Les fils qui aiment leur maman au-delà de tout, ça existe, et Philippe-Henri Dumontar est un de ces fils exemplaires. Professeur de lettres agrégé à temps plein et serial killer occasionnel. Mais la rédemption est au bout du calvaire de ses victimes… enfin, presque. Grâce à la psychanalyse et aux charmes d’Isabelle Cavalier, lieutenant à la Crim.
Un « papy » tout à fait comme il faut qu’adoptera le couple Cavalier et la grande famille qu’est la police.
Quasiment amoral mais d’une grande espérance sur la nature humaine.
Un « papy » tout à fait comme il faut qu’adoptera le couple Cavalier et la grande famille qu’est la police.
Quasiment amoral mais d’une grande espérance sur la nature humaine.
En 25 chapitres et 25 journées...
« Ceinturés d’un grand rosaire à grains gros comme des noix. »
Apollinaire.
« Il y a toujours du bon dans la folie humaine. »
Auguste de Villiers
de L’Isle Adam.
Chapitre 1
Je ne sais pas qui je suis. Tantôt ça me revient, tantôt ça repart. En ce moment, c’est plutôt reparti.
Mon psychiatre m’a dit que c’était, en quelque sorte, ma normalité à moi. Pour m’expliquer mon truc, il a pris l’exemple des bisexuels. Tantôt ils sont attirés par un homme, tantôt par une femme. Ben moi, c’est pareil. J’ai une bipersonnalité. Tantôt je suis moi, celui qui sait qui il est et ce qu’il fait. D’autres fois, c’est l’inverse. Je ne suis pas moi, je ne sais pas qui je suis et ce que je fais.
Mais je ne suis pas bisexuel pour autant.
D’ailleurs, mon psy il préférerait.
– Votre problème, c’est que vous n’êtes attiré ni par les uns ni par les autres.
Enfin, une partie du problème, n’omet-il jamais de préciser.
Moi, je trouve ça sale de parler de ces choses-là. Puis, j’oserai jamais lui dire qu’en fait je n’ai pas de problème de ce côté-là. Mais comment lui expliquer que je ne me sens bien qu’avec les vieilles femmes ? Je suis sûr qu’il y trouverait à redire.
Les vraies vieilles, hein ! Pas les fausses. Celles qui partent encore en croisière et font de la gym, du yoga ou du self-défense.
Non, les vraies. Celles qui peuvent pas se défendre.
Mais je ne comprends pas les tarés qui s’en prennent aux mômes. C’est dégueulasse. D’ailleurs, c’est devenu très mal vu par la société – même par ceux qui signaient des pétitions « pour », avant. En plus, c’est risqué.
Moi, faut dire, je n’aime pas le risque. Ça, c’est vrai.
Ma mère m’a toujours fait prendre le risque en sainte horreur.
Traverser une rue ou monter dans un bus, on ne peut pas l’éviter. Mais tout le reste, si.
Comme conduire une voiture. – Moi, jamais. C’est toujours maman qui conduisait.
Ou faire du sport – faire ses courses, ça suffit amplement.
S’occuper des autres. Pouah ! Il y a des œuvres pour ça. Un nom comme OMG… Tiens ! je ne me souviens pas… Ah si ! des ONG que ça s’appelle.
Dire ce que l’on pense, surtout. Surtout ! Car maman elle se souvenait de l’Occupation. Non, pas celle des Américains avant que le général de Gaulle les boute hors de France. Juste celle d’avant. Celle avec les doryphores.
Ça, maman, pour s’en souvenir elle s’en souvenait. Elle avait écrit plein de lettres aux autorités en place – les deux, l’allemande et l’autre, pour être sûre car elle ne savait pas trop laquelle était la bonne – pour dire ce qu’elle pensait des uns et des autres. Mais, attention ! juste ceux qu’elle connaissait personnellement ou presque. Les voisins. Car, s’il y a une chose que maman n’aimait pas en particulier, c’était bien de parler de ce qu’elle ne connaissait pas. Alors elle n’écrivait que pour les Juifs, les gaullistes et les communistes dont elle était sûre. « Mais il n’y avait que ça ! » me disait-elle souvent. Eh ben, à la Libération elle avait eu que des ennuis, rasée même ! Alors qu’un mois avant elle recevait encore des félicitations.
Et c’est là aussi que papa a été fusillé. Lui, justement, pour avoir voulu aider les autres. Papa, il faut dire, il était en avance sur son temps. Il appartenait à l’une des premières ONG européennes de l’époque. La LVF que ça s’appelait. Celle qui, déjà, voulait protéger les Européens des Russes et des Mongols.
Donc, mon papa, je ne l’ai pas connu. Je suis né le 13 avril 1946, six mois après son arrestation en octobre 45 et deux mois après son exécution. Son « assassinat », disait maman.
Mais, mon psy, il aime pas trop que je m’étende sur cette période.
M. Lévy, je l’aime bien, c’est un bon psy. Mais je ne peux pas tout lui dire. Il me semble même psychorigide, pour parler comme lui. Il se crispe sur certaines périodes de l’Histoire. Comme si c’était douloureux pour lui.
Le seule chose qui semble l’intéresser, c’est quand je parle de mes rapports avec maman. Moi aussi j’aime bien. Pas trop quand même. De toute façon, ça ne le regarde pas si j’ai dormi tard dans le lit de maman. C’est mon intimité.
Oui, tant qu’elle n’a pas fait pipi au lit, j’ai dormi avec maman. Et j’en suis fier ! On était si heureux, maman et moi, rien que tous les deux au monde.
Mais il ne peut pas comprendre, M. Lévy. Il a perdu sa maman quand il avait sept ans. J’ai cru deviner qu’elle n’avait pas supporté son séjour en Allemagne cinq ans plus tôt.
– Jusqu’à douze, treize ans, je lui ai dit.
Et, rien qu’à voir sa réaction, j’ai tout de suite compris le flair que j’avais eu de ne pas lui avoir dit la vérité.
Mon psy, il veut toujours que mon problème ce soit maman.
– Et vous n’avez jamais songé à faire votre vie avec une femme… un homme ?
Moi, je trouve ça d’un malsain !
– Et vous ne vous sentez pas attiré par les jeunes enfants… les petites filles… les petits garçons… ?
Maman serait horrifiée de sa question.
– Donc, si j’ai bien compris, si votre maman n’était pas morte en 1991, à l’âge de soixante-dix-huit ans, alors que vous en aviez quarante-cinq, vous seriez toujours en train de vivre avec elle… ?
Mais qu’est-ce qu’il croit ? Bien sûr !
Avant la mort de maman, j’allais bien. Je n’avais pas de bipersonnalité. J’étais normal.
C’est juste après que ça a commencé. Quand elle n’a plus été là pour me protéger, prendre soin de moi, me dire ce qui était bien ou mal pour moi. S’occuper de tout. Comme toute mère doit le faire pour son enfant.
Ma bipersonnalité, c’est parce que j’ai été doublement orphelin à la mort de maman.
Et puis j’ai eu un sacré choc quand je l’ai trouvée morte un matin.
Ça faisait cinq ans que nous dormions dans des lits jumeaux.
Quand, je me suis réveillé, je me suis tourné vers elle.
Elle dormait sur le dos, les yeux grands ouverts.
– Tu te lèves pas pour faire le café ? je lui ai demandé. Je vais être en retard à l’institution.
Elle n’a pas répondu et j’ai tout de suite deviné. Parce que maman elle était toujours aux petits soins avec moi.
© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.
Apollinaire.
« Il y a toujours du bon dans la folie humaine. »
Auguste de Villiers
de L’Isle Adam.
Chapitre 1
Je ne sais pas qui je suis. Tantôt ça me revient, tantôt ça repart. En ce moment, c’est plutôt reparti.
Mon psychiatre m’a dit que c’était, en quelque sorte, ma normalité à moi. Pour m’expliquer mon truc, il a pris l’exemple des bisexuels. Tantôt ils sont attirés par un homme, tantôt par une femme. Ben moi, c’est pareil. J’ai une bipersonnalité. Tantôt je suis moi, celui qui sait qui il est et ce qu’il fait. D’autres fois, c’est l’inverse. Je ne suis pas moi, je ne sais pas qui je suis et ce que je fais.
Mais je ne suis pas bisexuel pour autant.
D’ailleurs, mon psy il préférerait.
– Votre problème, c’est que vous n’êtes attiré ni par les uns ni par les autres.
Enfin, une partie du problème, n’omet-il jamais de préciser.
Moi, je trouve ça sale de parler de ces choses-là. Puis, j’oserai jamais lui dire qu’en fait je n’ai pas de problème de ce côté-là. Mais comment lui expliquer que je ne me sens bien qu’avec les vieilles femmes ? Je suis sûr qu’il y trouverait à redire.
Les vraies vieilles, hein ! Pas les fausses. Celles qui partent encore en croisière et font de la gym, du yoga ou du self-défense.
Non, les vraies. Celles qui peuvent pas se défendre.
Mais je ne comprends pas les tarés qui s’en prennent aux mômes. C’est dégueulasse. D’ailleurs, c’est devenu très mal vu par la société – même par ceux qui signaient des pétitions « pour », avant. En plus, c’est risqué.
Moi, faut dire, je n’aime pas le risque. Ça, c’est vrai.
Ma mère m’a toujours fait prendre le risque en sainte horreur.
Traverser une rue ou monter dans un bus, on ne peut pas l’éviter. Mais tout le reste, si.
Comme conduire une voiture. – Moi, jamais. C’est toujours maman qui conduisait.
Ou faire du sport – faire ses courses, ça suffit amplement.
S’occuper des autres. Pouah ! Il y a des œuvres pour ça. Un nom comme OMG… Tiens ! je ne me souviens pas… Ah si ! des ONG que ça s’appelle.
Dire ce que l’on pense, surtout. Surtout ! Car maman elle se souvenait de l’Occupation. Non, pas celle des Américains avant que le général de Gaulle les boute hors de France. Juste celle d’avant. Celle avec les doryphores.
Ça, maman, pour s’en souvenir elle s’en souvenait. Elle avait écrit plein de lettres aux autorités en place – les deux, l’allemande et l’autre, pour être sûre car elle ne savait pas trop laquelle était la bonne – pour dire ce qu’elle pensait des uns et des autres. Mais, attention ! juste ceux qu’elle connaissait personnellement ou presque. Les voisins. Car, s’il y a une chose que maman n’aimait pas en particulier, c’était bien de parler de ce qu’elle ne connaissait pas. Alors elle n’écrivait que pour les Juifs, les gaullistes et les communistes dont elle était sûre. « Mais il n’y avait que ça ! » me disait-elle souvent. Eh ben, à la Libération elle avait eu que des ennuis, rasée même ! Alors qu’un mois avant elle recevait encore des félicitations.
Et c’est là aussi que papa a été fusillé. Lui, justement, pour avoir voulu aider les autres. Papa, il faut dire, il était en avance sur son temps. Il appartenait à l’une des premières ONG européennes de l’époque. La LVF que ça s’appelait. Celle qui, déjà, voulait protéger les Européens des Russes et des Mongols.
Donc, mon papa, je ne l’ai pas connu. Je suis né le 13 avril 1946, six mois après son arrestation en octobre 45 et deux mois après son exécution. Son « assassinat », disait maman.
Mais, mon psy, il aime pas trop que je m’étende sur cette période.
M. Lévy, je l’aime bien, c’est un bon psy. Mais je ne peux pas tout lui dire. Il me semble même psychorigide, pour parler comme lui. Il se crispe sur certaines périodes de l’Histoire. Comme si c’était douloureux pour lui.
Le seule chose qui semble l’intéresser, c’est quand je parle de mes rapports avec maman. Moi aussi j’aime bien. Pas trop quand même. De toute façon, ça ne le regarde pas si j’ai dormi tard dans le lit de maman. C’est mon intimité.
Oui, tant qu’elle n’a pas fait pipi au lit, j’ai dormi avec maman. Et j’en suis fier ! On était si heureux, maman et moi, rien que tous les deux au monde.
Mais il ne peut pas comprendre, M. Lévy. Il a perdu sa maman quand il avait sept ans. J’ai cru deviner qu’elle n’avait pas supporté son séjour en Allemagne cinq ans plus tôt.
– Jusqu’à douze, treize ans, je lui ai dit.
Et, rien qu’à voir sa réaction, j’ai tout de suite compris le flair que j’avais eu de ne pas lui avoir dit la vérité.
Mon psy, il veut toujours que mon problème ce soit maman.
– Et vous n’avez jamais songé à faire votre vie avec une femme… un homme ?
Moi, je trouve ça d’un malsain !
– Et vous ne vous sentez pas attiré par les jeunes enfants… les petites filles… les petits garçons… ?
Maman serait horrifiée de sa question.
– Donc, si j’ai bien compris, si votre maman n’était pas morte en 1991, à l’âge de soixante-dix-huit ans, alors que vous en aviez quarante-cinq, vous seriez toujours en train de vivre avec elle… ?
Mais qu’est-ce qu’il croit ? Bien sûr !
Avant la mort de maman, j’allais bien. Je n’avais pas de bipersonnalité. J’étais normal.
C’est juste après que ça a commencé. Quand elle n’a plus été là pour me protéger, prendre soin de moi, me dire ce qui était bien ou mal pour moi. S’occuper de tout. Comme toute mère doit le faire pour son enfant.
Ma bipersonnalité, c’est parce que j’ai été doublement orphelin à la mort de maman.
Et puis j’ai eu un sacré choc quand je l’ai trouvée morte un matin.
Ça faisait cinq ans que nous dormions dans des lits jumeaux.
Quand, je me suis réveillé, je me suis tourné vers elle.
Elle dormait sur le dos, les yeux grands ouverts.
– Tu te lèves pas pour faire le café ? je lui ai demandé. Je vais être en retard à l’institution.
Elle n’a pas répondu et j’ai tout de suite deviné. Parce que maman elle était toujours aux petits soins avec moi.
© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.
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