Chapitre 15
Philippine, trois ans et demi, sut détendre l’atmosphère du petit déjeuner du dimanche matin par tout un jeu subtil de grimaces et de facéties.
Pourtant, la matinée avait mal commencé.
Antoine s’était levé en geignant. Deux nuits passées sur leur foutu canapé lui avaient « cassé » les reins et le chat de Philippine l’avait empêché de dormir par ses ronronnements dans le creux de l’oreille.
Ce qui avait entraîné les pleurs de Philippine qui ne supportait pas la moindre critique de son Titi. Et une repartie cinglante d’Isabelle :
– C’est mon appartement, ici, pas un PC de campagne pour flics en délire !
Pour une fois, Pierre avait su avoir la réaction adéquate face à la probable escalade.
Il avait filé faire provision de croissants et de brioche. Et il avait vu grand.
Mais il avait tout faux. Il n’avait pas prévu qu’Isabelle déciderait au même moment d’entamer un régime draconien pour perdre les cinq cents grammes « de trop » qu’avait décelés sa balance au lever. Après le pipi pour être au plus juste.
Pour Isabelle, un mètre soixante-huit et toute menue, le poids c’était l’obsession quotidienne. Le poids et la justice.
– Tu veux que je devienne une grosse vache comme ta mère ! avait-elle lâché.
Mais la tension lui donnait faim. Deux croissants grignotés du bout des lèvres et la grâce enchanteresse de Philippine firent le reste.
Même Antoine retrouva la parole et sa jovialité légendaire.
– Dites, c’est marrant, jeta-t-il au milieu de la mastication générale, ces familles elles n’ont pondu que des filles !
Il crut s’être planté, comme souvent. Car seule Philippine poursuivit sa mastication bruyante et brouillonne.
Isabelle et Pierre le fixaient bouche bée.
Antoine battit en retraite.
– J’ai dit une connerie, ou quoi ?
Ses deux amis hochèrent la tête dans un même mouvement.
– Non, fit Isabelle la première.
– Et des filles uniques, poursuivit Antoine se sentant encouragé.
– C’est pas con, intervint Pierre. C’est un point commun. Et le second, c’est qu’ils sont tous de hauts fonctionnaires…
– Le deuxième, le reprit Isabelle, car il y a un troisième point. Leur localisation géographique.
– Et un quatrième, dit Antoine, leurs filles fréquentent le même lycée.
– Nous en aurions un cinquième si les quatre familles qui nous intéressent se fréquentaient entre elles, avança Pierre.
– Oui, mais les Bernard ne semblent pas connaître les Saint-Fort, ni une des deux autres familles, objecta Isabelle.
– Et nous en aurions un sixième, insista Pierre si la petite Julie fréquentait les trois autres jeunes filles…
– Mais les Bernard ne peuvent identifier les relations de leur fille, opposa Isabelle.
– Ou ne veulent pas, intervint Antoine.
Isabelle attaqua un bout de brioche machinalement.
Chacun était plongé dans ses pensées de flic. Isabelle fut la plus rapide. Comme souvent quand il s’agissait d’un puzzle aux pièces semblant venir de jeux différents. C’est ce qui lui permettait de faire la différence avec les « gros bras/petit pois », comme elle se disait.
– Bingo ! fit-elle.
Le regard des deux hommes montrait qu’ils étaient largués. Ils avaient un bon train neuronal de retard. « Ils ont qu’à moins boire et fumer ! » se dit Isabelle en pensant aux cendriers et divers breuvages de la veille et du vendredi soir. « Ça les embrume. »
Elle remua le fer dans la plaie masculine.
– J’ai la solution.
– Tu te fous de nous ? dit Pierre en pensant qu’elle avait encore sûrement raison.
– C’est impossible ! enchaîna Antoine goguenard.
– Alors je me la garde ! triompha Isabelle.
– Non, vas-y, fit Pierre.
– On ne sait jamais ! blagua Antoine.
– À une condition, alors. Que vous ne restiez pas plantés toute la journée ni devant votre jeu d’échecs…
Les deux hommes firent une moue d’approbation.
– …ni devant la télé.
– Tu es dure avec nous, ma belle, fit Antoine résigné.
– C’est OK pour nous, confirma Pierre.
Isabelle remua à nouveau le fer.
– C’est tout simple.
Les deux hommes se regardèrent.
Leur train n’avait même plus de retard. Il était carrément en panne. « En berne, la quéquette ! » se dit joyeusement Isabelle.
– Eh oui, les mecs, c’est tout simple. Il faut partir de l’hypothèse que les quatre familles se connaissent et que les quatre jeunes filles également…
– Ça, on aurait pu le trouver ! dit Antoine en haussant les épaules.
– Oui, peut-être, avec un peu de temps. Mais l’essentiel, c’est que l’on veut nous embrouiller. D’un côté Julie Bernard, de l’autre Angeline de Saint-Fort, au milieu un assassin qui assassine au hasard. Ça, c’est ce qu’on veut nous faire croire. Mais le mec qui est derrière tout ça, c’est pas un détraqué lambda. C’est une tête d’œuf…
– Quand même pas un énarque ? objecta Antoine. Il faut pas être sorti de Polytechnique pour tuer vicieusement…
– Pourquoi pas ? le coupa Pierre. Il faut éplucher les quatre familles une à une.
– Il faut surtout faire craquer une des deux gamines, Corinne et Sabrina. C’est plus facile, dit Isabelle qui avait le sentiment de tenir les choses bien en main à présent et d’avoir domestiqué les deux mecs.
© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.
Philippine, trois ans et demi, sut détendre l’atmosphère du petit déjeuner du dimanche matin par tout un jeu subtil de grimaces et de facéties.
Pourtant, la matinée avait mal commencé.
Antoine s’était levé en geignant. Deux nuits passées sur leur foutu canapé lui avaient « cassé » les reins et le chat de Philippine l’avait empêché de dormir par ses ronronnements dans le creux de l’oreille.
Ce qui avait entraîné les pleurs de Philippine qui ne supportait pas la moindre critique de son Titi. Et une repartie cinglante d’Isabelle :
– C’est mon appartement, ici, pas un PC de campagne pour flics en délire !
Pour une fois, Pierre avait su avoir la réaction adéquate face à la probable escalade.
Il avait filé faire provision de croissants et de brioche. Et il avait vu grand.
Mais il avait tout faux. Il n’avait pas prévu qu’Isabelle déciderait au même moment d’entamer un régime draconien pour perdre les cinq cents grammes « de trop » qu’avait décelés sa balance au lever. Après le pipi pour être au plus juste.
Pour Isabelle, un mètre soixante-huit et toute menue, le poids c’était l’obsession quotidienne. Le poids et la justice.
– Tu veux que je devienne une grosse vache comme ta mère ! avait-elle lâché.
Mais la tension lui donnait faim. Deux croissants grignotés du bout des lèvres et la grâce enchanteresse de Philippine firent le reste.
Même Antoine retrouva la parole et sa jovialité légendaire.
– Dites, c’est marrant, jeta-t-il au milieu de la mastication générale, ces familles elles n’ont pondu que des filles !
Il crut s’être planté, comme souvent. Car seule Philippine poursuivit sa mastication bruyante et brouillonne.
Isabelle et Pierre le fixaient bouche bée.
Antoine battit en retraite.
– J’ai dit une connerie, ou quoi ?
Ses deux amis hochèrent la tête dans un même mouvement.
– Non, fit Isabelle la première.
– Et des filles uniques, poursuivit Antoine se sentant encouragé.
– C’est pas con, intervint Pierre. C’est un point commun. Et le second, c’est qu’ils sont tous de hauts fonctionnaires…
– Le deuxième, le reprit Isabelle, car il y a un troisième point. Leur localisation géographique.
– Et un quatrième, dit Antoine, leurs filles fréquentent le même lycée.
– Nous en aurions un cinquième si les quatre familles qui nous intéressent se fréquentaient entre elles, avança Pierre.
– Oui, mais les Bernard ne semblent pas connaître les Saint-Fort, ni une des deux autres familles, objecta Isabelle.
– Et nous en aurions un sixième, insista Pierre si la petite Julie fréquentait les trois autres jeunes filles…
– Mais les Bernard ne peuvent identifier les relations de leur fille, opposa Isabelle.
– Ou ne veulent pas, intervint Antoine.
Isabelle attaqua un bout de brioche machinalement.
Chacun était plongé dans ses pensées de flic. Isabelle fut la plus rapide. Comme souvent quand il s’agissait d’un puzzle aux pièces semblant venir de jeux différents. C’est ce qui lui permettait de faire la différence avec les « gros bras/petit pois », comme elle se disait.
– Bingo ! fit-elle.
Le regard des deux hommes montrait qu’ils étaient largués. Ils avaient un bon train neuronal de retard. « Ils ont qu’à moins boire et fumer ! » se dit Isabelle en pensant aux cendriers et divers breuvages de la veille et du vendredi soir. « Ça les embrume. »
Elle remua le fer dans la plaie masculine.
– J’ai la solution.
– Tu te fous de nous ? dit Pierre en pensant qu’elle avait encore sûrement raison.
– C’est impossible ! enchaîna Antoine goguenard.
– Alors je me la garde ! triompha Isabelle.
– Non, vas-y, fit Pierre.
– On ne sait jamais ! blagua Antoine.
– À une condition, alors. Que vous ne restiez pas plantés toute la journée ni devant votre jeu d’échecs…
Les deux hommes firent une moue d’approbation.
– …ni devant la télé.
– Tu es dure avec nous, ma belle, fit Antoine résigné.
– C’est OK pour nous, confirma Pierre.
Isabelle remua à nouveau le fer.
– C’est tout simple.
Les deux hommes se regardèrent.
Leur train n’avait même plus de retard. Il était carrément en panne. « En berne, la quéquette ! » se dit joyeusement Isabelle.
– Eh oui, les mecs, c’est tout simple. Il faut partir de l’hypothèse que les quatre familles se connaissent et que les quatre jeunes filles également…
– Ça, on aurait pu le trouver ! dit Antoine en haussant les épaules.
– Oui, peut-être, avec un peu de temps. Mais l’essentiel, c’est que l’on veut nous embrouiller. D’un côté Julie Bernard, de l’autre Angeline de Saint-Fort, au milieu un assassin qui assassine au hasard. Ça, c’est ce qu’on veut nous faire croire. Mais le mec qui est derrière tout ça, c’est pas un détraqué lambda. C’est une tête d’œuf…
– Quand même pas un énarque ? objecta Antoine. Il faut pas être sorti de Polytechnique pour tuer vicieusement…
– Pourquoi pas ? le coupa Pierre. Il faut éplucher les quatre familles une à une.
– Il faut surtout faire craquer une des deux gamines, Corinne et Sabrina. C’est plus facile, dit Isabelle qui avait le sentiment de tenir les choses bien en main à présent et d’avoir domestiqué les deux mecs.
© Alain Pecunia, 2009.
Tous droits réservés.
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