Chapitre 10
Le lendemain de cette entrevue mystérieuse dans l’appartement des Dutour, le mardi 21 octobre, dans la soirée, le commandant Pierre Cavalier, de la Direction centrale des Renseignements généraux, tournait en rond dans l’appartement.
Isa allait rentrait d’un instant à l’autre et il ne savait toujours pas comment il allait s’acquitter de sa mission auprès de sa femme.
Il avait déjà couché leur fille Philippine pour être plus serein quand Isabelle arriverait.
Évidemment, la hiérarchie « parallèle » qui s’occupait de cette sale histoire lui avait refilé le bébé.
– Ce sera simple pour vous de briefer votre femme. Vous aurez plus facilement barre sur elle que n’importe qui d’autre. De toute façon, nous n’avons pas le choix… Et vous non plus, puisque vous appartenez à la section des « affaires spéciales »…
Il ne se voyait pas mentir à sa femme.
De toute façon, elle lisait en lui comme à livre ouvert et le connaissait mieux qu’il ne pourrait jamais se connaître.
Pourtant, il ne devait pas tout lui dire. Seulement le nécessaire pour qu’elle referme ce putain de dossier et oublie y avoir fourré son nez.
Quand elle rentra et se précipita pour se blottir dans ses bras, il crut qu’il n’y parviendrait jamais. Mais, comme il tirait sa tronche des mauvais jours, elle devina qu’il avait une mauvaise nouvelle à lui annoncer ou qu’il avait passé une journée pourrie.
Elle stoppa son élan amoureux et lui lança :
– Vas-y, annonce !
Il n’aimait pas du tout quand les explications avec Isa débutaient de cette façon. Cela n’augurait rien de bon pour la suite. Surtout pour lui.
Il avala sa salive.
– Voilà, ça concerne le service, et c’est très sérieux…, commença-t-il.
– T’es déjà viré ou muté dans une de nos belles provinces ? le coupa-t-elle, amère.
Il grimaça.
– Non. Ça te concerne.
Isabelle était interloquée. Elle ne comprenait pas.
– Je suis sanctionnée pour mon boulot désastreux, cette saloperie d’enquête où je ne suis parvenue à rien ?
Il sourit légèrement.
– Non. Disons que cet aspect-là a plutôt été vu favorablement…
Elle se demanda un instant si son mari se moquait d’elle. Pourtant, ce n’était pas son genre. Il savait combien elle pouvait être susceptible.
Elle suspecta soudain le coup fourré.
Il n’était pas normal que l’on confie une enquête aussi lourde à un simple capitaine de la Crim.
Si on l’avait fait, c’était dans l’espoir qu’elle n’aboutisse pas, qu’elle se plante royalement.
Le capitaine Isabelle Cavalier détestait par-dessus tout être manipulée.
Elle s’assit dans son fauteuil préféré. Posa ses mains bien à plat sur les accoudoirs de cuir et défia son mari du regard.
– Alors, c’est quoi comme saloperie ? Quel type de manip, cette fois ? Quel coup tordu ou embrouille pourrie ?
Ce que Pierre Cavalier supportait le moins chez sa femme, c’était cette façon bien particulière à elle de sentir et de deviner les choses.
À voir l’air confus et penaud de son mari, Isabelle sut qu’elle avait touché juste.
– Coulé ! lâcha-t-elle sarcastiquement.
« Oh ! et puis merde ! » se dit Pierre Cavalier avant de se lancer dans son explication confuse.
– Il s’agit de la raison d’État…, commença-t-il.
– On connaît ! le coupa-t-elle sèchement. On donne même souvent, que ce soit à droite ou à gauche. Alors, de quel côté cette fois ?
– Les deux, répondit Pierre en fermant les yeux.
Quand il les rouvrit, Isabelle était tout sourire. Ce qui l’inquiéta.
Il se sentait dans ses petits souliers pour la suite.
– Voilà, poursuivit-il la gorge sèche. Il faut que tu boucles ton dossier en cours et que tu l’oublies… L’affaire est enterrée… Ordre d’en haut…
Il n’aimait pas cette lueur d’ironie sarcastique dans son regard.
– D’en haut ? Et c’est qui « d’en haut » ?
– Écoute, Isa, tu sais bien que…
– Non ! le coupa-t-elle rageusement. « D’en haut », moi je ne connais pas ! Je suis au service de la justice, pas « d’en haut »… Il existe un code de procédure pénale, etc. Alors, ton « d’en haut », rien à foutre !
– Écoute…
– Non !
– Ça vient de très haut… de très très haut…
– De Dieu le Père, peut-être ?
– Presque.
Un long silence s’instaura entre eux. Isabelle croisant et décroisant ses jambes nerveusement. Pierre contemplant la pointe de ses chaussures.
– Écoute, Pierre. Il existe une voie hiérarchique. Moi, je transmets. Après, ils décideront. Par ailleurs, tu es au RG, affecté aux affaires sensibles, d’accord. Mais ça ne te donne pas le droit d’exercer une pression quelconque sur un officier de police judiciaire qui fait son boulot.
– Mais c’est un ordre, Isa, tenta-t-il piteusement.
– Alors, qu’il soit écrit et signé !
Pierre se sentait épuisé.
– Mais tu sais que c’est impossible. Il y a trop d’enjeux…
– Vos combines de police politique ne m’intéressent pas. Vous en avez le cerveau embrumé. Vous virez parano aux RG. Bientôt ce sera pire qu’à la DST. Il faut le faire !
Isabelle s’était levée et tournait autour de la table du salon en défiant son mari du regard. En vain, car le sien ne quittait pas la pointe de ses chaussures.
– Alors, tu m’expliques comme à une grande fille ou tu vas te faire foutre ! Je n’ai pas envie que mon mari suive les pas de son géniteur et de ton salopard de Laneureuville*, d’accord ?
– C’est impossible, Isa, dit-il sans lever la tête de crainte de croiser son regard. Je ne peux t’en dire plus… je n’en ai pas le droit. C’est vraiment explosif comme truc… C’est pour te protéger…
– Me protéger ? Tu me fais des menaces, maintenant ? Mon mari joue les petits commissionnaires « d’en haut » et me fait des menaces sous notre propre toit ! Mais tu déconnes, Pierre !… Et pourquoi, d’ailleurs, n’ont-ils pas pris quelqu’un d’autre pour faire cette petite commission ?
– Ils ont pensé que j’étais le mieux à même…
– Qu’est-ce qu’ils peuvent être cons !
Isabelle arrêta son mouvement tournant et se figea les bras croisés sur la poitrine devant son mari.
– Ne me rends pas la tâche plus difficile, lui dit-il en levant vers elle un regard suppliant.
– Alors explique-toi vraiment, concéda-t-elle, son pied droit tapotant nerveusement le sol.
Le commandant Pierre Cavalier avala plusieurs fois sa salive et soupira.
– Voilà. Il ne faut pas qu’on puisse remonter à une certaine personne… le criminel, si tu veux…
– De mieux en mieux, mon chéri. Continue !
– C’est tout.
– Parce que « vous », vous connaissez le criminel ?
– Oui.
Le lendemain de cette entrevue mystérieuse dans l’appartement des Dutour, le mardi 21 octobre, dans la soirée, le commandant Pierre Cavalier, de la Direction centrale des Renseignements généraux, tournait en rond dans l’appartement.
Isa allait rentrait d’un instant à l’autre et il ne savait toujours pas comment il allait s’acquitter de sa mission auprès de sa femme.
Il avait déjà couché leur fille Philippine pour être plus serein quand Isabelle arriverait.
Évidemment, la hiérarchie « parallèle » qui s’occupait de cette sale histoire lui avait refilé le bébé.
– Ce sera simple pour vous de briefer votre femme. Vous aurez plus facilement barre sur elle que n’importe qui d’autre. De toute façon, nous n’avons pas le choix… Et vous non plus, puisque vous appartenez à la section des « affaires spéciales »…
Il ne se voyait pas mentir à sa femme.
De toute façon, elle lisait en lui comme à livre ouvert et le connaissait mieux qu’il ne pourrait jamais se connaître.
Pourtant, il ne devait pas tout lui dire. Seulement le nécessaire pour qu’elle referme ce putain de dossier et oublie y avoir fourré son nez.
Quand elle rentra et se précipita pour se blottir dans ses bras, il crut qu’il n’y parviendrait jamais. Mais, comme il tirait sa tronche des mauvais jours, elle devina qu’il avait une mauvaise nouvelle à lui annoncer ou qu’il avait passé une journée pourrie.
Elle stoppa son élan amoureux et lui lança :
– Vas-y, annonce !
Il n’aimait pas du tout quand les explications avec Isa débutaient de cette façon. Cela n’augurait rien de bon pour la suite. Surtout pour lui.
Il avala sa salive.
– Voilà, ça concerne le service, et c’est très sérieux…, commença-t-il.
– T’es déjà viré ou muté dans une de nos belles provinces ? le coupa-t-elle, amère.
Il grimaça.
– Non. Ça te concerne.
Isabelle était interloquée. Elle ne comprenait pas.
– Je suis sanctionnée pour mon boulot désastreux, cette saloperie d’enquête où je ne suis parvenue à rien ?
Il sourit légèrement.
– Non. Disons que cet aspect-là a plutôt été vu favorablement…
Elle se demanda un instant si son mari se moquait d’elle. Pourtant, ce n’était pas son genre. Il savait combien elle pouvait être susceptible.
Elle suspecta soudain le coup fourré.
Il n’était pas normal que l’on confie une enquête aussi lourde à un simple capitaine de la Crim.
Si on l’avait fait, c’était dans l’espoir qu’elle n’aboutisse pas, qu’elle se plante royalement.
Le capitaine Isabelle Cavalier détestait par-dessus tout être manipulée.
Elle s’assit dans son fauteuil préféré. Posa ses mains bien à plat sur les accoudoirs de cuir et défia son mari du regard.
– Alors, c’est quoi comme saloperie ? Quel type de manip, cette fois ? Quel coup tordu ou embrouille pourrie ?
Ce que Pierre Cavalier supportait le moins chez sa femme, c’était cette façon bien particulière à elle de sentir et de deviner les choses.
À voir l’air confus et penaud de son mari, Isabelle sut qu’elle avait touché juste.
– Coulé ! lâcha-t-elle sarcastiquement.
« Oh ! et puis merde ! » se dit Pierre Cavalier avant de se lancer dans son explication confuse.
– Il s’agit de la raison d’État…, commença-t-il.
– On connaît ! le coupa-t-elle sèchement. On donne même souvent, que ce soit à droite ou à gauche. Alors, de quel côté cette fois ?
– Les deux, répondit Pierre en fermant les yeux.
Quand il les rouvrit, Isabelle était tout sourire. Ce qui l’inquiéta.
Il se sentait dans ses petits souliers pour la suite.
– Voilà, poursuivit-il la gorge sèche. Il faut que tu boucles ton dossier en cours et que tu l’oublies… L’affaire est enterrée… Ordre d’en haut…
Il n’aimait pas cette lueur d’ironie sarcastique dans son regard.
– D’en haut ? Et c’est qui « d’en haut » ?
– Écoute, Isa, tu sais bien que…
– Non ! le coupa-t-elle rageusement. « D’en haut », moi je ne connais pas ! Je suis au service de la justice, pas « d’en haut »… Il existe un code de procédure pénale, etc. Alors, ton « d’en haut », rien à foutre !
– Écoute…
– Non !
– Ça vient de très haut… de très très haut…
– De Dieu le Père, peut-être ?
– Presque.
Un long silence s’instaura entre eux. Isabelle croisant et décroisant ses jambes nerveusement. Pierre contemplant la pointe de ses chaussures.
– Écoute, Pierre. Il existe une voie hiérarchique. Moi, je transmets. Après, ils décideront. Par ailleurs, tu es au RG, affecté aux affaires sensibles, d’accord. Mais ça ne te donne pas le droit d’exercer une pression quelconque sur un officier de police judiciaire qui fait son boulot.
– Mais c’est un ordre, Isa, tenta-t-il piteusement.
– Alors, qu’il soit écrit et signé !
Pierre se sentait épuisé.
– Mais tu sais que c’est impossible. Il y a trop d’enjeux…
– Vos combines de police politique ne m’intéressent pas. Vous en avez le cerveau embrumé. Vous virez parano aux RG. Bientôt ce sera pire qu’à la DST. Il faut le faire !
Isabelle s’était levée et tournait autour de la table du salon en défiant son mari du regard. En vain, car le sien ne quittait pas la pointe de ses chaussures.
– Alors, tu m’expliques comme à une grande fille ou tu vas te faire foutre ! Je n’ai pas envie que mon mari suive les pas de son géniteur et de ton salopard de Laneureuville*, d’accord ?
– C’est impossible, Isa, dit-il sans lever la tête de crainte de croiser son regard. Je ne peux t’en dire plus… je n’en ai pas le droit. C’est vraiment explosif comme truc… C’est pour te protéger…
– Me protéger ? Tu me fais des menaces, maintenant ? Mon mari joue les petits commissionnaires « d’en haut » et me fait des menaces sous notre propre toit ! Mais tu déconnes, Pierre !… Et pourquoi, d’ailleurs, n’ont-ils pas pris quelqu’un d’autre pour faire cette petite commission ?
– Ils ont pensé que j’étais le mieux à même…
– Qu’est-ce qu’ils peuvent être cons !
Isabelle arrêta son mouvement tournant et se figea les bras croisés sur la poitrine devant son mari.
– Ne me rends pas la tâche plus difficile, lui dit-il en levant vers elle un regard suppliant.
– Alors explique-toi vraiment, concéda-t-elle, son pied droit tapotant nerveusement le sol.
Le commandant Pierre Cavalier avala plusieurs fois sa salive et soupira.
– Voilà. Il ne faut pas qu’on puisse remonter à une certaine personne… le criminel, si tu veux…
– De mieux en mieux, mon chéri. Continue !
– C’est tout.
– Parce que « vous », vous connaissez le criminel ?
– Oui.
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