Chapitre 32
Pierre Cavalier partit de chez lui vers dix-huit heures trente, juste au moment où Isabelle arrivait après être passée prendre la petite chez la baby-sitter du premier.
Après avoir embrassé tendrement sa femme et sa fille. En y mettant encore plus de tendresse que d’habitude.
– On m’a appelé. Il y a peut-être une piste, dit-il simplement en guise d’explication et pour soulager sa mauvaise conscience à l’égard d’Isa.
À vingt heures dix, il pénétra discrètement dans le sous-marin.
Il rejoignait l’équipe de nuit.
L’équipe de jour avait transmis deux nouveaux va-et-vient d’un jeune. Qui était revenu à chaque fois avec deux grands sacs de ce qui semblait être des provisions.
– Ou d’autre chose, commenta machinalement Pierre Cavalier sans penser à rien de précis.
Dans le fourgon aménagé en sous-marin et bourré de matériel divers d’écoute et de transmissions, régnait une odeur de sueur, de tabac et de cochonnaille.
Les transmissions pouvaient servir, mais pas l’écoute.
Cavalier avait renoncé à sonoriser la ruine servant de planque. Aucun de ses hommes engagés dans l’action ne comprenant un traître mot d’arabe.
L’équipe de trois hommes lui avait fait un peu de place. Mais c’était malgré tout étroit pour quatre.
Mais ils étaient contents que le commandant soit avec eux.
Pour Cavalier, c’était une question de point d’honneur.
Il voulait partager leur sale boulot et leur montrer qu’il en assumait toute la responsabilité.
À vingt et une heures, il accepta un sandwich au saucisson à l’ail et une bière blonde.
L’équipe s’installait pour la surveillance de nuit.
À présent, peut-être qu’avec un peu de chance et grâce à l’agitation de la DST, quelque chose allait bouger.
– Tiens ! en voilà un, dit le guetteur.
Pierre Cavalier regarda à travers la vitre sans tain.
C’était un des jeunes qui sortait de la boutique murée. Il venait de derrière le petit immeuble.
Ils le virent repasser une heure plus tard. Avec deux grands sacs de voyage, cette fois.
Merde ! une patrouille de police en voiture s’était mise à rouler au ralenti à sa hauteur.
– Pourvu qu’ils ne l’interpellent pas, ces cons ! dit le guetteur.
Le jeune la jouait naturel et eut le culot d’adresser un léger sourire aux occupants de la voiture de police.
Celle-ci accéléra et se désintéressa du jeune au moment même où il atteignait le petit immeuble condamné.
Il y eut un soupir de soulagement général dans le sous-marin.
Nouvelle alerte vers vingt-deux heures quarante-cinq.
Un nouvel arrivant. Qui fut identifié comme étant « Momo » selon la description fournie par la femme de Roger Bangros.
La pression monta d’un cran dans le sous-marin.
À minuit cinq, ce fut l’arrivée de Mourad.
Deux crans d’un coup, cette fois.
Pour bouger, ça bougeait.
Les trois hommes de l’équipe étaient devenus fébriles.
Le commandant Cavalier était satisfait de ne s’être pas trompé. Mais il ne partageait pas leur excitation.
L’attente fut ensuite longue.
Roger Bangros n’arriva pas avant deux heures et demie.
– Bingo ! dit le guetteur d’une voix étouffée.
Les trois hommes s’étaient tournés vers le commandant.
« Qu’est-ce qu’on fait ? » demandaient leurs regards.
Cavalier déglutit sa salive.
– On y va ! dit-il d’une voix qu’il aurait souhaitée plus assurée.
Il regarda une dernière fois à travers la vitre sans tain et se tourna vers l’artificier qui sortait d’un étui une télécommande.
– Passe-la-moi, lui dit-il en lui tendant la main.
L’homme marqua une légère hésitation et la lui tendit sous le regard étonné de ses deux camarades.
– Avant, on se déplace un peu. Ça vaut mieux.
L’un des hommes se mit au volant et dégagea le fourgon pour aller se garer une cinquantaine de mètres plus bas. En double file.
Par la vitre arrière, Cavalier constata que rien n’avait bougé.
Il se tourna vers ses hommes et arma la télécommande.
– Il y a juste ce qu’il faut ? demanda-t-il par acquis de conscience à l’artificier.
Celui-ci hocha la tête affirmativement.
– Comme vous me l’avez demandé, commandant.
Pierre Cavalier déclencha l’explosion.
Qui ne fut pas « juste ce qu’il faut ».
Même le fourgon fut fortement ébranlé par la violence de l’explosion.
Il ne restait rien de l’immeuble désaffecté sinon un tas de gravats.
Pas grand-chose, non plus, des voitures garées sur une trentaine de mètres de part et d’autre de la chaussée.
Sur la gauche de l’immeuble effondré, la supérette n’avait plus de vitrine et son toit s’écroula sur les linéaires. Sur sa droite, un autre immeuble condamné et voué également à la démolition, séparé par une impasse, s’effondra à demi sur toute sa largeur, verticalement.
Le fourgon de Cavalier dégagea au plus vite. L’artificier ne cessant de répéter :
– Je ne comprends pas, il y avait juste ce qu’il faut…
Au milieu d’un silence lugubre.
Puis Pierre Cavalier, d’abord « sonné », finit par comprendre que les jeunes avaient dû transporter des explosifs dans la boutique au cours de leurs va-et-vient. Ce qui n’avait pas été envisagé et dont on ignorerait à jamais l’usage éventuel.
© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.
Pierre Cavalier partit de chez lui vers dix-huit heures trente, juste au moment où Isabelle arrivait après être passée prendre la petite chez la baby-sitter du premier.
Après avoir embrassé tendrement sa femme et sa fille. En y mettant encore plus de tendresse que d’habitude.
– On m’a appelé. Il y a peut-être une piste, dit-il simplement en guise d’explication et pour soulager sa mauvaise conscience à l’égard d’Isa.
À vingt heures dix, il pénétra discrètement dans le sous-marin.
Il rejoignait l’équipe de nuit.
L’équipe de jour avait transmis deux nouveaux va-et-vient d’un jeune. Qui était revenu à chaque fois avec deux grands sacs de ce qui semblait être des provisions.
– Ou d’autre chose, commenta machinalement Pierre Cavalier sans penser à rien de précis.
Dans le fourgon aménagé en sous-marin et bourré de matériel divers d’écoute et de transmissions, régnait une odeur de sueur, de tabac et de cochonnaille.
Les transmissions pouvaient servir, mais pas l’écoute.
Cavalier avait renoncé à sonoriser la ruine servant de planque. Aucun de ses hommes engagés dans l’action ne comprenant un traître mot d’arabe.
L’équipe de trois hommes lui avait fait un peu de place. Mais c’était malgré tout étroit pour quatre.
Mais ils étaient contents que le commandant soit avec eux.
Pour Cavalier, c’était une question de point d’honneur.
Il voulait partager leur sale boulot et leur montrer qu’il en assumait toute la responsabilité.
À vingt et une heures, il accepta un sandwich au saucisson à l’ail et une bière blonde.
L’équipe s’installait pour la surveillance de nuit.
À présent, peut-être qu’avec un peu de chance et grâce à l’agitation de la DST, quelque chose allait bouger.
– Tiens ! en voilà un, dit le guetteur.
Pierre Cavalier regarda à travers la vitre sans tain.
C’était un des jeunes qui sortait de la boutique murée. Il venait de derrière le petit immeuble.
Ils le virent repasser une heure plus tard. Avec deux grands sacs de voyage, cette fois.
Merde ! une patrouille de police en voiture s’était mise à rouler au ralenti à sa hauteur.
– Pourvu qu’ils ne l’interpellent pas, ces cons ! dit le guetteur.
Le jeune la jouait naturel et eut le culot d’adresser un léger sourire aux occupants de la voiture de police.
Celle-ci accéléra et se désintéressa du jeune au moment même où il atteignait le petit immeuble condamné.
Il y eut un soupir de soulagement général dans le sous-marin.
Nouvelle alerte vers vingt-deux heures quarante-cinq.
Un nouvel arrivant. Qui fut identifié comme étant « Momo » selon la description fournie par la femme de Roger Bangros.
La pression monta d’un cran dans le sous-marin.
À minuit cinq, ce fut l’arrivée de Mourad.
Deux crans d’un coup, cette fois.
Pour bouger, ça bougeait.
Les trois hommes de l’équipe étaient devenus fébriles.
Le commandant Cavalier était satisfait de ne s’être pas trompé. Mais il ne partageait pas leur excitation.
L’attente fut ensuite longue.
Roger Bangros n’arriva pas avant deux heures et demie.
– Bingo ! dit le guetteur d’une voix étouffée.
Les trois hommes s’étaient tournés vers le commandant.
« Qu’est-ce qu’on fait ? » demandaient leurs regards.
Cavalier déglutit sa salive.
– On y va ! dit-il d’une voix qu’il aurait souhaitée plus assurée.
Il regarda une dernière fois à travers la vitre sans tain et se tourna vers l’artificier qui sortait d’un étui une télécommande.
– Passe-la-moi, lui dit-il en lui tendant la main.
L’homme marqua une légère hésitation et la lui tendit sous le regard étonné de ses deux camarades.
– Avant, on se déplace un peu. Ça vaut mieux.
L’un des hommes se mit au volant et dégagea le fourgon pour aller se garer une cinquantaine de mètres plus bas. En double file.
Par la vitre arrière, Cavalier constata que rien n’avait bougé.
Il se tourna vers ses hommes et arma la télécommande.
– Il y a juste ce qu’il faut ? demanda-t-il par acquis de conscience à l’artificier.
Celui-ci hocha la tête affirmativement.
– Comme vous me l’avez demandé, commandant.
Pierre Cavalier déclencha l’explosion.
Qui ne fut pas « juste ce qu’il faut ».
Même le fourgon fut fortement ébranlé par la violence de l’explosion.
Il ne restait rien de l’immeuble désaffecté sinon un tas de gravats.
Pas grand-chose, non plus, des voitures garées sur une trentaine de mètres de part et d’autre de la chaussée.
Sur la gauche de l’immeuble effondré, la supérette n’avait plus de vitrine et son toit s’écroula sur les linéaires. Sur sa droite, un autre immeuble condamné et voué également à la démolition, séparé par une impasse, s’effondra à demi sur toute sa largeur, verticalement.
Le fourgon de Cavalier dégagea au plus vite. L’artificier ne cessant de répéter :
– Je ne comprends pas, il y avait juste ce qu’il faut…
Au milieu d’un silence lugubre.
Puis Pierre Cavalier, d’abord « sonné », finit par comprendre que les jeunes avaient dû transporter des explosifs dans la boutique au cours de leurs va-et-vient. Ce qui n’avait pas été envisagé et dont on ignorerait à jamais l’usage éventuel.
© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.
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