Chapitre 19
Quelques heures plus tôt, une demi-heure après le départ de sa femme et de sa fille, le commandant Cavalier ne fut pas surpris d’entendre sonner à la porte de son appartement.
Ni d’ouvrir à deux de ses collègues de la rue des Saussaies, dont l’un était son supérieur direct. Des « fidèles » de Pierre-Marie de Laneureuville, ancien pilier de la maison, grand manitou des basses œuvres de la République et actuel ministre de la Justice*.
– Il me semble qu’il y a un problème, jeta le commissaire divisionnaire Leprot, son supérieur, à peine la porte refermée.
Pierre s’y attendait et savait qu’il n’était pas aussi brillant que sa femme dans l’improvisation.
– Il me semble aussi que vous me devez des explications, ajouta le commissaire devant le silence de Cavalier. Pas sur leur destination, car nous avons intercepté une communication téléphonique de votre femme qui nous a informés sur ce point. Mais sur son objectif et votre rôle dans ce merdier.
Si Pierre Cavalier n’avait pu empêcher sa femme de mettre son projet à exécution, il en avait au moins deviner les grandes lignes après leur discussion de l’avant-veille au soir.
En ayant les principaux protagonistes sous la main – Patrice Dutour pour être le « fils de » et Phil parce qu’il en savait trop, ainsi que sa fille, ce qui empêchait toute menace de rétorsion –, Isabelle avait les principaux atouts en main. « Surtout, se dit-il, si elle a pris des garanties par ailleurs. »
Elle voulait ouvrir une négociation. C’était l’évidence même.
Le divisionnaire Leprot s’impatientait.
Le commandant Cavalier décida de jouer son va-tout.
– Je n’en parlerai qu’au ministre, dit-il calmement. Mais c’est mon idée et non celle de ma femme, et je crois qu’elle lui plaira.
Le commissaire lui jeta un regard mauvais.
– Mon petit vieux, vous avez vraiment intérêt à ce qu’elle lui plaise ! dit-il rageusement avant de composer un numéro de téléphone.
Ce fut une brève suite de « Oui, monsieur », « Non, monsieur », « Bien sûr, monsieur », dès que la communication fut établie.
Pierre Cavalier se moquait en lui-même de la servilité de son divisionnaire.
Celui-ci regarda sa montre.
– Nous avons rendez-vous dans une heure place Vendôme.
Place Vendôme, c’est le ministère de la Justice.
Tout à côté, c’est le Ritz. Dont le bar « Vendôme » est bien pratique pour les rendez-vous discrets.
Trois quarts d’heure plus tard, Pierre Cavalier se retrouva donc confortablement assis dans un fauteuil-club en cuir luxueux du bar « Vendôme ». Dans le coin non-fumeurs. En la seule compagnie du divisionnaire, l’autre « collègue » ayant pris place dans un des fauteuils de la galerie à la droite de l’entrée du bar.
Noblesse oblige – vraie ou usurpée –, Laneureuville se présenta ponctuellement un quart d’heure plus tard.
D’un geste impatient, il congédia le divisionnaire et attendit fort civilement que son champagne habituel lui fût servi avant d’engager le fer.
– Alors, Pierre ? fit-il avec morgue.
Le commandant Cavalier s’était juré promis de baiser cet enfoiré d’éminence grise barbouzarde. Seule manière, à ses yeux, de retrouver grâce auprès de sa femme.
– Monsieur, commença-t-il d’un ton ferme mais assourdi pour n’être entendu que de Laneureuville, j’ai pris sur moi de mettre qui vous savez sous protection rapprochée…
Le ministre restait de marbre et attendait la suite impatiemment, contrôlant son étonnement.
– En effet, des informations me sont parvenues en temps utile qui m’ont fait craindre pour la vie de notre protégé…
Un sourcil du barbouzard s’arqua derrière ses lunettes de myope qui lui dévoraient le visage et lui donnaient le faux air d’un paisible professeur Tournesol.
– Un groupe incontrôlé semble vouloir s’en prendre à lui et aux témoins de son existence pour annuler le bénéfice que vous souhaitez en retirer.
– Je les connais ? demanda sèchement Laneureuville par vieux réflexe « professionnel ».
– Non, monsieur. Ni moi non plus, d’ailleurs. Mais les informations qui me sont parvenues m’ont fait craindre le pire et j’ai pris sur moi de demander au capitaine Cavalier…
Pierre se rendait compte que Pierre-Marie de Laneureuville ne croyait pas un traître mot de ce qu’il disait. Mais il existe des jeux où la règle veut que l’on fasse semblant.
Pour ne pas perdre la face.
Le regard de Laneureuville lançait des lueurs mortelles. Totalement impuissantes. Pour l’instant, du moins.
– Si vous me le permettez, monsieur, reprit le commandant Cavalier posément, sur le ton du subalterne prêt à rendre un immense service et à consentir un gros sacrifice, je vais régler ce problème dans les plus brefs délais. Afin d’assainir la donne, si vous voyez ce que je veux dire…
Le garde des Sceaux, ministre de la Justice, se sentait près d’exploser de fureur devant ce petit con prétentieux et incontrôlable qu’il aurait peut-être dû éliminer au lieu d’essayer de l’utiliser.
– Rapidement, alors ! jeta le ministre tout en se levant.
Et sans avoir toucher sa flûte de champagne.
Pierre Cavalier s’offrit le luxe de la vider. Il adorait le Dom Pérignon. Isabelle aussi, d’ailleurs. Mais il ne pouvait tout de même pas quitter le bar la bouteille à la main pour aller la rejoindre.
On peut commander du Coca au Ritz. On ne « chourave » pas une bouteille de champ.
Quelques heures plus tôt, une demi-heure après le départ de sa femme et de sa fille, le commandant Cavalier ne fut pas surpris d’entendre sonner à la porte de son appartement.
Ni d’ouvrir à deux de ses collègues de la rue des Saussaies, dont l’un était son supérieur direct. Des « fidèles » de Pierre-Marie de Laneureuville, ancien pilier de la maison, grand manitou des basses œuvres de la République et actuel ministre de la Justice*.
– Il me semble qu’il y a un problème, jeta le commissaire divisionnaire Leprot, son supérieur, à peine la porte refermée.
Pierre s’y attendait et savait qu’il n’était pas aussi brillant que sa femme dans l’improvisation.
– Il me semble aussi que vous me devez des explications, ajouta le commissaire devant le silence de Cavalier. Pas sur leur destination, car nous avons intercepté une communication téléphonique de votre femme qui nous a informés sur ce point. Mais sur son objectif et votre rôle dans ce merdier.
Si Pierre Cavalier n’avait pu empêcher sa femme de mettre son projet à exécution, il en avait au moins deviner les grandes lignes après leur discussion de l’avant-veille au soir.
En ayant les principaux protagonistes sous la main – Patrice Dutour pour être le « fils de » et Phil parce qu’il en savait trop, ainsi que sa fille, ce qui empêchait toute menace de rétorsion –, Isabelle avait les principaux atouts en main. « Surtout, se dit-il, si elle a pris des garanties par ailleurs. »
Elle voulait ouvrir une négociation. C’était l’évidence même.
Le divisionnaire Leprot s’impatientait.
Le commandant Cavalier décida de jouer son va-tout.
– Je n’en parlerai qu’au ministre, dit-il calmement. Mais c’est mon idée et non celle de ma femme, et je crois qu’elle lui plaira.
Le commissaire lui jeta un regard mauvais.
– Mon petit vieux, vous avez vraiment intérêt à ce qu’elle lui plaise ! dit-il rageusement avant de composer un numéro de téléphone.
Ce fut une brève suite de « Oui, monsieur », « Non, monsieur », « Bien sûr, monsieur », dès que la communication fut établie.
Pierre Cavalier se moquait en lui-même de la servilité de son divisionnaire.
Celui-ci regarda sa montre.
– Nous avons rendez-vous dans une heure place Vendôme.
Place Vendôme, c’est le ministère de la Justice.
Tout à côté, c’est le Ritz. Dont le bar « Vendôme » est bien pratique pour les rendez-vous discrets.
Trois quarts d’heure plus tard, Pierre Cavalier se retrouva donc confortablement assis dans un fauteuil-club en cuir luxueux du bar « Vendôme ». Dans le coin non-fumeurs. En la seule compagnie du divisionnaire, l’autre « collègue » ayant pris place dans un des fauteuils de la galerie à la droite de l’entrée du bar.
Noblesse oblige – vraie ou usurpée –, Laneureuville se présenta ponctuellement un quart d’heure plus tard.
D’un geste impatient, il congédia le divisionnaire et attendit fort civilement que son champagne habituel lui fût servi avant d’engager le fer.
– Alors, Pierre ? fit-il avec morgue.
Le commandant Cavalier s’était juré promis de baiser cet enfoiré d’éminence grise barbouzarde. Seule manière, à ses yeux, de retrouver grâce auprès de sa femme.
– Monsieur, commença-t-il d’un ton ferme mais assourdi pour n’être entendu que de Laneureuville, j’ai pris sur moi de mettre qui vous savez sous protection rapprochée…
Le ministre restait de marbre et attendait la suite impatiemment, contrôlant son étonnement.
– En effet, des informations me sont parvenues en temps utile qui m’ont fait craindre pour la vie de notre protégé…
Un sourcil du barbouzard s’arqua derrière ses lunettes de myope qui lui dévoraient le visage et lui donnaient le faux air d’un paisible professeur Tournesol.
– Un groupe incontrôlé semble vouloir s’en prendre à lui et aux témoins de son existence pour annuler le bénéfice que vous souhaitez en retirer.
– Je les connais ? demanda sèchement Laneureuville par vieux réflexe « professionnel ».
– Non, monsieur. Ni moi non plus, d’ailleurs. Mais les informations qui me sont parvenues m’ont fait craindre le pire et j’ai pris sur moi de demander au capitaine Cavalier…
Pierre se rendait compte que Pierre-Marie de Laneureuville ne croyait pas un traître mot de ce qu’il disait. Mais il existe des jeux où la règle veut que l’on fasse semblant.
Pour ne pas perdre la face.
Le regard de Laneureuville lançait des lueurs mortelles. Totalement impuissantes. Pour l’instant, du moins.
– Si vous me le permettez, monsieur, reprit le commandant Cavalier posément, sur le ton du subalterne prêt à rendre un immense service et à consentir un gros sacrifice, je vais régler ce problème dans les plus brefs délais. Afin d’assainir la donne, si vous voyez ce que je veux dire…
Le garde des Sceaux, ministre de la Justice, se sentait près d’exploser de fureur devant ce petit con prétentieux et incontrôlable qu’il aurait peut-être dû éliminer au lieu d’essayer de l’utiliser.
– Rapidement, alors ! jeta le ministre tout en se levant.
Et sans avoir toucher sa flûte de champagne.
Pierre Cavalier s’offrit le luxe de la vider. Il adorait le Dom Pérignon. Isabelle aussi, d’ailleurs. Mais il ne pouvait tout de même pas quitter le bar la bouteille à la main pour aller la rejoindre.
On peut commander du Coca au Ritz. On ne « chourave » pas une bouteille de champ.
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