jeudi 10 décembre 2009

Noir Express : "Sous le signe du rosaire (Le retour)" (C. C. XIII) par Alain Pecunia, Chapitre 27

Chapitre 27





Les uns et les autres furent joints à leur domicile ou sur leur lieu de travail par le capitaine Isabelle Cavalier, qui leur demanda de se présenter au Quai des Orfèvres dans les plus brefs délais. Mais, s’ils le souhaitaient, elle pouvait envoyer sur leur lieu de travail des policiers. Ce qui fut très persuasif. Excepté pour M. Cangros, haut fonctionnaire à l’Unesco, qui ressortit du palais entre deux policiers. Ainsi que pour les Saint-Fort qui avaient prévu de rester en Touraine jusqu’à la fin du week-end et qu’il fallut également aller chercher.
Les huit adultes furent groupés par couple dans des pièces différentes au fur et à mesure de leur arrivée. En compagnie de deux policiers chacun. Certains le prenaient avec hauteur et d’autres excipaient leurs relations. Il y eut aussi quelques hauts cris.
Les Claron furent réunis à dix-huit heures. Les Cangros à dix-huit heures quinze et les Bernard une demi-heure plus tard.
Les Saint-Fort, eux, étaient attendus aux alentours de vingt et une heures.
À dix-neuf heures, Isabelle Cavalier se rendit d’une pièce à l’autre et, sans un mot, remit à chaque couple un jeu de photocopies d’un choix de photos.
Les policiers présents dans chacune des trois pièces les virent passer de la surprise à l’abattement. Il n’y eut ni cris ni pleurs. Excepté Mme Claron qui eut une crise de nerfs nécessitant l’intervention d’un médecin.
Les jeux d’adultes sont des jeux d’adultes. C’est leur problème. Mais la présence de mineures, leurs propres filles, les condamnait inexorablement.
« Dans leur monde », ils étaient finis. Ils avaient la brusque révélation d’être devenus en un instant des morts civils.
À vingt heures, Isabelle Cavalier les réunit, sans Mme Claron, dans une même salle, en présence du commissaire principal Derosier et de quatre autres policiers.
– Je n’ai qu’une seule question à poser. Qui a tué Julie et Angeline ?
Mme Bernard éclata en sanglots.
Les regards restèrent baissés.
– Bien, attendons ensemble les Saint-Fort. Ils seront peut-être plus bavards.
La tension devint insupportable dans la salle au fil des minutes. Mme Bernard devint de plus en plus agitée. Mais personne ne craqua.
Le commissaire Derosier était ressorti au bout d’un quart d’heure, entraînant le capitaine Cavalier pour s’entretenir avec elle.
– Nous n’arriverons à rien tant que nous n’aurons pas retrouvé le protagoniste principal, ce Bonnot.
Isabelle acquiesça.
– Je vais quand même essayer, dit-elle en retournant vers la salle.
Elle avait la main sur la poignée de la porte quand elle fut appelée au téléphone.
– Je prends dans mon bureau ! dit-elle.
C’était son mari qui était resté sur les lieux avec deux de ses hommes pour dénicher le passage secret ayant permis à Bernard Bonnot de s’esquiver.
Ils l’avaient trouvé difficilement, par les caves. Et, curieusement, ça donnait dans celles de l’immeuble jouxtant l’hôtel particulier sur le derrière. Où habitait Matthieu Toussaint.
Isabelle Cavalier eut un mauvais pressentiment.
– On a retrouvé Bonnot dans l’appartement de Toussaint. Mort. Étranglé avec le collier de perles. En fait, il s’agit d’un rosaire monté sur un fil de nylon de pêche. Il l’avait autour du cou. Mais garde l’information pour toi, je veux qu’on le croie encore vivant.
Isabelle resta un long moment prostrée dans son fauteuil. Elle ne savait plus quoi penser de cette affaire.
Un lieutenant vint lui annoncer vers vingt heures quarante-cinq l’arrivée des Saint-Fort.
– On les met où ? Avec les autres ?
– Non. Amenez-les ici.
Dès leur introduction, le capitaine Isabelle Cavalier leur indiqua d’un geste un jeu de photocopies de photos.
Hervé-Pierre de Saint-Fort se décomposa immédiatement et sa femme Louise-Marie s’effondra.
Isabelle Cavalier se leva.
– On va rejoindre les autres, dit-elle simplement.
Quand Cavalier pénétra dans la pièce avec les Saint-Fort, la tension fut à son comble.
– Bon, dit-elle, nous allons pouvoir en finir. M. Bernard Bonnot vient d’être arrêté et il souhaite passer aux aveux…
Elle marqua une pause et considéra un à un son petit monde.
– Si vous voulez mon avis, par expérience, je puis vous assurer que le premier qui parle cherche toujours à enfoncer les autres…
Il y eut comme un frémissement chez les sept. Mais ça n’éclata pas en confession spontanée.
– C’est pas grave, dit Cavalier sur un ton badin, entre Bernard Bonnot, Sabrina et Corinne, nous aurons vite fait le tour de la vérité.
Nouveau frémissement.
Mais la petite phrase avait eu le temps de faire son bonhomme de chemin et produisait son effet.
« …le premier qui parle cherche toujours à enfoncer les autres… »
Enfoncer ou être enfoncé. Pour nombre d’hommes, ce n’est même pas un dilemme. Juste une alternative au choix évident.
Mme de Saint-Fort fut la première à prendre la parole. D’une voix récitative de tragédie grecque.
– Bernard (elle parlait du préfet Bonnot) a beaucoup changé depuis qu’il a hérité de la fortune de son père il y a deux ans. Il est devenu beaucoup plus tyrannique et obsédé par la recherche de sensations nouvelles. Il s’est cru tout permis.
Le capitaine Cavalier haussa les sourcils de surprise. C’était déjà pas mal avant.
– C’est peu de temps après avoir emménagé dans l’hôtel de son père que ça a commencé à déraper. Lorsque Harry Godino lui a présenté Matthieu Toussaint et qu’ils sont devenus amants…
C’était beaucoup d’informations nouvelles en bien peu de temps pour Isabelle Cavalier.
Harry Godino était l’ex-flic reconverti dans la télésurveillance.
– C’est alors que Bernard a commencé de se contenter exclusivement du rôle de voyeur et d’organisateur de plus en plus impérieux de nos soirées…
– Une sorte de metteur en scène pour des soirées sado-maso ? la coupa Isabelle Cavalier.
– Si vous voulez, répondit Mme de Saint-Fort en haussant les épaules.
– Et MM. Godino et Toussaint, là-dedans ?
– Harry Godino était le technicien. Celui qui avait installé le matériel de prise de vues et d’enregistrement. Il devait se branler, dit-elle crûment, en visionnant les bandes après. Toussaint, lui, il nous regardait avec Bernard et ils finissaient toujours par se masturber ensemble ou à se sucer. Mais ce Toussaint est une ordure. Un type qui hait les femmes et aime les humilier. Un sadique, si vous préférez.
Isabelle Cavalier décelait dans le ton de Mme de Saint-Fort le dépit de l’amante longtemps préférée de Bonnot, qui s’était prêtée avec complaisance à tous ses ébats et qui s’était vu supplanter et délaisser pour une petite frappe homo.
Les hommes semblaient gênés et gardaient le regard fuyant. Mais c’était pure hypocrisie. Le récit de Mme de Saint-Fort accusait Matthieu Toussaint et les dédouanait des meurtres.
Les deux autres femmes, elles, la cousine de Mme de Saint-Fort, c’est-à-dire Mme Cangros, haut fonctionnaire au ministère de l’Éducation nationale, et Mme Bernard, hochaient parfois la tête comme pour confirmer la véracité du récit de leur amie et partenaire.
Mais le lieutenant Toussaint était mort et il ne pourrait jamais infirmer ni confirmer quoi que ce soit. Idem pour Bernard Bonnot. Mais l’assassin de ce dernier n’était pas identifié et risquait fort d’être le meurtrier d’une des deux victimes.
Bernard Bonnot avait été tué pour qu’il ne parle pas, et le tueur, en abandonnant l’arme du crime, le « collier de perles », autour du cou de sa victime, avait pour ainsi dire laissé un message.
Il n’y aurait pas d’autre meurtre.
– Quels étaient les rapports entre Godino et Toussaint ?
– Je ne pourrais pas vous dire, répondit Mme de Saint-Fort comme si elle avait acquis le statut de porte-parole du groupe. Mais c’étaient tous les deux des détraqués.
– Mais pourquoi votre fille Angeline et Julie Bernard ont-elles été assassinées ?
Mme de Saint-Fort regarda son mari puis se mura dans le silence.
Isabelle Cavalier soupira.
– Mme Bernard, vous pourriez peut-être me dire, maintenant, avec qui votre fille avait rendez-vous ce lundi après-midi ?
– Bonnot avait souhaité la voir seule, répondit la mère de la petite victime d’une voix sépulcrale.
Le capitaine Isabelle Cavalier hocha silencieusement la tête.
Les quatre autres policiers présents dans la salle étaient restés comme statufiés durant tout le temps qu’avait duré cet interrogatoire collectif.



© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.

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