Chapitre 8
C’est à cause de ça que j’ai été voir le Dr Lévy vers la mi-septembre.
Je ne savais plus où j’en étais à force d’être moi et pas moi. Et puis maman qui me faisait craquer nerveusement avec toutes ses comédies.
J’avais trouvé son adresse dans l’annuaire. Rue du Commerce.
Mais je ne l’ai pas choisi vraiment au hasard. C’est à cause de son nom. Pour ennuyer maman.
Isaac Lévy.
Maman, elle a toujours détesté les Juifs. « Ton papa aussi », ne manquait-elle jamais d’ajouter.
Ils étaient la cause des malheurs de la France – du monde aussi, mais le monde, pour maman, était peu de chose comparé à la grandeur de la France éternelle. Et de la mort de mon papa.
Alors là, j’étais sûr de l’ennuyer.
Surtout quand j’allais lui dire que le Dr Lévy avait tout d’une image de propagande pour la Waffen-SS et rien d’un Juif tel que maman me les décrivait.
Grand, blond, les yeux bleus, un regard franc, élégant, cultivé. Bref, un vrai Viking.
Mais le Dr Lévy, il n’aime pas quand je parle des opinions politiques de maman.
Il écoute, oui, mais ça le contrarie. Je le sens. Alors j’évite.
Comme j’ai tout de suite compris qu’il ne fallait pas que je lui raconte tout. Simplement que j’avais beaucoup de chagrin depuis la mort de maman, le 15 novembre 1991. Beaucoup de mal à retrouver mes repères. Et puis cette histoire de savoir tantôt qui je suis et tantôt non.
D’ailleurs, c’est ça qui l’intéressait. Seulement ça.
Les anniversaires et les fêtes, il s’en foutait.
Il m’a longuement parlé de surmenage intellectuel. Une sorte de surchauffe cérébrale.
Mon cerveau était comme un muscle que j’avais trop sollicité. Donc, il avait comme une crampe en quelque sorte.
Mais la crampe, elle durait, dans mon cas. C’était là le problème.
Il me proposa aussi de faire du sport. D’apprendre des méthodes de relaxation.
De faire au moins un peu de marche et, peut-être, d’essayer d’avoir des relations sexuelles plus régulières. D’envisager même le mariage. Qu’une femme pouvait remplacer une mère.
Évidemment, il ne pouvait pas savoir qu’il n’y avait pas de problème de ce côté-là puisque j’avais Ghislaine à la maison.
Mais, de multiplier les relations sexuelles, il n’avait peut-être pas tort.
Je devais quand même attendre que la presse se calme avec ses articles sur « l’étrangleur des septuagénaires ». Ces articles étaient tous plus idiots les uns que les autres. Avec un manque d’imagination total.
Leur conclusion était souvent la même : que les grands-mères ne sortent pas seules passé vingt-deux heures.
Des déclarations des policiers chargés de l’enquête, il ressortait que le criminel n’était ni un nain ni un manchot. Que ce n’était pas un violeur ni un sadique. Qu’il étranglait ses victimes à l’aide d’une cordelette sur laquelle étaient enfilées des perles.
La seule chose qui me contrariait, c’était cette évidence que deux des crimes s’étaient produits dans le 7e et un dans le 15e, mais sur un boulevard proche du 7e.
La police estimait que le criminel devait habiter dans le périmètre des meurtres. Un journaliste rappela opportunément que les moyens de locomotion privés ou publics, ça existait. Que, par conséquent, l’assassin pouvait habiter n’importe où à Paris, en banlieue, en province ou dans n’importe quel autre pays. Que la fréquence éloignée des crimes pouvait même le laisser supposer.
Ça me donna envie de voyager.
L’avion, non. J’en avais toujours eu peur.
Le train ? Ça me donnait mal au cœur.
Les transports en commun ? L’horreur ! La promiscuité. Juste le bus pour me rendre à l’institution.
De toute façon, je ne pouvais pas m’absenter plus de vingt-quatre heures avec maman et Ghislaine à la maison.
Ghislaine, toujours compréhensive, l’aurait admis. Mais pas maman. Et puis, jalouse comme elle était, elle risquait de faire du mal à sa bru qu’elle n’avait toujours pas acceptée.
Il ne me restait que la voiture. Mon problème, c’est que c’est maman qui avait toujours conduit. Et je n’avais même pas mon permis.
À quarante-huit ans, je décidai de franchir le pas. Sans le dire à maman, car elle m’aurait sûrement découragé.
Ainsi j’allais pouvoir montrer à la presse et à la police que j’étais plus intelligent qu’eux. En leur brouillant les pistes.
© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.
C’est à cause de ça que j’ai été voir le Dr Lévy vers la mi-septembre.
Je ne savais plus où j’en étais à force d’être moi et pas moi. Et puis maman qui me faisait craquer nerveusement avec toutes ses comédies.
J’avais trouvé son adresse dans l’annuaire. Rue du Commerce.
Mais je ne l’ai pas choisi vraiment au hasard. C’est à cause de son nom. Pour ennuyer maman.
Isaac Lévy.
Maman, elle a toujours détesté les Juifs. « Ton papa aussi », ne manquait-elle jamais d’ajouter.
Ils étaient la cause des malheurs de la France – du monde aussi, mais le monde, pour maman, était peu de chose comparé à la grandeur de la France éternelle. Et de la mort de mon papa.
Alors là, j’étais sûr de l’ennuyer.
Surtout quand j’allais lui dire que le Dr Lévy avait tout d’une image de propagande pour la Waffen-SS et rien d’un Juif tel que maman me les décrivait.
Grand, blond, les yeux bleus, un regard franc, élégant, cultivé. Bref, un vrai Viking.
Mais le Dr Lévy, il n’aime pas quand je parle des opinions politiques de maman.
Il écoute, oui, mais ça le contrarie. Je le sens. Alors j’évite.
Comme j’ai tout de suite compris qu’il ne fallait pas que je lui raconte tout. Simplement que j’avais beaucoup de chagrin depuis la mort de maman, le 15 novembre 1991. Beaucoup de mal à retrouver mes repères. Et puis cette histoire de savoir tantôt qui je suis et tantôt non.
D’ailleurs, c’est ça qui l’intéressait. Seulement ça.
Les anniversaires et les fêtes, il s’en foutait.
Il m’a longuement parlé de surmenage intellectuel. Une sorte de surchauffe cérébrale.
Mon cerveau était comme un muscle que j’avais trop sollicité. Donc, il avait comme une crampe en quelque sorte.
Mais la crampe, elle durait, dans mon cas. C’était là le problème.
Il me proposa aussi de faire du sport. D’apprendre des méthodes de relaxation.
De faire au moins un peu de marche et, peut-être, d’essayer d’avoir des relations sexuelles plus régulières. D’envisager même le mariage. Qu’une femme pouvait remplacer une mère.
Évidemment, il ne pouvait pas savoir qu’il n’y avait pas de problème de ce côté-là puisque j’avais Ghislaine à la maison.
Mais, de multiplier les relations sexuelles, il n’avait peut-être pas tort.
Je devais quand même attendre que la presse se calme avec ses articles sur « l’étrangleur des septuagénaires ». Ces articles étaient tous plus idiots les uns que les autres. Avec un manque d’imagination total.
Leur conclusion était souvent la même : que les grands-mères ne sortent pas seules passé vingt-deux heures.
Des déclarations des policiers chargés de l’enquête, il ressortait que le criminel n’était ni un nain ni un manchot. Que ce n’était pas un violeur ni un sadique. Qu’il étranglait ses victimes à l’aide d’une cordelette sur laquelle étaient enfilées des perles.
La seule chose qui me contrariait, c’était cette évidence que deux des crimes s’étaient produits dans le 7e et un dans le 15e, mais sur un boulevard proche du 7e.
La police estimait que le criminel devait habiter dans le périmètre des meurtres. Un journaliste rappela opportunément que les moyens de locomotion privés ou publics, ça existait. Que, par conséquent, l’assassin pouvait habiter n’importe où à Paris, en banlieue, en province ou dans n’importe quel autre pays. Que la fréquence éloignée des crimes pouvait même le laisser supposer.
Ça me donna envie de voyager.
L’avion, non. J’en avais toujours eu peur.
Le train ? Ça me donnait mal au cœur.
Les transports en commun ? L’horreur ! La promiscuité. Juste le bus pour me rendre à l’institution.
De toute façon, je ne pouvais pas m’absenter plus de vingt-quatre heures avec maman et Ghislaine à la maison.
Ghislaine, toujours compréhensive, l’aurait admis. Mais pas maman. Et puis, jalouse comme elle était, elle risquait de faire du mal à sa bru qu’elle n’avait toujours pas acceptée.
Il ne me restait que la voiture. Mon problème, c’est que c’est maman qui avait toujours conduit. Et je n’avais même pas mon permis.
À quarante-huit ans, je décidai de franchir le pas. Sans le dire à maman, car elle m’aurait sûrement découragé.
Ainsi j’allais pouvoir montrer à la presse et à la police que j’étais plus intelligent qu’eux. En leur brouillant les pistes.
© Alain Pecunia, 2008.
Tous droits réservés.
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