Chapitre 7
L’enquête de la police sur la « disparition » de Ghislaine s’est vite enlisée. Je ne crois pas avoir jamais été soupçonné. Je suis trop fort pour eux.
J’ai su qui j’étais durant toute l’année scolaire 93-94. Il faut dire qu’entre mes cours, la mise au point de mon manuel pour les terminales et tous les soins que requéraient à la fois maman et Ghislaine, j’avais de quoi m’occuper. Surtout qu’il n’a pas été aisé de les faire coexister toutes deux. Maman ne m’aidait pas du tout, c’est le moins que je puisse dire. Elle était jalouse pas possible. Odieuse parfois même. Au point d’exiger le départ de « l’étrangère ».
C’est la première fois de ma vie que j’ai su tenir tête à maman. Enfin, pas tout à fait. Je lui ai d’abord menti. Je lui ai fait croire qu’elle était partie.
– Ne me mens pas ! criait-elle. Je la sens d’ici !
C’est vrai, ce fut un mensonge idiot de ma part. Car Ghislaine sentait, surtout au début. Mais, petit à petit, grâce à tous mes soins, c’est devenu supportable.
– Je la sens toujours ! disait maman avec mauvaise foi.
Ghislaine était beaucoup plus facile à vivre. Jamais de reproches. Pas un mot sur maman. Acceptant sa présence et son rôle de chef de famille. Toujours docile. Aimant que je m’occupe de sa grosse touffe noir cirage.
Par exemple, Ghislaine ne m’aurait jamais dit : « J’entends vos soupirs à ta mère et à toi ! » Jamais. Tandis qu’avec maman ça devenait une ritournelle. « Si tu crois que je ne t’entends pas toi et ta putain ! »
Je dois reconnaître qu’il m’arrive parfois de prendre maman en grippe. Surtout qu’elle sent quand même moins bon que Ghislaine. Que sa peau est plus rêche et que sa touffe est bougrement dégarnie. J’ai vraiment moins de plaisir avec maman.
Je suis injuste. C’est quand même vrai qu’elles n’ont pas le même âge et que maman sera toujours maman.
Je dois faire avec, comme toujours. Mais j’ai osé lui dire à Noël que, si elle continuait à exiger le départ de Ghislaine, eh bien, moi, je partirais aussi. La laissant seule.
Elle en est restée sans voix. Elle boude. Mais pour combien de temps ?
Heureusement que j’ai mon manuel pour m’extraire de mes soucis domestiques. Avec Ghislaine à mes côtés qui m’encourage.
Ça, c’est un point qu’elle partage avec maman. Elles ont toutes deux de grandes ambitions pour moi.
Je fais tout pour ne pas les décevoir. Mais les fêtes de famille, je dois l’avouer, restent quand même un problème.
Comme le 15 août 1994, à la fois le jour de la fête de maman et le premier anniversaire de l’installation de Ghislaine dans l’appartement.
Une véritable situation cornélienne.
De qui, de Ghislaine ou de maman, devais-je m’occuper en premier ?
Eh bien, je n’ai pas pu choisir. Bloqué, j’étais.
Du coup, c’est reparti. Sur le coup de midi, je ne savais plus qui j’étais.
Je suis resté prostré sur le rond des cabinets tout l’après-midi. Tellement bloqué que je n’arrivais pas à faire mes besoins.
Ce n’est qu’en remontant mon pantalon et en sentant le rosaire de maman dans ma poche droite que j’ai su ce qu’il me restait à faire.
– Elles l’auront voulu ! me suis-je exclamé.
Je suis sorti sans même leur dire au revoir. Marchant au hasard. Furieux et énervé.
Mes pas m’ont porté vers les Invalides.
C’est près de chez nous et j’aime bien ce dôme majestueux sous lequel repose l’Empereur. J’aimerais bien le visiter. Mais maman n’a jamais voulu. Toujours cette histoire de violence que je ne supporterais pas d’après elle.
J’ai tourné autour comme un enfant devant une religieuse trônant dans la vitrine d’un pâtissier. Puis j’ai pris les quais et suis arrivé au Champ de Mars.
À dix heures, il n’y avait plus grand monde dans les allées sillonnant les massifs. C’était tentant de chercher là. Mais pas prudent. Jamais deux fois au même endroit.
Alors je suis remonté jusqu’à l’avenue de La Motte-Piquet et je me suis senti attiré par le métro aérien. Son grondement m’a toujours fasciné lorsqu’on est juste en dessous.
J’ai remonté le boulevard de Grenelle en traversant le parking sous le métro.
Une petite vieille a surgi d’entre deux voitures.
Elle m’a fait peur. J’ai été surpris.
– Vous avez pas dix francs pour manger, mon brave monsieur ?
J’ai reculé instinctivement devant cette clocharde.
– Dix francs, c’est rien pour vous ! cria-t-elle tandis que je m’esquivais en tentant de l’ignorer.
Je me suis alors empressé de lui donner sa pièce. Et c’est là que j’ai senti le rosaire de maman au fond de ma poche.
J’étais toujours en colère contre maman. Je voulais lui faire de la peine. Je savais que ça l’humilierait que je fasse ça avec une vieille sale et puante.
Mais ça a été franchement dégueulasse. Surtout quand elle a vomi toute sa vinasse, alors que je commençais à peine de serrer, et que j’en avais plein les mains.
J’ai serré comme un fou. Sans éprouver la moindre excitation. Sans aucune jouissance. Rien que pour ennuyer maman.
Je lui ai donné plein de coups de pied à cette sale vache quand elle s’est affalée au milieu de son tas de chiffons. Pour la punir.
Puis j’ai retiré ma veste en lin dont les manches étaient tachées de vomissures pour m’essuyer les mains. Mais ça puait. Ça puait !
J’ai roulé ma veste en boule et je suis vite rentré chez moi. Pour la mettre à tremper avec de l’eau de Javel dans la baignoire. Pour ôter toute trace.
Mais ça me faisait peine de jeter cette si belle veste à la poubelle. J’en ai beaucoup voulu à maman de m’avoir gâché ce 15 août.
Heureusement que Ghislaine m’a fait jouir, elle !
© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.
L’enquête de la police sur la « disparition » de Ghislaine s’est vite enlisée. Je ne crois pas avoir jamais été soupçonné. Je suis trop fort pour eux.
J’ai su qui j’étais durant toute l’année scolaire 93-94. Il faut dire qu’entre mes cours, la mise au point de mon manuel pour les terminales et tous les soins que requéraient à la fois maman et Ghislaine, j’avais de quoi m’occuper. Surtout qu’il n’a pas été aisé de les faire coexister toutes deux. Maman ne m’aidait pas du tout, c’est le moins que je puisse dire. Elle était jalouse pas possible. Odieuse parfois même. Au point d’exiger le départ de « l’étrangère ».
C’est la première fois de ma vie que j’ai su tenir tête à maman. Enfin, pas tout à fait. Je lui ai d’abord menti. Je lui ai fait croire qu’elle était partie.
– Ne me mens pas ! criait-elle. Je la sens d’ici !
C’est vrai, ce fut un mensonge idiot de ma part. Car Ghislaine sentait, surtout au début. Mais, petit à petit, grâce à tous mes soins, c’est devenu supportable.
– Je la sens toujours ! disait maman avec mauvaise foi.
Ghislaine était beaucoup plus facile à vivre. Jamais de reproches. Pas un mot sur maman. Acceptant sa présence et son rôle de chef de famille. Toujours docile. Aimant que je m’occupe de sa grosse touffe noir cirage.
Par exemple, Ghislaine ne m’aurait jamais dit : « J’entends vos soupirs à ta mère et à toi ! » Jamais. Tandis qu’avec maman ça devenait une ritournelle. « Si tu crois que je ne t’entends pas toi et ta putain ! »
Je dois reconnaître qu’il m’arrive parfois de prendre maman en grippe. Surtout qu’elle sent quand même moins bon que Ghislaine. Que sa peau est plus rêche et que sa touffe est bougrement dégarnie. J’ai vraiment moins de plaisir avec maman.
Je suis injuste. C’est quand même vrai qu’elles n’ont pas le même âge et que maman sera toujours maman.
Je dois faire avec, comme toujours. Mais j’ai osé lui dire à Noël que, si elle continuait à exiger le départ de Ghislaine, eh bien, moi, je partirais aussi. La laissant seule.
Elle en est restée sans voix. Elle boude. Mais pour combien de temps ?
Heureusement que j’ai mon manuel pour m’extraire de mes soucis domestiques. Avec Ghislaine à mes côtés qui m’encourage.
Ça, c’est un point qu’elle partage avec maman. Elles ont toutes deux de grandes ambitions pour moi.
Je fais tout pour ne pas les décevoir. Mais les fêtes de famille, je dois l’avouer, restent quand même un problème.
Comme le 15 août 1994, à la fois le jour de la fête de maman et le premier anniversaire de l’installation de Ghislaine dans l’appartement.
Une véritable situation cornélienne.
De qui, de Ghislaine ou de maman, devais-je m’occuper en premier ?
Eh bien, je n’ai pas pu choisir. Bloqué, j’étais.
Du coup, c’est reparti. Sur le coup de midi, je ne savais plus qui j’étais.
Je suis resté prostré sur le rond des cabinets tout l’après-midi. Tellement bloqué que je n’arrivais pas à faire mes besoins.
Ce n’est qu’en remontant mon pantalon et en sentant le rosaire de maman dans ma poche droite que j’ai su ce qu’il me restait à faire.
– Elles l’auront voulu ! me suis-je exclamé.
Je suis sorti sans même leur dire au revoir. Marchant au hasard. Furieux et énervé.
Mes pas m’ont porté vers les Invalides.
C’est près de chez nous et j’aime bien ce dôme majestueux sous lequel repose l’Empereur. J’aimerais bien le visiter. Mais maman n’a jamais voulu. Toujours cette histoire de violence que je ne supporterais pas d’après elle.
J’ai tourné autour comme un enfant devant une religieuse trônant dans la vitrine d’un pâtissier. Puis j’ai pris les quais et suis arrivé au Champ de Mars.
À dix heures, il n’y avait plus grand monde dans les allées sillonnant les massifs. C’était tentant de chercher là. Mais pas prudent. Jamais deux fois au même endroit.
Alors je suis remonté jusqu’à l’avenue de La Motte-Piquet et je me suis senti attiré par le métro aérien. Son grondement m’a toujours fasciné lorsqu’on est juste en dessous.
J’ai remonté le boulevard de Grenelle en traversant le parking sous le métro.
Une petite vieille a surgi d’entre deux voitures.
Elle m’a fait peur. J’ai été surpris.
– Vous avez pas dix francs pour manger, mon brave monsieur ?
J’ai reculé instinctivement devant cette clocharde.
– Dix francs, c’est rien pour vous ! cria-t-elle tandis que je m’esquivais en tentant de l’ignorer.
Je me suis alors empressé de lui donner sa pièce. Et c’est là que j’ai senti le rosaire de maman au fond de ma poche.
J’étais toujours en colère contre maman. Je voulais lui faire de la peine. Je savais que ça l’humilierait que je fasse ça avec une vieille sale et puante.
Mais ça a été franchement dégueulasse. Surtout quand elle a vomi toute sa vinasse, alors que je commençais à peine de serrer, et que j’en avais plein les mains.
J’ai serré comme un fou. Sans éprouver la moindre excitation. Sans aucune jouissance. Rien que pour ennuyer maman.
Je lui ai donné plein de coups de pied à cette sale vache quand elle s’est affalée au milieu de son tas de chiffons. Pour la punir.
Puis j’ai retiré ma veste en lin dont les manches étaient tachées de vomissures pour m’essuyer les mains. Mais ça puait. Ça puait !
J’ai roulé ma veste en boule et je suis vite rentré chez moi. Pour la mettre à tremper avec de l’eau de Javel dans la baignoire. Pour ôter toute trace.
Mais ça me faisait peine de jeter cette si belle veste à la poubelle. J’en ai beaucoup voulu à maman de m’avoir gâché ce 15 août.
Heureusement que Ghislaine m’a fait jouir, elle !
© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.
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