Chapitre 9
Je bénissais le journaliste qui avait parlé de la fréquence éloignée des crimes.
Si je me limitais chaque année à la période autour du 15 août, ma date fétiche, la police chercherait un provincial ou un étranger de passage à Paris à ce moment-là. Et je pourrais même accroître le nombre de mes victimes en toute impunité.
Je me suis senti tout à coup beaucoup mieux. Mais j’ai continué à aller voir régulièrement mon psy. Jamais on ne viendrait soupçonner un agrégé qui consulte régulièrement un psychiatre. Pour parler de sa maman.
D’ailleurs, il me trouvait en « bonne voie ». Il fut très satisfait de me voir passer mon permis.
– Enfin vous vous prenez en main et allez pouvoir bouger et multiplier vos chances de rencontres…
Le Dr Lévy est vraiment encourageant et de bon conseil.
J’ai bouclé mon manuel dans les délais. Il a même été bien accueilli. Et jamais je ne m’étais senti aussi performant dans mon enseignement.
J’ai même attaqué un roman pour faire plaisir à maman et à Ghislaine. Car elles aiment bien que je leur fasse la lecture et maman attendait ça de moi depuis longtemps. Et j’ai été reçu au permis de conduire à la mi-juin.
Seul point noir, j’ai dû acheter une voiture. Oh ! un petit modèle. Mais il a quand même fallu que je le cache à maman. Ce ne fut pas facile, car c’est elle qui tient les comptes depuis toujours. Ce que Ghislaine a d’ailleurs admis lors de son emménagement.
J’ai donc attendu le 15 août très calmement. Avec quand même – soyons honnête – une petite excitation qui me titilla de plus en plus. Et j’ai profité de cette attente pour sillonner les rues de Paris chaque soir une heure ou deux afin de me familiariser avec sa topographie routière. Sans un accrochage et sans griller un seul feu rouge. Aussi pour habituer maman à mes futures absences.
Le 15 août 1995, dans la même soirée, j’en ai fait trois.
Mais, cette fois-ci, plus de vieilles. Fallait brouiller les pistes et, c’est vrai, n’en déplaise à maman, je préférais de plus en plus l’odeur de Ghislaine à la sienne.
La première, une prostituée sous le pont du boulevard des maréchaux à la porte d’Asnières.
Facile. Quasiment sans mérite, tant elle était déglinguée par la drogue et totalement sous-alimentée.
Je l’avais remarquée dès mon premier passage. J’ai été me garer cent mètres plus loin après avoir quitté le boulevard et je suis revenu tranquillement sur mes pas.
Elle s’est adossée contre un pilier du pont en me voyant arriver. Je me suis dirigé vers elle.
Les yeux hagards et titubante, elle s’est agenouillée là devant moi, mécaniquement, comme si elle tombait. Le pilier nous dissimulant des voitures.
Ni une ni deux. Même pas de jouissance. Seul le plaisir de serrer bien fort le rosaire de maman autour de son cou.
Du rapide. D’ailleurs, tellement faible que je n’ai pas eu besoin de lui planter mon genou dans le sternum et que j’aurais pu y aller à main nue.
Puis j’ai rejoint mon véhicule. Sa pendulette indiquait vingt et une heures cinquante-cinq.
Je suis revenu sur les maréchaux direction Clignancourt.
Pas d’attroupement de l’autre côté du boulevard sous le pont.
Ça avait été tellement facile que, dans l’euphorie du moment, j’ai voulu m’en refaire une autre entre porte de Saint-Ouen et porte de Clignancourt.
De loin, ce m’avait paru faisable. De près, vu le morceau et ses muscles, j’ai préféré y renoncer. Et j’ai bien fait, car c’était pas tout à fait une femme.
J’ai traversé Paris, puis j’ai été me garer dans une petite rue près de l’église Saint-Germain-des-Prés.
J’ai traîné un peu à pied mais je ne me sentais pas à l’aise dans ces petites rues. De vrais coupe-gorge.
Puis une petite blonde en short m’a abordé. Une vingtaine d’années.
Pour me demander son chemin dans un français guttural et maltraité.
Le destin venait au-devant de moi. C’est ce que j’ai cru tout d’abord.
Je lui ai courtoisement proposé de l’accompagner jusqu’à la fontaine Saint-Michel.
Et là, la salope, elle s’est mise à m’agonir d’injures en allemand et à gueuler :
– Zé ne veu pâ. Moi seule capab débrrrouiller ezpèze de vieux cozon !
C’est incroyable comme ça peut être agressifs, les Teutons ! Je ne suis pas du tout d’accord avec maman qui ne jure que par leur délicatesse. Ou alors, c’est qu’ils ont bien changé depuis.
Aucun sens de la mesure, oui. D’ailleurs, on connaît le jardin à la française ou à l’anglaise, même le jardin de curé à la rigueur. Mais personne n’a jamais entendu parler de « jardin à l’allemande » !
Je me suis vite éloigné de cette walkyrie hystérique avant qu’elle n’attire l’attention par ses cris d’orfraie et je me suis dirigé vers la place de l’Odéon.
En remontant la rue Monsieur-le-Prince. J’ai vu une autre petite blonde venant dans ma direction sur le même trottoir. Un mètre soixante et toute menue.
Personne alentour.
Mais je l’ai joué prudent.
Un croche-pied quand elle allait juste me dépasser pour l’étaler par terre et la neutraliser.
– Oh ! vous être tombée ! Je vais vous aider à vous relever, mademoiselle.
Et hop ! le genou droit bien enfoncé dans ses reins et un bon coup de rosaire en tirant bien en arrière.
Mais j’ai vite entendu les cervicales craquer et j’ai tout de suite senti à son aspect mollasse qu’elle n’avait plus besoin du rosaire.
Alors je l’ai juste poussée jusqu’au caniveau pour la faire basculer sous le 4 x 4 que la Providence avait stationné là.
Il était déjà minuit et demi passé quand je suis remonté dans ma voiture.
Plus d’une heure du matin quand je me suis garé dans le parking souterrain devant l’École militaire.
Et là, à nouveau la chance quand je suis sorti et ai descendu le Champ de Mars vers la place Jacques-Rueff. Un coin où il y a plein de camping-cars garés.
Une blonde décolorée entre deux âges qui prenait le frais en fumant une cigarette près de sa « roulotte ».
Je ne sais pas à quoi elle rêvait. En tout cas, elle ne m’a pas vu venir et son double menton naissant ne m’a même pas gêné. « Comme dans du beurre », je me suis même dit, surpris.
C’était un bon 15 août, mais je n’avais toujours pas joui. Trop de précipitation et d’improvisation, ai-je pensé. J’étais trop tendu.
Heureusement que Ghislaine m’attendait à la maison !
© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.
Je bénissais le journaliste qui avait parlé de la fréquence éloignée des crimes.
Si je me limitais chaque année à la période autour du 15 août, ma date fétiche, la police chercherait un provincial ou un étranger de passage à Paris à ce moment-là. Et je pourrais même accroître le nombre de mes victimes en toute impunité.
Je me suis senti tout à coup beaucoup mieux. Mais j’ai continué à aller voir régulièrement mon psy. Jamais on ne viendrait soupçonner un agrégé qui consulte régulièrement un psychiatre. Pour parler de sa maman.
D’ailleurs, il me trouvait en « bonne voie ». Il fut très satisfait de me voir passer mon permis.
– Enfin vous vous prenez en main et allez pouvoir bouger et multiplier vos chances de rencontres…
Le Dr Lévy est vraiment encourageant et de bon conseil.
J’ai bouclé mon manuel dans les délais. Il a même été bien accueilli. Et jamais je ne m’étais senti aussi performant dans mon enseignement.
J’ai même attaqué un roman pour faire plaisir à maman et à Ghislaine. Car elles aiment bien que je leur fasse la lecture et maman attendait ça de moi depuis longtemps. Et j’ai été reçu au permis de conduire à la mi-juin.
Seul point noir, j’ai dû acheter une voiture. Oh ! un petit modèle. Mais il a quand même fallu que je le cache à maman. Ce ne fut pas facile, car c’est elle qui tient les comptes depuis toujours. Ce que Ghislaine a d’ailleurs admis lors de son emménagement.
J’ai donc attendu le 15 août très calmement. Avec quand même – soyons honnête – une petite excitation qui me titilla de plus en plus. Et j’ai profité de cette attente pour sillonner les rues de Paris chaque soir une heure ou deux afin de me familiariser avec sa topographie routière. Sans un accrochage et sans griller un seul feu rouge. Aussi pour habituer maman à mes futures absences.
Le 15 août 1995, dans la même soirée, j’en ai fait trois.
Mais, cette fois-ci, plus de vieilles. Fallait brouiller les pistes et, c’est vrai, n’en déplaise à maman, je préférais de plus en plus l’odeur de Ghislaine à la sienne.
La première, une prostituée sous le pont du boulevard des maréchaux à la porte d’Asnières.
Facile. Quasiment sans mérite, tant elle était déglinguée par la drogue et totalement sous-alimentée.
Je l’avais remarquée dès mon premier passage. J’ai été me garer cent mètres plus loin après avoir quitté le boulevard et je suis revenu tranquillement sur mes pas.
Elle s’est adossée contre un pilier du pont en me voyant arriver. Je me suis dirigé vers elle.
Les yeux hagards et titubante, elle s’est agenouillée là devant moi, mécaniquement, comme si elle tombait. Le pilier nous dissimulant des voitures.
Ni une ni deux. Même pas de jouissance. Seul le plaisir de serrer bien fort le rosaire de maman autour de son cou.
Du rapide. D’ailleurs, tellement faible que je n’ai pas eu besoin de lui planter mon genou dans le sternum et que j’aurais pu y aller à main nue.
Puis j’ai rejoint mon véhicule. Sa pendulette indiquait vingt et une heures cinquante-cinq.
Je suis revenu sur les maréchaux direction Clignancourt.
Pas d’attroupement de l’autre côté du boulevard sous le pont.
Ça avait été tellement facile que, dans l’euphorie du moment, j’ai voulu m’en refaire une autre entre porte de Saint-Ouen et porte de Clignancourt.
De loin, ce m’avait paru faisable. De près, vu le morceau et ses muscles, j’ai préféré y renoncer. Et j’ai bien fait, car c’était pas tout à fait une femme.
J’ai traversé Paris, puis j’ai été me garer dans une petite rue près de l’église Saint-Germain-des-Prés.
J’ai traîné un peu à pied mais je ne me sentais pas à l’aise dans ces petites rues. De vrais coupe-gorge.
Puis une petite blonde en short m’a abordé. Une vingtaine d’années.
Pour me demander son chemin dans un français guttural et maltraité.
Le destin venait au-devant de moi. C’est ce que j’ai cru tout d’abord.
Je lui ai courtoisement proposé de l’accompagner jusqu’à la fontaine Saint-Michel.
Et là, la salope, elle s’est mise à m’agonir d’injures en allemand et à gueuler :
– Zé ne veu pâ. Moi seule capab débrrrouiller ezpèze de vieux cozon !
C’est incroyable comme ça peut être agressifs, les Teutons ! Je ne suis pas du tout d’accord avec maman qui ne jure que par leur délicatesse. Ou alors, c’est qu’ils ont bien changé depuis.
Aucun sens de la mesure, oui. D’ailleurs, on connaît le jardin à la française ou à l’anglaise, même le jardin de curé à la rigueur. Mais personne n’a jamais entendu parler de « jardin à l’allemande » !
Je me suis vite éloigné de cette walkyrie hystérique avant qu’elle n’attire l’attention par ses cris d’orfraie et je me suis dirigé vers la place de l’Odéon.
En remontant la rue Monsieur-le-Prince. J’ai vu une autre petite blonde venant dans ma direction sur le même trottoir. Un mètre soixante et toute menue.
Personne alentour.
Mais je l’ai joué prudent.
Un croche-pied quand elle allait juste me dépasser pour l’étaler par terre et la neutraliser.
– Oh ! vous être tombée ! Je vais vous aider à vous relever, mademoiselle.
Et hop ! le genou droit bien enfoncé dans ses reins et un bon coup de rosaire en tirant bien en arrière.
Mais j’ai vite entendu les cervicales craquer et j’ai tout de suite senti à son aspect mollasse qu’elle n’avait plus besoin du rosaire.
Alors je l’ai juste poussée jusqu’au caniveau pour la faire basculer sous le 4 x 4 que la Providence avait stationné là.
Il était déjà minuit et demi passé quand je suis remonté dans ma voiture.
Plus d’une heure du matin quand je me suis garé dans le parking souterrain devant l’École militaire.
Et là, à nouveau la chance quand je suis sorti et ai descendu le Champ de Mars vers la place Jacques-Rueff. Un coin où il y a plein de camping-cars garés.
Une blonde décolorée entre deux âges qui prenait le frais en fumant une cigarette près de sa « roulotte ».
Je ne sais pas à quoi elle rêvait. En tout cas, elle ne m’a pas vu venir et son double menton naissant ne m’a même pas gêné. « Comme dans du beurre », je me suis même dit, surpris.
C’était un bon 15 août, mais je n’avais toujours pas joui. Trop de précipitation et d’improvisation, ai-je pensé. J’étais trop tendu.
Heureusement que Ghislaine m’attendait à la maison !
© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.
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