vendredi 5 septembre 2008

Noir Express : "Cadavres dans le blockhaus" (C. C. IV) par Alain Pecunia, Chapitre 14

Chapitre 14





Après avoir déjeuné d’une pizza aux fruits de mer faite maison, d’une salade et d’un bout de camembert, Lionel se mit à tourner en rond dans la cuisine tandis que je faisais la vaisselle et préparais le café.
Avec son caractère de ténébreux, il commençait à me taper sur les nerfs.
– Quelque chose qui te tracasse ? fis-je pour rompre le silence pesant.
– Oui. C’est pas normal qu’on n’ait pas encore été contactés. La Christine, elle est pas partie en vadrouille toute seule…
Pour sûr. Mais j’étais résigné. Je n’avais plus qu’une hâte, retrouver ma petite affaire et ma rue Cler. Je n’envisageais même plus de vendre mon restau et de me retirer ici. J’avais l’impression que le fantôme de ma salope de putain de femme ne cesserait de hanter les lieux tant qu’elle n’aurait pas été retrouvée – ses restes, je veux dire. Comme dans ces histoires anglaises de revenants qui hantent les couloirs la nuit tant que leur corps n’a pas trouvé une digne sépulture – ou que leur assassin a été arrêté, me dis-je en frissonnant des pieds à la tête.
– C’est dans le premier blockhaus de la pointe Saint-Gildas que tu l’as laissée raide morte ? me demanda-t-il d’un ton lourd de suspicion en arrêtant un moment de faire le tourniquet.
– Oui, le premier.
– Et tu l’as laissée raide morte à tes pieds ?
Il m’énervait avec ses questions genre interrogatoire musclé. Il savait bien que je l’avais tuée !
– Elle râlait à peine. Elle n’était pas encore raide, mais elle était bien morte.
– Tu l’as tuée comment ?
On ne pose pas ce genre de question. Il me prenait vraiment pour un demeuré.
– Avec un truc de mon idée… Et arrête de me poser des questions à cent balles ! Je l’ai tuée, j’ai laissé son corps dans la casemate boche pour qu’on le retrouve et personne ne l’a retrouvé. Voilà ! Quelqu’un l’a piqué et on se saura jamais qui et pour quoi… De toute façon, elle ne m’a jamais amené que du désagrément ! conclus-je avec aigreur tout en servant le café et en posant une boîte de galettes Saint-Michel avec sur le couvercle la reproduction d’une peinture représentant une pêcherie et signée « Marguerite ».
Un prénom comme ça, c’était apaisant. Ça évoquait la douceur, la tendresse. Une femme aimante et normale.
Fallut que l’autre con me sorte de mon songe romantique.
– T’es sûr ? lâcha-t-il plein de condescendance et de morgue.
Mais qu’est-ce qu’il croyait ? Que j’avais peut-être tout inventé !
– C’est ça, mon pote, lui dis-je, elle s’est tirée avec un autre et je t’ai monté un bateau… Tu préfères cette version ?… Au moins, ça a le mérite d’expliquer sa vadrouille.
C’était dit sur le ton de la colère. Il ne pouvait plus que fermer sa grande gueule. Sûr. Et je retirai la boîte de galettes avant qu’il ait pu s’en servir. Il ne les méritait pas.
Il a fallu qu’il la rouvre, sa grande gueule.
– T’es sûr… ?
– T’est sûr… t’es sûr… t’es sûr, le coupai-je brutalement sur le ton de Il pleut bergère. Mais tu me fais chier, tu m’emmerdes, tu me fais caguer avec tes « t’es sûr »…
Je lui agitais méchamment la cuiller sous le nez.
– Tu me fais chier et j’en ai marre de tout ce merdier ! Moi, je ne suis pas fait pour être trafiquant de coke. Moi, je suis un honnête commerçant et tu peux aller te faire foutre !
J’avais l’impression que ma colère ne l’impressionnait pas le moins du monde. Il ne devait même pas m’écouter. Il semblait plongé dans une profonde réflexion. Qui n’avait pas l’air de le réjouir.
– Je me tire, dit-il, et il sortit de la cuisine.
– Bon débarras ! Parasite, va ! lui criai-je hargneusement.



© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.

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