu’elle croyait être son vrai père…
– À ne pas comprendre, mais je ne suis pas psy, commenta l’ex-flic.
Bref, elle était perturbée et confia cette révélation à sa meilleure amie, la petite Julie Bernard. Qui était amenée par ses parents aux soirées du groupe depuis presque un an.
– Mais c’était pas son truc et elle se montrait indocile. Ça se voyait qu’elle deviendrait un problème un jour ou l’autre…
Elle en parla également à Corinne Cangros, dix-sept ans.
– Une émotive, celle-là…
Puis, bien sûr, à Sabrina Claron.
– Elle, ça lui plaisait et elle avait tendance à devenir la maîtresse du jeu. Alors elle a prévenu Bonnot qu’il y avait un problème. Mais, en fait, le problème venait de Bonnot qui s’était lancé dans le sado-maso et qu’on savait pas où il s’arrêterait. Il était sous l’influence totale de son mauvais génie, Matthieu Toussaint… C’est vrai, il serait resté dans la partouze normale, il n’y aurait jamais eu de problème…
Donc, Bernard Bonnot, informé par Sabrina Claron des intentions d’Angeline, s’affola.
– Et il y avait de quoi, elle avait l’intention de porter plainte et de demander une indemnisation.
Menaces réelles ou pas, « la préfète » – c’était le sobriquet employé avec mépris par l’ex-flic pour désigner Bonnot depuis qu’il était tombé dans les bras et sous la coupe de Matthieu Toussaint – a pris ça au sérieux. Et décidé de prendre les devants.
Un peu avant Noël, il a décidé de la faire taire définitivement en payant grassement Harry Godino. Il en avait largement les moyens.
– Il n’a laissé aucune chance à sa propre fille ?
– Si. Quelques jours plus tôt, il lui a dit que, si elle se montrait docile et renonçait à ses mauvaises intentions, il en ferait son unique héritière.
– Et alors ?
– Elle lui a craché à la gueule, au propre et au figuré. Elle criait qu’elle voulait le voir croupir en prison avec tous les autres. Elle était devenue totalement incontrôlable. Bonnot, le crachat, il pouvait le lui pardonner, mais pas la menace de prison. Fille ou pas.
– Mais pourquoi avoir tué également Julie Bernard ? ne put s’empêcher de demander Isabelle Cavalier tout en connaissant d’avance la réponse probable.
– Ah ! ça c’était l’idée de Toussaint. Pour égarer les soupçons, a-t-il dit, et faire d’une pierre deux coups. S’en débarrasser. Et ça a plu à Bonnot. Pour lui, c’était quasiment de la prophylaxie. Les déviants sacrifiés à la survie de la tribu, qu’il a dit, ou quelque chose comme ça. De toute façon, tous les trois, nous étions convaincus que Julie parlerait dès qu’elle apprendrait l’élimination de sa grande amie. Et qu’il y avait de fortes chances qu’elle entraîne avec elle Corinne. Alors, autant l’éliminer au préalable. Bref, Toussaint était un sadique de première et Bonnot avait disjoncté. Moi aussi, d’ailleurs, mais moi je n’ai fait ça que pour le paquet de fric à la clé qu’il m’avait fait virer d’avance dans un paradis fiscal… Mais je ne vous en donnerai pas le montant ni ne vous indiquerai le lieu. Rêvez pas ! Quand je sortirai dans vingt ans, je pourrai retrouver tout ce fric…
Le « stratège » avait été le lieutenant Toussaint. Il avait toujours été fasciné par l’histoire non résolue du tueur « au collier de perles » qui avait défrayé la chronique de 92 à 97, échappé à toutes les traques et mystérieusement disparu.
– Un jour, il avait remarqué un rosaire suspendu à l’accoudoir d’un prie-Dieu utilisé comme serviteur muet dans une des chambres. Un curieux rosaire enfilé sur un fil en nylon de pêche. Comme pour la pêche au gros. Une saloperie qu’avait trouvée quelques années plus tôt Mme de Saint-Fort sous un banc de l’église Saint-Pierre-du-Gros-Caillou et qu’elle avait offert à Bonnot qui raffolait de ces trucs-là. Il avait même dit que ça faisait penser au « collier de perles » du tueur fou dont on parlait tant à l’époque. Et Toussaint s’est souvenu du rosaire quand Bonnot a décidé de tuer les filles. Il a dit que c’était super, que comme ça on mettrait les flics sur la piste de l’ancien tueur. D’ailleurs, puisqu’il bossait à la Criminelle, il se faisait fort d’orienter les soupçons sur une ancienne piste. Celle d’un prof. Et c’est pour ça qu’il m’a demandé de jouer le « témoin » après le premier crime. Moi, pour ma part, je trouvais ça risqué d’être le témoin de mon propre crime ; mais, lui, il trouvait ça génial. Sa putain de théorie « d’une pierre deux coups ». « Du grand art ! » qu’il disait, ce connard… Si vous ne l’aviez pas arrêté, je suis persuadé qu’il aurait continué de tuer avec son rosaire… Corinne y serait passée, et même la Sabrina qu’il ne pouvait pas souffrir à cause de son côté « meneuse de jeu » et qui manœuvrait pour le supplanter auprès de Bonnot. Mais, elle, c’était le fric qui allait avec qu’elle voulait.
Bonnot avait fait venir la petite Julie vers quatorze heures le 31 décembre. Toussaint lui avait soufflé qu’il fallait lui offrir un dernier plaisir.
– Julie ne voulait pas, mais Bonnot a fini de la persuader au bout d’une demi-heure en lui promettant que ça serait la dernière fois et qu’elle éviterait ainsi bien des ennuis à sa grande amie Angeline. Alors elle a cédé sans avoir conscience que sont arrêt de mort était signé. Bonnot l’a sautée difficilement – je veux dire qu’il a été long à venir –, puis il lui a dit : « Tire-toi, salope ! » Il m’a demandé devant elle de la raccompagner. Je savais ce que ça voulait dire. La gamine marchait vite, comme pour s’enfuir, et je lui ai laissé plusieurs mètres d’avance. J’ai pénétré dans le hall de son immeuble sur ses talons. Et hop ! dans le coin à côté de l’ascenseur… C’est vrai que ce rosaire est une arme hyperefficace et rapide ! Puis je suis ressorti… Oh ! je ne risquais pas grande-chose. Je suis toujours dans le quartier à aller d’un client à un autre. Il suffisait qu’il n’y ait personne à ce moment-là ou de remettre à plus.
– Mais Angeline a dû apprendre le meurtre de son amie par les informations à la télé ? Elle n’aurait pas dû sortir ce soir-là…
– Oui, mais elle ne pouvait pas en soupçonner l’origine. Et, c’est Sabrina Claron, à la demande de Toussaint, qui a convaincu Angeline et Corinne de sortir malgré tout ce soir-là, en hommage à Julie, pour faire comme si elle était toujours vivante. Et les parents ont insisté.
Les trois amies étaient donc sorties ensemble. Les prédateurs aux aguets. Car, cette fois-ci, Godino était accompagné de Toussaint. Ils attendraient une occasion où Angeline serait seule, soit sur le Champ de Mars, soit sur le chemin du retour.
Quand ils avaient vu Angeline quitter le groupe, ils l’avaient suivie de loin.
Elle s’était dirigée sur le côté vers l’allée Adrienne-Lecouvreur et l’avait remontée jusqu’au manège. Puis ils l’ont vue se diriger vers les massifs. Ils lui ont laissé une petite avance et y sont allés à leur tour.
Elle terminait de pisser à croupetons quand Harry Godino a surgi avec son complice. Elle s’est débattue. Toussaint lui tenait les jambes. Puis ça été fini.
– C’est pas un cri de femme qui risquait d’attirer qui que ce soit un soir comme ça…
Godino avait immédiatement pris la fuite en laissant le rosaire autour du cou de la petite.
Matthieu Toussaint, lui, avait préféré s’attarder.
– J’ai pas compris. Car les femmes, ce n’était pas son truc. Il en avait même une haine maladive. Mais, moi, je suis parti sans demander mon reste et en souhaitant même que ce dingue se fasse piquer…



© Alain Pecunia, 2009.
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